À l’orée des célébrations du 375e anniversaire de Montréal, Le Devoir explore en quatre volets les grands courants qui l’ont forgée.
L’historien Denis Vaugeois a l’habitude de décrire les forts anglais du XVIIe siècle en Amérique comme des lieux bien organisés où les Amérindiens ne pénétraient pas. Au contraire, dit-il, les forts français ressemblaient à de véritables « bordels » ! Une façon imagée de dire que les populations française et amérindiennes s’y mélangeaient en permanence.
Il n’y a pas de raison d’imaginer la fondation de Montréal autrement. Lorsqu’ils plantent leur croix sur l’île de Montréal, les dévots Paul Chomedey de Maisonneuve et Jeanne Mance, qui rêvent d’une nouvelle Jérusalem où se mélangeraient Français et Amérindiens, prennent pied sur une terre qui a longtemps été habitée et cultivée par les Iroquoiens. Comme ces grands producteurs de farine de blé d’Inde ont disparu vers 1580, les Français peuvent s’installer sans déloger personne.
« On est alors sur le territoire des Algonquins, dit l’historien Denys Delage (Le pays renversé, Boréal, 1991). D’après la tradition orale reprise par les missionnaires, ce sont eux qui ont accueilli les Français à Montréal. Ceux-ci ne pouvaient s’établir que sur les territoires de leurs alliés. Or, ils sont alliés aux Algonquins depuis 1603. Comme pour Québec qui était en territoire montagnais, il fallait une entente. Sinon c’était la guerre ! »
Si les Français peuvent s’établir successivement à Québec, à Trois-Rivières et à Montréal, c’est grâce au traité conclu par François Gravé en présence de Champlain à Tadoussac en 1603 avec le chef montagnais Anadabijou. Gravé ramène alors de France deux Montagnais (Innus), qui y ont appris le français. À cette fête de l’alliance, qui dura deux semaines, participaient aussi des Algonquins et des Malécites.
« Par ce premier pacte, les Français entrent dans un vaste réseau d’alliances qui existe depuis des siècles, dit Delage. Les Innus, les Algonquins et les Malécites, qui savent fort bien comment se rendre en canot à la baie James, à New York et aux Grands Lacs, étaient déjà alliés aux Cris, aux Micmacs et aux Hurons. Ils sont allés chercher les Français pour mieux résister aux Iroquois qui veulent avoir accès à la traite des pelleteries à Tadoussac. Les Iroquois veulent devenir les grands intermédiaires tout en maintenant les Européens à la marge. Ils voient donc d’un mauvais oeil les Français entrer dans le continent. »
Une aventure mystique
En pleines guerres amérindiennes, la création de Montréal menée par un groupe de mystiques reste pourtant une « folle aventure ». Avec pour résultat que les Iroquois attaquent Montréal en permanence. « À l’époque, c’était une erreur de créer Montréal, dit l’historien Denis Vaugeois. De toute façon, on pouvait rejoindre les Grands Lacs et la baie James par le nord sans passer par Montréal. C’était jeter de l’huile sur le feu par rapport aux Iroquois. »
Dès le début, le projet implique une grande proximité avec les Amérindiens. « C’est un projet colonial dans la mesure où il s’agit d’introduire dans la foi des païens et donc de les transformer et d’en faire des sujets du roi, dit Delage. Ce n’est cependant pas une logique d’apartheid, mais d’inclusion, avec aussi un projet d’hôpital qui soignera tout le monde. »
Même si Montréal devient vite un lieu stratégique pour la traite, l’aventure demeure avant tout spirituelle. « Les mystiques qui fondent Montréal et leurs alliés amérindiens devaient s’entendre comme Hurons en foire, ironise Denys Delage. Car les Indiens sont intéressés au plus haut point par l’univers spirituel et religieux des Français. Plus que par le protestantisme, qui est plus austère tant qu’on n’a pas accès à la Bible. Les Amérindiens, qui sont des animistes, sont curieux et avides de connaître le monde des esprits. L’Immaculée Conception, par exemple, qui fait intervenir un homme avec des ailes et une colombe, demeure une histoire extraordinaire pour ces animistes chez qui les animaux jouent toujours un rôle majeur. »
Privés de Hurons, les missionnaires convertissent des Iroquois qui s’installeront près de Montréal pour défendre la colonie (voir l’encadré). « Au départ, on vient ici pour faire de ces Indiens des Français, dit l’historienne Dominique Deslandres. Dans la conception de l’Ancien Régime, dès que l’on est catholique, on est automatiquement Français et c’est merveilleux. Ça veut dire qu’on n’est pas étranger et qu’on peut léguer ses biens. Pour le roi de France, la richesse d’une nation se calcule au nombre de ses sujets. C’est ainsi que les Français vont s’allier à des milliers d’Amérindiens sur tout le continent. »
Plus tard, les Sulpiciens favoriseront une plus grande francisation des moeurs alors que les Jésuites estimeront qu’une simple conversion suffit. De peur peut-être aussi qu’en francisant trop les Amérindiens, ils deviennent comme les colons plus critiques et moins fervents, dit Delage.
Selon lui, contrairement au Régime anglais, le Régime français sera toujours obligé d’aller à la rencontre des Amérindiens et de se mêler à eux. « En battant les Hurons, les Iroquois vont obliger les Français à entrer dans le continent. À partir de Montréal, ils vont devoir aller au-devant de leurs alliés, si bien qu’ils seront toujours très proches des nations amérindiennes. »
Un métissage sous-estimé
Contrairement à plusieurs historiens, Denys Delage soutient que le métissage fut plus important qu’on ne le dit. « Dès le début, les Français ont besoin des Indiens pour passer l’hiver. Les Jésuites apprennent les langues autochtones. Pour cela il faut être proche. Le père Nicolas parle des sauvages et de leurs fidèles amis, les vieux habitants du Canada. Il dit qu’ils sont toujours ensemble. Pour courir l’Amérique ou connaître la géographie et les remèdes, il faut passer par les Indiens. » Au début de Montréal, les Indiens sont donc partout. Ils viennent y vendre des courges, du blé d’Inde, des produits médicinaux et même des produits de contrebande.
LA FONDATION DE MONTRÉAL (3/4)
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