Ce devait être la journée du retour au calme à l’Université du Québec à Montréal. Ce fut plutôt celle de tous les dérapages. Au terme d’une journée explosive marquée par 21 arrestations en après-midi, cinq arrestations en soirée et de multiples interventions policières au sein même de l’établissement, près de 150 étudiants ont résolu d’« occuper » l’un des pavillons de l’Université, en soirée mercredi. La police a dû intervenir avec force pour restaurer le calme.
Alors que le mouvement étudiant semblait montrer des signes d’essoufflement ailleurs, la situation s’envenime résolument au sein de la maison d’enseignement du Quartier latin.
Aux environs de 21 h, près d’une centaine de protestataires sont allés rejoindre les étudiants ayant « pris possession » du pavillon J.-A.-DeSève, en lieu et place d’une manifestation nocturne qui devait dénoncer les arrestations policières survenues en cours de journée. Tout au long de la soirée, malgré l’atmosphère bon enfant qui régnait au rez-de-chaussée où se trouvaient près de 150 étudiants, d’autres manifestants commettaient des actes de vandalisme en tout genre, arrachant caméras de surveillance et autres dispositifs de sécurité, marquant de graffitis des dizaines de murs et barricadant portes, ascenseurs et escaliers roulants.
Vers 23 h 15, de jeunes adultes cagoulés se sont introduits au Service des comptes étudiants, a constaté Le Devoir. D’autres ont arraché des téléviseurs, brisé des vitres et causé d’autres saccages. Les dommages s’élèvent à plusieurs dizaines de milliers de dollars. À minuit et quart, le SPVM a donné avis qu’il pénétrerait dans l’édifice de la rue Sainte-Catherine pour restaurer le calme.
La police a donné l’assaut contre les occupants peu après. Plusieurs agents du SPVM ont alors fait un énorme trou dans une vitrine de l’entrée du pavillon afin de pénétrer dans le bâtiment, dont les portes avaient été bloquées avec de multiples objets.
Les manifestants ont évacué les lieux rapidement. Vers 1h, les policiers et les gardiens de sécurité de l'UQAM avaient pénétré dans l'édifice et évaluaient l'ampleur des dégâts.
Certains manifestants plus radicaux ont à ce moment décidé de s’en prendre à des véhicules de police. Un panneau de signalisation a entre autres été lancé dans le pare-brise d’une camionnette du SPVM, alors que quatre autres véhicules ont subi des dommages divers.
Quelques dizaines de manifestants ont ensuite emprunté la rue Sainte-Catherine en direction est, où ils se sont emparés de tout objet pouvant être lancé sur la voie publique.
Vers 2 h, le porte-parole du SPVM Ian Lafrenière a confirmé que cinq arrestations avaient eu lieu au cours de l'opération policière à l'UQAM. Une personne a été accusée d'agressions armées sur un policier, et trois constats en vertu de règlements municipaux ont été émis, pour avoir répandu des déchets sur la chaussée ou avoir entravé la sécurité routière. Les dommages portés à la propriété de l'UQAM sont nombreux, a-t-il ajouté. «Il y a eu beaucoup de méfaits. C'est l'université qui pourra évaluer plus les dommages», a dit M. Lafrenière.
D'autres accusations pourraient être portées, mais comme de nombreuses caméras de surveillance du pavillon De Sève ont été détruites par des manifestants, cela pourrait compliquer le travail des forces de l'ordre.
Une longue journée
La journée avait pourtant bien commencé. Après avoir affirmé mardi qu’elle ne ferait appel aux policiers qu’en cas de force majeure, l’UQAM est revenue sur sa parole mercredi vers 10 h et a demandé au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) d’intervenir. Des protestataires masqués — ils étaient une trentaine — munis de parapluies et de peinture en aérosol pour garder au loin les journalistes et le personnel de sécurité avaient tenté de stopper la tenue de cours dans une poignée de pavillons. Quelques bousculades s’en sont suivies.
