Montréal-Nord. Sur le pas de la porte, des valises qui ne sont pas encore défaites. Plus loin, quatre chaises orphelines de table. Un divan, face au mur, a l’air en pénitence. La cuisine, elle, est vide. Ou plutôt pleine de débris arrachés de la salle de bain en chantier. Dans les chambres, des vêtements sont étendus par terre en guise de lit. « On n’a pas encore de matelas », dit Ozier Elissance en baissant les yeux, comme honteux de dormir à même le sol.
C’est dans ce quatre et demi que vit depuis un mois ce Haïtien d’origine avec sa femme et leur petit Bladimi de deux ans et demi. Ils y hébergent pour l’instant leur ami Israël Delinx qui, avec son épouse, attend lui aussi depuis un mois que les travaux se terminent dans l’appartement loué à quelques pas de là.
« À notre arrivée, c’était extrêmement, extrêmement, extrêmement… » Israël Delinx cherche ses mots. « Laid », l’interrompt son ami Ozier. Pas de vermine ni d’insectes, mais des odeurs de renfermé, de la saleté incrustée et des vitres embuées qui laissent présager une mauvaise isolation et de possibles moisissures. Le propriétaire a promis de faire réparer la douche hors d’usage, mais plus de trois semaines ont passé et les travaux viennent tout juste de commencer. « Ce n’est pas de sa faute, c’est l’ouvrier qui a mis du temps à venir », l’excuse Israël, en me tirant une chaise du salon, où l’odeur de la peinture fraîche a été masquée par celle de l’humidité. « C’est M. Ozier, ici, et moi-même, qui avons tout repeint les murs. »
Israël Delinx
span class="intertitre">De Trou-du-Nord à Montréal-Nord
Pour l’heure, c’est ici, à Montréal-Nord, qu’Israël écrira une nouvelle page de son histoire, une histoire qui commence à Trou-du-Nord (« Twou dino » en créole), la ville où il a grandi, près de Cap-Haïtien. Une histoire faite de chicanes de famille, de jalousies et d’argent, et d’un oncle politicien sans scrupules et ambitieux qui tentait de convaincre son neveu de se joindre à son parti politique. « Mais moi, je ne voulais pas. Ça ne m’a jamais intéressé. Je préférais travailler », raconte Israël, qui aborde la trentaine.
L’insistance a pris la forme de menaces de mort. « Et en Haïti, quand on promet la mort… » Il n’oubliera jamais le jour du 11 mars 2014. En rentrant chez lui, Israël a aperçu des hommes armés et sa mère en pleurs. Par terre, son frère, mort. Tué. « J’ai passé trois jours caché. Et j’ai fui. C’est la dernière fois que j’ai vu ma mère. »
Israël Delinx
Il a mis le cap sur le Brésil, où sa femme l’a rejoint, elle aussi menacée. La présidente d’alors, Dilma Rousseff, offrait un permis de travail et facilitait l’accès à la résidence pour les ressortissants haïtiens. C’est là qu’il a connu Ozier. Tous deux ont travaillé dans des usines. Dans les « factories », comme ils disent.
Mais le vent a tourné et le pays a été plongé dans la crise. Les Haïtiens ont été montrés du doigt. Menaces, mises à pied, assassinats. Israël Delinx a refait ses valises. Il ne pouvait pas courir le risque d’être expulsé vers Haïti. De jour comme de nuit, pendant plusieurs mois, sa femme et lui ont traversé les frontières, tantôt en autobus, tantôt à pied. Celles du Pérou, de l’Équateur, de la Colombie, du Panama, du Costa Rica, du Nicaragua, du Honduras, du Guatemala, du Mexique et des États-Unis… jusqu’au Canada. « Le plus dur, c’est les six jours de marche dans la jungle entre la Colombie et le Panama », admet Israël sous le regard approbateur de son ami qui, lui, l’a fait avec sa femme et un enfant d’à peine deux ans sur le dos. « J’ai vu des gens y perdre la vie. »
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir
Bladimi, le fils de Ozier Elissance
Bienvenue au Canada
Israël a foulé le sol canadien via le chemin Roxham le 30 juillet. Ozier, qui a fait le même parcours à quelques jours d’intervalle, est arrivé à la mi-août. Tous deux ont été surpris de ne pas s’être fait passer les menottes aux mains et aux pieds ni d’avoir été détenus dans une cellule comme aux États-Unis. « On nous a dit “bienvenue”, s’étonne encore Israël. Le Canada est le seul pays qui nous a dit “bienvenue”. »
Israël avait savamment préparé son passage au Canada, s’informant des nuits entières sur des blogues et des sites Internet. Dans l’autobus vers Plattsburgh, il n’avait même pas peur. « Je me disais que peu importe ce qui allait arriver, qu’on me menotte, qu’on me mette en prison, j’allais l’accepter. Je devais sauver ma vie », raconte-t-il.
Pour l’instant, rien ne semble pire que les États-Unis, selon eux. « Avant, il n’y avait pas d’espoir. Mais ici, on est traités comme des êtres humains, dit-il, étonné. Et même avec ce qu’on entend chaque jour [dans les médias], on sent que c’est différent. Il y a plus d’encadrement. »
Israël Delinx
La vraie vie
Une fois le chèque d’aide sociale en poche, tous les demandeurs d’asile doivent quitter l’un des centres d’hébergement — dix sont toujours ouverts — pour se trouver un toit. « J’ai pu aller à la bibliothèque. J’aime les livres et faire des recherches », dit-il. « Et vous savez quoi ? Ici, la carte d’abonnement donne accès à toutes les bibliothèques de Montréal, pas seulement celle du quartier », ajoute-t-il avec le sourire d’un enfant devant un magasin de bonbons.
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