Vingt ans après l'échec des négociations du Lac Meech, le fédéralisme canadien a-t-il démontré sa capacité de se réformer de manière à satisfaire les besoins et les valeurs des Québécois? Qu'en pensent Québécois et Canadiens? Dans le cadre du colloque 20 ans après Meech, quelle est la place du Québec dans le Canada?, quatre intellectuels — Danic Parenteau, Claude Bariteau, Gilbert Paquette et Jean-François Lisée — présentent leurs réflexions, que Le Devoir publie à compter d'aujourd'hui. Le colloque, organisé sous les auspices des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO) en collaboration avec le Bloc québécois, aura lieu le samedi 8 mai prochain à Montréal.
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Premier d'une série de quatre textes
Cette année marque les 20 ans de l'échec de l'accord du Lac Meech, cet accord constitutionnel qui devait ramener le Québec dans le giron canadien à la suite de son refus d'adhérer à la Constitution de 1982. En 1990, est fondé sur la scène fédérale le Bloc québécois, un parti souverainiste qui, depuis lors, réussit à remporter une majorité absolue de sièges au Québec à l'occasion de toutes les élections générales fédérales.
En 1992, les Canadiens et les Québécois ont rejeté l'accord de Charlottetown, lequel devait à son tour régler la question constitutionnelle québécoise. Trois ans plus tard, à l'occasion d'un référendum, le deuxième en quinze ans, 49,4 % des Québécois se sont prononcés pour la souveraineté du Québec.
Devant les revendications manifestes exprimées et maintes fois renouvelées par les Québécois depuis deux décennies, quelles ont été jusqu'ici les réponses du Canada? Force est de l'admettre, les seules répliques jusqu'ici offertes par la fédération canadienne sont foncièrement incompatibles avec les aspirations du Québec comme nation.
Les réponses officielles
D'abord, à la suite du référendum de 1995 fut élaboré par Ottawa le programme des commandites. Ainsi, entre 1997 et 2003, le gouvernement fédéral finança au coût de 330 millions de fonds publics une vaste campagne qui, sous le couvert de relations publiques en vue de promouvoir l'unité canadienne, avait en réalité tout d'une véritable stratégie de propagande en vue d'acheter l'allégeance politique des Québécois. Entaché d'irrégularités comptables massives et poursuivant des objectifs à la légitimité démocratique douteuse, ce programme s'acheva en l'un des plus importants scandales de l'histoire politique récente du Canada.
Ensuite, à l'été 2000, Ottawa vota la Loi de clarification (dite «loi sur la clarté référendaire»). Or, dès le départ, cette loi ne visait ni à satisfaire les revendications constitutionnelles des Québécois ni à introduire dans la Constitution canadienne —, et ce, malgré la prétention qui l'accompagne — certaines modalités en vue d'encadrer une éventuelle sécession d'une province canadienne. Son véritable objectif fut toujours et demeure celui de rappeler aux Québécois que le pouvoir fédéral entend demeurer maître du jeu, autrement dit, maître du sort politique d'une de ses provinces. Sa portée est d'abord politique, en ce qu'elle se veut une démonstration de force de la part d'Ottawa, dirigée principalement en direction du Québec.
Enfin, à l'automne 2006, la Chambre des communes adoptait à l'unanimité une motion reconnaissant que les Québécois forment une nation, à vrai dire, une nation dans la nation canadienne. Plus factice que réelle, plus symbolique qu'effective, cette reconnaissance n'a jamais été jusqu'ici accompagnée de gestes politiques ou constitutionnels concrets de la part d'Ottawa. Le récent projet de loi qui propose d'ajouter 30 nouveaux sièges de députés au Canada (en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique), et qui aurait pour conséquence de réduire fatalement le poids politique relatif du Québec au sein de la fédération, témoigne avec éloquence du peu de valeur que revêt véritablement cette motion parlementaire.
Ainsi, force est de constater que depuis 20 ans, le Canada continue sciemment d'ignorer les revendications profondes des Québécois. Or, pendant ces deux décennies, en marge de ces actions ciblées vers le Québec, nous avons assisté à une mutation profonde dans la manière dont ce pays a de se représenter symboliquement, une représentation dans laquelle le Québec n'a plus de place, si ce n'est qu'un espace marginalisé. Aussi, est-ce bien plutôt du côté de cette mutation qu'il faut trouver ce qui constitue implicitement la véritable réponse d'Ottawa aux revendications québécoises.
La «canadianisation» de la fédération canadienne
Au cours des années 1980, dans le prolongement du rapatriement de la Constitution, la fédération canadienne, alors déterminée à «ne plus continuer à exister sans constituer une nation», se lança d'abord dans un ambitieux programme de construction nationale. La défaite référendaire du camp du «Oui» en 1995 a eu pour effet immédiat d'entraîner une accélération sans pareille de ce processus politique de nation building, un processus dont les Jeux olympiques d'hiver de Vancouver et le débordement de zèle patriotique auquel il donna lieu constituent le dernier acte.
En conséquence de ce processus, toute saisie du Québec doit désormais s'inscrire à l'intérieur des paramètres imposés par cette nouvelle représentation symbolique du Canada comme nation — laquelle, si elle peut certes laisser transparaître ici et là quelques couleurs locales ou régionales, et si elle se décline en deux variantes (le Canada anglais et le Canada français), apparaît néanmoins fortement unifiée. Le Canada comme nation constitue une entité inséparable. Aussi dans cet ensemble symbolique ne trouve-t-on désormais plus de place pour un quelconque arrangement capable de satisfaire les revendications identitaires propres au Québec comme peuple.
Identité du Québec
Ensuite, nous avons assisté ces dernières années à une redéfinition en profondeur du Canada, non seulement à la lumière d'une visée nationale, mais aussi à l'aune de l'idéal multiculturaliste; le Canada se pense désormais comme une société multiculturelle. Le principal effet de cette nouvelle représentation est de rendre désormais impossible toute saisie du peuple québécois à l'extérieur des catégories identitaires propres à ce modèle de société et à l'idéologie qui le sous-tend.
Du coup, la spécificité identitaire québécoise se voit dès lors noyée dans une différence indifférenciée, une mosaïque culturelle au sein de laquelle il n'existe plus que des minorités culturelles. Aussi, cette nouvelle conception a-t-elle pour conséquence de déchoir la nation québécoise de son statut de «peuple fondateur» du Canada, à titre d'héritière des Canadiens français. Les Québécois n'apparaissant alors plus qu'en tant que simple minorité parmi d'autres; une minorité au statut comparable à celui des Chinois de Vancouver, des Pakistanais de Toronto ou des Ukrainiens de l'ALSAMA.
En définitive, ce qu'illustrent ces diverses réponses du Canada au Québec au cours de ces deux dernières décennies est un refus de plus en plus marqué de reconnaître un quelconque statut particulier au peuple québécois, mais aussi un quelconque droit au Québec à disposer de lui-même. Le Canada, avec son identité politique réaffirmée, entend bien rester maître du jeu et maître de l'identité des Québécois, et ce, au détriment d'eux-mêmes.
Aussi, faut-il en venir à l'évidence: que ceux qui parmi les Québécois espèrent encore possible une réforme du Canada qui puisse satisfaire aux aspirations du Québec comme nation voient enfin clair. Force est de conclure que la seule voie d'avenir pour le Québec comme nation se trouve à l'extérieur de la fédération canadienne.
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Demain: «Le peuple du Québec: collectif de subordonnés ou nation politique?»
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Danic Parenteau - Professeur adjoint au Collège militaire royal de Saint-Jean
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