En une phrase, le nouveau président afghan Ashraf Ghani, de passage à Washington la semaine dernière, a résumé le défi de l’engagement militaire des États-Unis dans son pays: «Les 2215 Américains tués chez nous ne doivent pas être morts en vain.» Ghani veut que les militaires étrangers restent encore un peu afin que «l’héritage de ceux qui sont tombés soit un Afghanistan stable.»
Cette grande idée, elle peut servir de justification à toutes les interventions actuelles au Moyen-Orient, dont les opérations canadiennes contre l’État islamique: stopper la barbarie, restaurer le calme, préserver les progrès accomplis. Mais dans une région où le chaos règne et où l’alternative à un certain type de répression est souvent un autre type de répression, à quel moment doit-on dire «Assez!»?
Ou pour reprendre l’expression-choc de John Kerry, l’actuel secrétaire d’État américain, mais qui, en 1971, revenait de combattre au Vietnam: «Comment demandez-vous à un homme d’être le dernier à mourir au Vietnam? Comment demandez-vous à un homme d’être le dernier à mourir pour une erreur?»
C’est une chronique en deux temps, préparez-vous: le cœur et la raison. Commençons par la raison.
L’aberration irakienne
L’Irak que l’on cherche à préserver en attaquant les militants islamistes se dirige déjà tout droit vers l’éclatement. Les Kurdes, au nord, préservent farouchement leur semi-autonomie, tenant à distance les Arabes irakiens, qu’ils soient sunnites ou chiites.
La majorité chiite du reste du pays s’est rapprochée de l’Iran et se méfie de la minorité sunnite qui l’oppressait au temps de Saddam Hussein et qui flirte aujourd’hui avec les extrémistes – sunnites eux aussi – de l’État islamique.
La partition du pays progresse irrémédiablement, sinon en droit tout au moins en fait. A-t-on vraiment envie de s’embarquer dans une telle galère où, comme le soulignait un élu irakien au reporter du Wall Street Journal: «Si nous nous partageons l’Irak, nous en aurons pour des siècles à lutter pour les frontières, l’eau, le gaz, le pétrole.»
Le cœur maintenant
Au cours de ma carrière, je me suis souvent retrouvé en zones de guerre ou dans un contexte de violence armée; j’ai acquis avec le temps un double regard sur la nécessité d’y engager les soldats et les policiers canadiens.
Il y a d’abord la souffrance de la population qui est au cœur des conflits: la tristesse des mères, l’incompréhension et l’affolement des enfants, et le désespoir des pères, incapables d’assumer le rôle millénaire de protéger ceux qu’ils aiment. La douleur et la compassion sont universelles et je traîne en mémoire des centaines d’images et de témoignages de malheureux nous appelaient au secours.
Par extension, mais plus froidement, je vois et je crois profondément que nous sommes – nous, Québécois, Canadiens – des privilégiés sur cette planète. Tous les problèmes de déficit budgétaire, d’hivers qui n’en finissent pas ou de coupes Stanley qu’on-n’a-pas-gagnées-depuis-1993 ne font que démontrer que nous sommes nés sous une bonne étoile.
Ne pas rester les bras croisés
Ce privilège, on ne peut pas dormir dessus. On ne peut pas voyager partout à travers le monde et être systématiquement accueillis les bras ouverts, mais fermer les yeux, rentrer sur nos terres et barrer nos portes lorsque la folie meurtrière afflige d’autres êtres humains comme nous à l’autre bout du monde. Il faut faire notre part, c’est tout.
Bien sûr, il y a un énorme «mais». Des vies sont sauvées ici et là, et ce n’est pas rien. Mais qu’est-ce qu’il en reste vraiment? Haïti est-il plus stable, moins corrompu, moins pauvre? L’Afghanistan s’est-il arraché à ses réflexes tribaux, les filles ont-elles une chance de s’épanouir et les minorités de s’affirmer? Et l’Irak, que deviendra-t-il quand les chiites vont se venger des sunnites et que les Kurdes vont s’en prendre aux Arabes?
Ashraf Ghani, le président afghan, rappelait la semaine dernière que son pays est la ligne de front: pendant que l’on combat les extrémistes là-bas, ils ne nous attaquent pas chez nous. J’ai des doutes: est-ce vraiment la meilleure réponse à donner à la menace terroriste?
Groupes Éthniques/religieux d’Irak :
- Kurdes (au nord)
- Sunnites (au centre)
- Chiites (au sud)
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