Du feu dans notre histoire

L’âme des peuples se trouve dans leur histoire

Dans les milieux savants, l'histoire narrative, celle qui, d'après l'explication de François Furet, se présente «selon la structure d'un roman, à cette exception près qu'il faut en tisser la trame avec des faits véridiques et vérifiés dans les règles», cette histoire-récit, donc, n'a plus la cote. On lui préfère une «histoire-problèmes», moins personnalisée, attachée aux tendances lourdes (démographie, économie, changements sociaux) et souvent thématique (transports, agriculture, éducation, etc.). Ce changement d'approche, qui date déjà de quelques décennies dans les milieux spécialisés, n'est pas étranger, même s'il ne les résume pas, aux récents débats suscités par le nouveau programme d'histoire de l'école québécoise et soulève une question fondamentale: cette «nouvelle» histoire discrédite-t-elle l'ancienne?
Fernand Braudel, un des pères de cette approche historique qui met à contribution les diverses sciences humaines, prônait lui-même la diversité. «Pour moi, écrivait-il, l'histoire est la somme de toutes les histoires possibles, une collection de métiers et de points de vue, d'hier, d'aujourd'hui et de demain. La seule erreur, à mon avis, serait de choisir l'une de ces histoires à l'exclusion des autres.» Cette prudente mise en garde, si elle était entendue par nos débatteurs souvent manichéens, nous épargnerait bien des mauvais débats.
Composée de récits biographiques mettant en vedette les personnages marquants de notre histoire, la collection «Les grandes figures», publiée par l'éditeur XYZ, pratique une histoire-récit vulgarisée. Elle ne satisfait peut-être pas les spécialistes, mais elle offre au grand public, notamment aux adolescents, des ouvrages de qualité qui lui permettent d'explorer son histoire grâce à des récits débordant de vie. L'histoire du Québec et du Canada, dans ces pages, s'incarne et fascine.
Un chef enflammé
La saga des Métis de Rivière-Rouge eut certes des tenants et aboutissants complexes qu'une histoire savante contribuerait à faire comprendre. Mais elle reste, d'abord, une épopée, animée par des humains pleins de passion. C'est ce que raconte l'écrivaine canadienne-anglaise Sharon Stewart, avec une belle énergie, dans Louis Riel. Un homme de feu.
Bousculés par le nouvel État canadien qui avait des projets d'expansion, les Métis du territoire qui deviendra le Manitoba se sont trouvé un chef enflammé en Louis Riel. Celui qui finira ses jours en prophète illuminé aurait, selon Stewart, respiré «un air chargé de religion» dès sa naissance. Ses premiers mots, d'après ses parents, auraient été «Jésus», «Marie» et «Joseph»! À l'école, il donnait ses repas aux «enfants affamés» et prenait la défense des victimes. «Rien d'étonnant alors à ce que les autres garçons l'aient considéré comme un petit saint», écrit Stewart, non sans insister sur la nature orgueilleuse et rebelle de l'élève du Collège de Montréal.
À la tête des siens, dépouillés de leurs terres par un État canadien inique, Riel s'imposera comme un chef charismatique en quête de justice pour tous, mais prêt au combat total devant des adversaires intransigeants. A-t-il fait une erreur fatale en autorisant la condamnation à mort, en 1870, de Thomas Scott, un prisonnier des Métis jugé dans de douteuses conditions? «La population de Rivière-Rouge fut horrifiée, écrit Stewart. À présent, Riel était respecté. Il était également craint.» Et son juste combat, entaché d'une violence justifiant, du point de vue de ses ennemis, de sauvages représailles.
Ceux qui ne connaissent pas la triste suite de cette histoire, c'est-à-dire le relatif échec des Métis et la scandaleuse pendaison de Riel en 1885, la découvriront avec émotion dans ce vigoureux récit. Tous seront troublés par la fin de parcours de cet «homme de feu», habité par des visions religieuses confondantes et pourchassé par un pouvoir canadien revanchard.
Il ne saurait y avoir, pour «l'espèce fabulatrice» (Nancy Huston) que nous sommes, d'Histoire sans histoires. Celle de Riel est encore brûlante.
La passion de Jeanne Mance
Comme Louis Riel, Jeanne Mance se voulait une laïque au service de Dieu. Considérée, à juste titre, comme une des fondatrices de Montréal, où elle fut à l'origine de l'Hôtel-Dieu en 1645, la jeune Française vécut elle aussi dans un univers où la voix divine se faisait entendre.
La biographe Françoise Deroy-Pineau, spécialiste des pionnières de la Nouvelle-France (Marie de l'Incarnation, Madeleine de La Peltrie, Jeanne Leber), raconte le parcours de cette «infirmière sans frontières» avant la lettre dans Jeanne Mance. De Langres à Montréal, la passion de soigner, une brève biographie d'abord parue en 1995, de facture plus classique que les ouvrages de la collection «Les grandes figures» et dont les deux sources principales sont les oeuvres de Marie Morin et de François Dollier de Casson, «premiers historiens de Montréal au XVIIe siècle».
C'est «une voix», y apprend-on, qui aurait suggéré à Jérôme Le Royer de La Dauversière, un percepteur d'impôts français, «de créer un ordre de filles hospitalières au service des pauvres malades» et de fonder à Montréal une colonie pour convertir les Amérindiens. Appuyé par quelques nobles et religieux haut placés de l'époque, ce «concepteur de Montréal» pourra compter sur la passion de Jeanne Mance pour mettre en oeuvre ce voeu divin.
La mission ne sera pas de tout repos. Les Agniers harcèleront sans cesse les Montréalais, qui ne sont que 70 en 1645, Jeanne Mance devra apprendre à soigner des têtes scalpées et quêter un financement qui tarde souvent à venir. Rendue infirme, en 1657, par une chute sur la glace, elle sera guérie, croit-elle, grâce à la relique du coeur de monsieur Olier, fondateur des Sulpiciens et promoteur de Montréal.
Plus instructive qu'entraînante, cette petite biographie rappelle à tous que Montréal est née d'un élan aristocratique, catholique et, en bonne partie, féminin.
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Louis Riel

Un homme de feu

Sharon Stewart

Traduit de l'anglais par Hélène Rioux

XYZ

Montréal, 2009, 216 pages
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[Jeanne Mance

De Langres à Montréal, la passion de soigner->http://findarticles.com/p/articles/mi_hb6688/is_62/ai_n28680044/]

Françoise Deroy-Pineau

Bibliothèque québécoise

Montréal, 2009, 136 pages


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