C'est évidemment une diversion que cette commission d'enquête sur la nomination des juges. Elle a l'avantage de renvoyer à plus tard le témoignage de Marc Bellemare. Et aussi de mettre sur le même pied les libéraux et les péquistes: les deux partis ont nommé des juges en préférant parfois le lien politique à l'excellence du candidat.
Mais était-ce le sujet? Bien sûr que non. La nomination sous influence de deux ou trois juges (ça dépend des entrevues) par Marc Bellemare ne serait que l'effet, pas la cause. La cause du problème, c'est le financement des partis politiques - de tous les partis, n'en déplaise à Pauline Marois. Le sujet, c'est l'influence indue de l'argent sur la politique et les politiques. L'argent, entre autres, des entreprises de construction, grands pourvoyeurs de fonds politiques.
Ce qu'il aurait fallu, comme le suggère Pauline Marois, c'est que le premier ministre confie à un juriste respecté la tâche de définir le mandat d'une commission d'enquête autour de ces enjeux.
Pourquoi déclencher une enquête, et publique en plus, parce qu'un vague ex-procureur général dénonce deux nominations et demie?
Pour parler d'autre chose. Plus tard.
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Cela dit, pour avoir écrit un nombre trop élevé de chroniques ennuyantes sur ce sujet, je serais mal placé pour vous dire que ce n'est pas important.
Je suis journaliste depuis 1988 et pendant ces 22 ans, j'ai vu et lu beaucoup de juges. J'ai vu le niveau monter nettement. Il n'y a plus de ces dinosaures dont il suffisait d'évoquer le nom pour gagner une cause en appel.
Les juges sont mieux choisis, mieux formés, ils travaillent plus fort. On nomme généralement de bons ou très bons candidats, parfois d'excellents, moins de médiocres. Cette règle s'applique à tous les partis, au provincial comme au fédéral.
Pourquoi? On est plus exigeant et les juges sont plus que jamais sous l'oeil du public. Les gaffes qui autrefois se racontaient sous le manteau sont exposées dans les médias.
On a mis en place des processus de sélection des juges qui assurent un tamisage. Au fédéral, un comité de plusieurs membres (juges, avocats, membres du public et représentant de la police) sélectionne les candidats qui sont qualifiés pour être nommés juges. Leurs noms sont placés dans une banque pendant deux ans et le gouvernement peut les nommer à sa discrétion.
Au Québec, on procède par concours chaque fois qu'un poste s'ouvre. Un comité formé d'un représentant de la magistrature, du Barreau et du public dresse une liste de candidats aptes après entrevue.
Tout cela est bon pour écarter les incompétents. Mais ça ne garantit nullement que le meilleur candidat soit choisi. On laisse encore trop de place à l'arbitraire politique pour choisir parmi les «aptes» le candidat ami.
Ce qui ne veut pas dire, par exemple, que les conservateurs nomment des membres du parti. Ils ont nommé plusieurs candidats totalement apolitiques et de très haut niveau. Leurs nominations plus politiques ont souvent été noyées dans un lot de nominations remarquables. Mais il faut généralement un parrainage quelque part dans la machine. Rares sont les juges sans généalogie politique, aussi apolitiques qu'ils soient.
À sa retraite en 2005, l'ancienne juge en chef de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse Constance Glube, juriste éminente qu'on voyait à la Cour suprême, a déploré l'influence politique dans les nominations. Une évidence restée sans écho dans le milieu.
En 2006, le professeur Troy Riddel, de l'Université Guelph, a recensé près de 1000 nominations fédérales faites entre 1988 et 2003. Il a trouvé qu'environ 30% de juges nommés, tant par les conservateurs que les libéraux, avaient donné aux partis politiques dans les cinq années précédant leur nomination. Dans la population en général, c'est 1%. En 1991, des profs de Toronto ont trouvé une corrélation entre la mauvaise réputation des juges et leur degré d'engagement politique - 24% avaient eu un engagement «majeur» et 23% un engagement «mineur» en politique.
On pourrait dire la même chose au Québec, sans doute. Encore une fois, des juges avec un passé politique peuvent être excellents. On attend seulement le jour où un ministre de la Justice pourra nous dire sérieusement deux choses: 1) son passé politique n'a pas du tout joué dans sa nomination; 2) c'était le meilleur candidat disponible.
En ce moment, même si le niveau monte, c'est loin d'être toujours le cas.
Diversion et nominations
Pourquoi déclencher une enquête, et publique en plus, parce qu'un vague ex-procureur général dénonce deux nominations et demie? Pour parler d'autre chose. Plus tard.
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