Doit-on dire "le" ou "la" Covid-19 ?

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Le Québec impose le féminin à la France

Depuis quelques jours, on commence à entendre ou lire un timide "la" Covid, dérogeant ainsi au "le" Covid, qui était en usage jusqu'ici. Pourquoi ce changement ?


On ne dirait pas "le" Covid-19 mais "la" Covid-19 ? C'est en tout cas ce que l'on commence à lire ici et là, au gré de quelques articles parus dans la presse scientifique. Y compris sur France Culture, où Nicolas Martin, auteur d'une chronique consacrée à l'actualité scientifique du coronavirus, n'a pas dérogé à cette nouvelle règle orthographique :



...LA Covid-19. On me répète qu'il faut en parler au féminin, puisqu'il s'agit de l'acronyme de Coronavirus Disease 2019, traduit donc "Maladie à coronavirus 2019". Maladie étant féminin, je m'y tiendrai donc désormais : la Covid-19.




Mais pourquoi ce brusque revirement, alors que jusqu'ici le terme "le" Covid pour désigner la maladie faisait consensus ? Etait-il nécessaire de corriger le tir ? 


La réponse nous vient de l'autre côté de l'Atlantique, plus précisément du Québec où, alors que le masculin était de mise dans un premier temps, il a été décidé de lui substituer un féminin, comme le raconte le linguiste Michel Francard : 



La francophonie européenne s'est ralliée au masculin depuis l'apparition de la pandémie. Au Canada, après l’emploi initial du masculin, une recommandation officielle de l’Office québécois de la langue française, avalisée par divers experts, a changé la donne. Dans la foulée, les médias (dont Radio Canada) ont changé leur pratique.



Car si le terme coronavirus désigne le virus, le terme Covid-19 désigne quant à lui la maladie causée par ce même virus. Or "Covid-19" n'est pas tant un nom qu'un acronyme, formé à partir de la contraction des mots "coronavirus" et "disease", affublés d'un "-19" en raison de l'année de sa découverte, 2019. Et l'Office québécois de la langue française précise, dans sa fiche terminologique, la règle qui consiste à attribuer à un acronyme un genre conforme à la langue originale : 



On constate une hésitation dans le genre attribué au terme COVID-19, probablement à cause de la confusion entre la dénomination du virus (SRAS-CoV-2, masculin) et celle de la maladie (COVID-19,  féminin). Les sigles étrangers prennent généralement le genre qu'aurait en français le mot de base qui les compose (voir, à ce sujet, l'article  de la Banque de dépannage linguistique intitulé Déterminant devant le sigle). En vertu de cette règle, COVID-19 est de genre féminin, car dans la forme longue du terme français, maladie à coronavirus 2019, le mot de base est maladie.



La traduction de "disease" - "maladie" - étant un féminin, Covid-19 devrait donc s'accorder au féminin... tout du moins au Canada. Pour la lexicologue Sandrine Reboul-Touré, l'usage initial qui a été fait du genre masculin fait pourtant sens dans les médias francophones, en raison de ce qu'on appelle la "motivation linguistique" : 



On est en plein chantier de néologie et ça fuse dans tous les sens. Pour moi, les médias ont commencé par dire "le" car dans "Covid" il y "Co-", au même titre que dans "coronavirus". Il était donc logique de dire "le" Covid, au même titre qu'on dit "le coronavirus". Ici, c'est la motivation linguistique qui explique le masculin. En linguistique, la motivation linguistique c'est le fait qu'on puisse essayer de donner du sens, à partir de la forme. Or pour la plupart d'entre nous, quand on voit "Covid-19", il est très difficile de voir apparaître une forme là-dedans. Il faut déjà avoir certaines connaissances. Si on prend une personne au hasard dans la rue, elle ne pourra pas vous expliquer le sens de ce mot-là. Pour le commun des mortels, le "Covid-19", c'est donc la même chose que le virus, et non pas la maladie.



 

Au Québec, sur l'impulsion du gouvernement, "la Covid" s'est d'ores et déjà substitué au "le Covid". Au Québec, sur l'impulsion du gouvernement, "la Covid" s'est d'ores et déjà substitué au "le Covid".• Crédits :


De l'anglais au français : comment genrer la traduction ?


Mais pourquoi ne s'accorde-t-on pas avec le Québec ? En France, nulle autorité linguistique ne semble en effet s'être prononcée sur la question. "Je sais qu'il y a des différences en français entre le Québec et le reste de la francophonie, comme par exemple pour certains anglicismes comme "une job" ou "une business" détaille la docteure en linguistique française Maria Candea : 



J'ai l'impression que pour le/la Covid c'est la même chose : le Québec versus le reste de la francophonie. J'imagine que les règles sont toujours basées soit sur le sens donné à la catégorie (on va dire une Leffe, une Guiness parce que c'est une bière), soit sur la sonorité. Pour ce qui est de "Covid", des mots qui finissent en "id" (prononcé "id", donc ça exclut "froid" ou "nid") il n'y en a pas, sauf quelques emprunts masculins ("caïd", "polaroïd", "tabloïd"), ce qui peut influencer le genre qu'on donne spontanément à un mot. Cela dit il reste des cas mystérieux : je ne sais pas du tout pourquoi on dit UN Perrier et UNE Badoit !




Le directeur de recherches en sciences du langage à l'Université de Paris Sorbonne, Loïc Depecker, précise quant à lui qu'en "ce qui concerne les langues, un mot emprunté à une langue par une autre garde certaines propriétés de sa langue d'origine, mais en perd aussi, voire en acquiert d'autres" :



Ainsi, en français, les anglicismes ont souvent un genre masculin : un club, un smoking. Alors qu'en français québécois, les anglicismes se conjuguent au féminin : une job, une sandwich, une vanity-case... 



"Mon sentiment, c'est que les Québécois sont bilingues, et qu'ils savent donc qu'il faut passer au féminin" tranche la lexicologue Sandrine Reboul-Touré, en assurant que si ces derniers ont "beaucoup d'impact", cela n'en justifie pas moins l'usage du masculin côté français :



Ce qui est très peu analysé il me semble quand on s'occupe de mots nouveaux, c'est de savoir qui les utilise. "Le" Covid-19 c'est le commun des mortels, "la" Covid, à l'exception des Québécois, ce sont plutôt les spécialistes. Par exemple, lors de la crise de la vache folle, c'est "la vache folle" qui était plutôt utilisé dans la presse et par le grand public. Même si les spécialistes parlaient d'encéphalopathie spongiforme bovine, tout le monde parlait de la vache folle. La métonymie était si évidente que c'est devenu le mot de tout le monde. Si des journalistes à la télévision et à la radio se mettent tous à dire "la Covid", ça va être répété et répété et peut être que cela va s'immiscer dans le langage usuel.



Pour le moment, et faute de règles de traduction précises, c'est donc l'accord au masculin qui prévaut... Quand bien même la logique voudrait que la locution "la maladie à coronavirus 2019" tende à affubler sa contraction, "Covid-19", d'un déterminant féminin. Ces interrogations ne sont pas sans rappeler un débat linguistique sensiblement équivalent et issu de la communauté des "gamers" : doit-on dire "la gameboy", en référence à "la" console de jeu, ou bien "le gameboy" en référence à sa traduction littérale, "le garçon-jeu" ? Dans le français courant, c'est le premier usage qui prédomine malgré les cris d'orfraie des spécialistes... et alors même que Nintendo, le créateur du gameboy, a tranché en faveur du masculin.