Dans un geste rarissime, le ministre de l'Éducation Jean-François Roberge a récemment utilisé un pouvoir prévu dans la Loi sur l'instruction publique pour transférer l’école secondaire anglophone Riverdale, à Pierrefonds, à la commission scolaire francophone de Marguerite-Bourgeoys.
On en discutait récemment à mon émission Là haut sur la colline à la radio Qub. (Vers 5:31 de la chronique des constitutionnalistes)
En post-scriptum à cette chronique, le professeur de droit Guillaume Rousseau de l'Université de Sherbrooke m'a envoyé les précisions suivantes, où il conclut que la contestation que va sans doute lancer l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec a des chances d'être couronnée de succès:
« On apprenait récemment que le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a pris la décision de transférer l’école secondaire anglophone Riverdale, à Pierrefonds, à la commission scolaire francophone de Marguerite-Bourgeoys. Cette décision a été rendue nécessaire par le fait que cette école est à moitié vide, alors que les écoles francophones du quartier débordent. Même si dans ce contexte cette décision en est une de simple bon sens, tout indique qu’elle sera contestée.
L’Association des commissions scolaires anglophones du Québec a déjà déclaré qu’il s’agit d’une atteinte flagrante aux droits constitutionnels des anglophones. Est-ce le cas? Possiblement. Dans l’arrêt Arsenault-Cameron, la Cour suprême a jugé que la décision prise par un ministre de l’Éducation de l’Île-du-Prince-Édouard concernant une commission scolaire de la minorité devait tenir compte du droit à l’enseignement dans la langue de la minorité prévu dans la Charte canadienne des droits. Et ce droit peut être interprété à la lumière du principe de la protection des minorités. Mais d’autres jugements laissent à penser que le Québec jouit de plus d’autonomie que les autres provinces en matière d’éducation, afin de lui permettre de protéger le français.
On est ici au cœur de l'enjeu: si les tribunaux devaient invalider la décision du ministre Roberge, c’est la capacité du gouvernement du Québec à défendre le français qui serait en cause. Car la décision du ministre découle tout simplement de l’application de la loi 101 qui, en prévoyant que les francophones et les immigrants doivent envoyer leurs enfants à l’école française, vide en partie les écoles anglaises. Donc, derrière la contestation à venir de cette décision se cache la contestation de la loi 101.
D’ailleurs, c’est cette même Association des commissions scolaires anglophones du Québec qui, en 1984, a obtenu de la Cour suprême un jugement limitant la portée de la loi 101 dans le domaine de la langue d’enseignement. Et ce n’était que le premier d’une série de jugements qui allaient avoir ce même effet.
Toutefois, comme je l’ai démontré dans mon livre Le droit linguistique au Québec (LexisNexis, 2017), ces jugements ont eu un impact limité, car le tribunal de première instance qui décide en matière d’accès à l’école anglaise, le Tribunal administratif du Québec, est très rigoureux dans l’application de la loi 101 et favorise une interprétation large de la règle, l’école française; et une interprétation stricte de l’exception, l’école anglaise. Il faut dire que, contrairement aux juges de la Cour suprême, ceux qui officient à ce tribunal sont nommés par le gouvernement du Québec.
Chose certaine, on n’a pas fini d’entendre parler de cette histoire qui annonce peut-être une nouvelle crise linguistique. Car, faut-il le rappeler, dans les années 1960, c’est un projet de transformation d’une école francophone en une école anglophone qui avait déclenché une telle crise...»