Normalement, il faut des semaines, voire des mois, pour qu’un article scientifique soit accepté, révisé par des pairs, puis publié dans une revue savante. Et il faut ensuite des mois, voire quelques années, avant qu’il soit pris en compte dans les documents que les médecins consultent pour décider des traitements. La menace de la COVID-19 accélère radicalement ce passage de la science à la médecine, avec à la clé des risques et des bienfaits.
Voici une illustration de ce phénomène. Le 18 mars, des chercheurs de l’Icahn School of Medicine at Mount Sinai, à New York, ont publié un article scientifique intitulé « What Should Gastroenterologists and Patients Know About COVID-19 ? », qui fournit aux gastroentérologues et à leurs patients (dont certains sont immunodéprimés à cause de traitements pour des maladies inflammatoires de l’intestin) des conseils sur les meilleures choses à faire pour se protéger face à la COVID-19. La revue Clinical Gastroenterology and Hepatology, de l’Association américaine de gastroentérologie, l’avait accepté… six jours plus tôt.
Un délai de publication si court, ce n’est vraiment pas une pratique habituelle. Mais surtout, ce n’est normalement pas le genre d’écrit que les médecins — et les patients — regardent.
Pour savoir comment agir et pour se tenir à jour en fonction des connaissances scientifiques, les médecins suivent plutôt les recommandations contenues dans des guides de pratique, des lignes directrices sur la pratique clinique et des énoncés de position publiés par différents organismes professionnels ou gouvernementaux. Ces documents sont basés sur des revues détaillées de la littérature scientifique, appuyées par des dizaines de références à des études isolées, mais surtout à des méta-analyses de diverses études. Produire de tels documents prend des mois, voire plusieurs années.
L’analyse publiée par les chercheurs américains est beaucoup plus préliminaire. Elle repose sur seulement une quinzaine d’études et d’avis sur la COVID-19 publiés entre janvier et début mars 2020, dont plusieurs portent sur quelques patients. En temps normal, les preuves qu’ils avancent seraient considérées comme totalement insuffisantes pour donner des conseils, le risque étant bien trop grand de se tromper en généralisant à partir de quelques cas qui pourraient être anecdotiques ! Mais dans le contexte actuel, le jeu en vaut quand même la chandelle.
Leur première recommandation aux médecins et aux patients : voir cet avis comme temporaire et se tenir plutôt à jour en suivant ce que publie l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Dans le cas des patients immunodéprimés à cause de traitements pour des maladies inflammatoires de l’intestin, ils conseillent ensuite, pour l’instant, de ne rien changer aux prescriptions et de suivre les conseils de prévention des Centers for Disease Control and Prevention américains, qui sont les mêmes que ceux donnés au Québec par les autorités de santé publique. Selon l’analyse de ces spécialistes, le risque de santé que courraient des patients à cesser leur traitement immunosuppresseur aujourd’hui est bien plus élevé que le risque que l’immunosuppression leur fait courir face à la COVID-19.
Cette manière d’aller aussi vite de la science à la médecine semble justifiée dans les circonstances, à quelques conditions.
D’abord, les revues savantes devraient tenter de doser ce type de publications de manière à ne pas les multiplier indûment, au risque que plus personne ne soit capable de se tenir à jour. Elles doivent veiller plus que jamais à ce que chaque nouvel article publié apporte vraiment quelque chose de nouveau et de pertinent par rapport aux précédents. Ce pourrait être une bonne leçon à retenir alors que l’on connaît depuis quelques années une véritable explosion de la production scientifique, avec beaucoup d’articles qui n’apportent parfois pas grand-chose.
Mais les associations professionnelles ont aussi un rôle fondamental à jouer, en faisant le tri dans ce que publient les revues savantes pour fournir aux médecins des lignes directrices constamment mises à jour, puisque c’est à elles qu’incombe normalement la tâche de conseiller les médecins.
Les groupes de patients, eux, doivent consulter ces lignes directrices et relayer rapidement les conseils aux patients, alors que les autorités de santé publique se chargent de mettre à jour les conseils qui s’adressent à de grands groupes dans la population, par exemple les aînés ou les gens immunodéprimés.
Toute cette chaîne de « digestion » de l’information, depuis les études scientifiques jusqu’à la population, est présentement en mode accéléré, et le pire qui pourrait arriver serait qu’elle perde de sa cohérence en raison des gens qui donnent des conseils ou vont en chercher n’importe où, n’importe comment. Car il sera d’autant plus difficile de modifier les comportements au fur et à mesure que la connaissance du virus progressera. Aujourd’hui, chacun a tendance à déborder de son rôle habituel, et c’est une bonne chose à condition de ne pas exagérer. Il faut espérer que les façons de faire actuelles apprendront à chacun des maillons de la chaîne à se montrer plus efficace dans son rôle dans l’avenir.
Et vous, dans tout ça ? Qui que vous soyez, chercheur, médecin ou quidam, fiez-vous avant tout aux informations des autorités de santé publique, qui sont toujours les plus à jour, et ensuite aux documents qui, normalement, vous sont destinés.
Faire des autodiagnostics et se soigner en lisant des études scientifiques, ce n’est pas une bonne idée ! Consultez plutôt les informations des groupes de patients reconnus (Société canadienne du cancer, Diabète Québec, etc.), puis au besoin votre propre médecin, qui est le seul à connaître votre cas particulier. Il est important de ne pas lui mentir, car cela pourrait vous mettre en danger, en plus d’augmenter le risque pour tout le monde. Restez calme et lavez-vous les mains. 😉
Valérie Borde est journaliste scientifique et fondatrice du Centre Déclic, un OSBL voué au dialogue entre les scientifiques et le public.
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