En 1992, par la grâce du traité de Maastricht, la France se trouvait engagée sur la voie de la monnaie unique européenne. Désormais, elle allait devoir respecter des critères de convergence économique qui accéléreraient le mouvement de destruction de son modèle social. En effet, comme l’indique Bruno Palier dans son ouvrage « Gouverner la sécurité sociale » (P.U.F., 2002), le nouveau traité « prévoit la stabilité des taux de change, la réduction de l’inflation, le maintien des déficits publics sous la barre des 3% du PIB et de la dette publique sous les 60% du PIB ».
Le même auteur nous rappelle qu’en conséquence, « il n’est définitivement plus possible d’utiliser les dépenses sociales pour relancer l’activité économique par une augmentation du pouvoir d’achat. En outre, on ne peut plus jouer sur le taux de change entre États membres pour concilier évolution différente des coûts salariaux par unité produite et maintien de la compétitivité. Les politiques sociales apparaissent dorénavant comme des coûts, dont il s’agit de contrôler l’augmentation si l’on veut respecter les critères de Maastricht ».
On voit bien ici la duplicité de tous les responsables politiques qui déplorent l’absence de toute relance, alors que, par ailleurs, ils refusent de jeter le moindre regard sur les effets voulus de la monnaie unique.
En conséquence de Maastricht, ce qui se rangeait jusqu’alors dans le domaine de l’obligation de solidarité, cède peu à peu la place, pour celles et ceux qui en ont les moyens, à des placements volontaires orientés vers le secteur privé. Dans le cas des retraites, Bruno Palier fait la constatation suivante :
« Si l’on analyse l’évolution de la composition du patrimoine des ménages français, on s’aperçoit que la part prise par l’épargne destinée à la retraite (assurance vie et épargne retraite stricto sensu) n’a fait qu’augmenter au cours des années 1990, période d’intenses débats et remises en cause du système de retraite par répartition. Mais, alors que 31% des ménages français possédaient un tel patrimoine en 1986, ils étaient 46,6% en 2000. »
En face du continuum hiérarchisé qu’avait pu produire l’appui précédemment pris sur la diversification des statuts professionnels, un mouvement complètement nouveau se dessine désormais. Bruno Palier écrit :
« La séparation des assurances et de la solidarité contribue ainsi à dualiser le système français de protection sociale. Cette dualisation est double. D’une part, elle sépare les populations couvertes en deux groupes : ceux qui relèvent de l’assurance (ayant suffisamment contribué pour bénéficier des prestations d’assurance sociale) et ceux qui relèvent de la solidarité (ne devant compter que sur les prestations sous condition de ressources). D’autre part, cette distinction divise le système en deux groupes de secteurs : les secteurs relevant toujours principalement des assurances sociales (retraites et chômage, même s’ils intègrent des prestations sous condition de ressources destinées aux plus démunis), et les secteurs relevant de plus en plus d’une logique non contributive, financée par l’impôt et servant des prestations forfaitaires (santé et famille, politiques sociales de l’État – nationales, départementales et communales). »
De la solidarité sociale, nous voici donc passés à la fracture sociale que décrit Bruno Palier :
« La nouvelle configuration de la protection sociale renforce cette dualisation qui sépare les travailleurs protégés (les « insiders« ) et les populations fragilisées, risquant l’exclusion (les « outsiders« , souvent des femmes, des jeunes, des chômeurs de longue durée). »
Et voici maintenant les résultats chiffrés :
« En 2000, les conditions de vie de 3,4 millions de ménages – soit 6,1 millions de personnes, soit encore plus de 10% de la population française et près de 15% des ménages – dépendent du niveau des minima sociaux. Comme le souligne CERC association, « la hausse du nombre de bénéficiaires a été importante depuis le début des années 1980, l’effort financier qui leur est consenti n’a guère suivi depuis 1983. Malgré certaines revalorisations récentes, le niveau de ces garanties minimales de revenu reste faible, compris entre 20% et 40% du revenu moyen des ménages« . »
Manifestement, le capitalisme français et son essentielle composante (les multinationales) des environs de l’an 2000 ne fondent plus aucun espoir sur cette partie de la population qui est sortie, malgré elle, du panoptique créé au milieu du vingtième siècle. Elle peut bien faire tout ce qu’elle veut – sauf à mettre en danger le cours normal des affaires –, elle n’est plus rien que le vestige d’une époque complètement révolue.
Recourons une nouvelle fois aux précieux travaux de Bruno Palier :
« Dorénavant, la Sécurité sociale semble devoir s’adapter au nouvel environnement économique et non pas contribuer à la croissance économique. La Sécurité sociale doit répondre aux exigences de la compétition internationale. Ce sont désormais les entreprises qui paraissent constituer la principale source de richesse, de développement, donc de bien-être. Il s’agit de favoriser leur libre développement et de soumettre toute autre activité à leur logique. C’est pourquoi, selon cette nouvelle conception, le financement de la protection sociale doit être modifié afin de moins peser sur les entreprises et plus sur les ménages. »
Parmi ces entreprises, il faut donc faire une place de choix aux multinationales, à leurs sous- traitants et à tout ce qui leur fait cortège. C’est à elles qu’il revient, au sein de l’impérialisme occidental, d’aller conquérir cette richesse économique mondialisée qui, désormais, seule compte. Quant aux peuples…
Pour d’autres éléments, consulter : http://unesanteauxmainsdugrandcapital.hautetfort.com/archive/2011/08/23/un-furet-nomme-mediator.html
Michel J. Cuny
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