Trois heures plus tard, les forces de l’ordre étaient de retour. Cette fois, 21 personnes, âgées de 18 à 36 ans, ont été arrêtées et accusées de méfaits et d’attroupements illégaux, a confirmé le SPVM. Lorsque la police a déplacé les personnes arrêtées au sous-sol du pavillon J.-A.-DeSève, à l’angle des rues Sanguinet et Sainte-Catherine, près de 150 étudiants en colère les ont suivis. Résultat : ce sont les policiers qui se sont retrouvés encerclés.
Vers 15 h 45, alors que la tension demeurait palpable, des professeurs se sont installés spontanément entre la police et les étudiants afin d’empêcher toute altercation. Les professeurs, menés par la présidente de leur syndicat, Michèle Nevert, ont suggéré de faire venir le vice-recteur à la vie universitaire Marc Turgeon pour discuter du retrait des forces de l’ordre des locaux de l’UQAM : « Nous aussi, les profs, on est fâchés. Mais il faut trouver une solution. La police n’a pas à se trouver dans une université », a déclaré Mme Nevert, avant d’être applaudie par la foule.
« On s’est passé le mot pour former un mur humain, entre les policiers et les étudiants, pour pas que le SPVM aille les tapocher », a expliqué au Devoir la professeure au Département de danse et vice-présidente du syndicat des professeurs de l’UQAM, Marie Beaulieu.
Les policiers se sont finalement retirés — avec les 21 personnes arrêtées — vers 16 h, laissant les agents de sécurité faire face aux manifestants, toujours avec les professeurs devant. Puis les gardiens ont eux aussi quitté les lieux, laissant le pavillon aux étudiants, qui réclamaient deux choses : le retrait des chefs d’accusation déposés contre les 21 personnes arrêtées et l’abandon des procédures d’expulsion ou de suspension contre neuf militants étudiants au cours des dernières semaines.
Le recteur Proulx maintient le cap
À cet égard, le recteur Robert Proulx n’a aucunement l’intention de fléchir, a-t-il réitéré en soirée en entrevue au Devoir, quelques heures après que le premier ministre Couillard l’eut personnellement sommé de résoudre le conflit qui ébranle l’UQAM, et que la députée du secteur, Manon Massé, de Québec solidaire, l’eut accusé d’avoir rompu le pacte historique entre l’UQAM et sa communauté en faisant pénétrer le SPVM dans les murs de l’établissement. Comment sortira-t-il l’UQAM de cette impasse ? Chose certaine, il n’hésitera pas à faire à nouveau appel au SPVM. « On maintient notre ligne : on ne tolérera aucune forme de violence ou d’intimidation. Nous prendrons tous les moyens nécessaires. On ne fait pas appel aux policiers pour le fun. On le fait car la situation est dangereuse. »
Alors qu’ils occupaient toujours le pavillon DeSève, quelque 200 étudiants ont décidé peu avant 18 h d’orchestrer de nouvelles levées de cours, en contravention de l’injonction obtenue par l’UQAM. Ils semblaient déterminés à demeurer toute la nuit dans le pavillon DeSève, équipés de lits temporaires et de denrées alimentaires. L’assemblée générale improvisée à l’intérieur de l’édifice a par la suite voté pour la « destitution » du recteur Proulx. Celui-ci a perdu toute légitimité pour continuer à gouverner l’établissement, selon les occupants.
Ailleurs, le mouvement étudiant semble montrer des signes d’essoufflement, tout comme dans certaines facultés de l’UQAM. La Faculté des sciences humaines a voté cette semaine pour une grève illimitée, mais celle de langue et communication a mis un terme à son débrayage. Les étudiants en science politique, qui devaient se prononcer mercredi, ont ajourné pour porter secours aux étudiants qui subissaient des arrestations dans les couloirs de l’université.
À l’Université Laval, les associations d’anthropologie et de sociologie demeurent en grève. Quelques facultés de l’Université de Sherbrooke sont aussi en grève. Au niveau collégial, le cégep Marie-Victorin reprend ses classes vendredi, alors que Saint-Laurent est en grève jusqu’à la fin de la semaine. Les étudiants du Vieux-Montréal ont maintenu le mot d’ordre de grève mardi à l’issue d’une longue procédure, et tiendront un nouveau vote le 13 avril.
GRÈVE ÉTUDIANTE
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