Il existe donc au Québec des martyrs de la non-croyance qui souffrent de l'exposition de crucifix au point d'en éprouver de tels malaises qu'ils recourent au tribunal des droits de la personne afin que celui-ci leur permette de retrouver leur quiétude. Ainsi, l'histoire abracadabrante du conseil municipal de Saguenay menée tambour battant par un maire Tremblay, ennemi des laïcs fondamentalistes qui lui ressemblent tant. En effet, rien n'est plus semblable que des fondamentalistes de tout acabit.
Réglons d'abord le cas du maire Jean Tremblay, dont la combativité religieuse l'amène à nier la réalité actuelle du Québec. La prière ostentatoire ne convient plus aux réunions des conseils municipaux, et il serait inoffensif et respectueux de la remplacer par un moment de silence éloquent où chacun s'adresserait à Dieu, à Yahvé, à Allah, à Vishnou ou à sa propre mère. Sur ce terrain religieux, les provocateurs sont toujours séditieux alors que seule la modération mène à la paix sociale.
Qui eût cru qu'un jour le crucifix exposé plongerait des incroyants dans les mêmes transes que celles qu'il a de tout temps provoquées chez les hystériques mystiques, mais en mode négatif? Les zélotes de la laïcité souhaiteraient le retour d'un catholicisme revendicatif qu'ils n'agiraient pas autrement. Par leur extrémisme où transpirent le rejet, le ressentiment et le mépris de la religion, ils appellent à une mobilisation inutile. Et avant tout, ils revêtent les oripeaux des éradicateurs des symboles culturels de notre histoire.
Il faut, à ce sujet, affirmer bien haut que l'identité québécoise est indissociable des valeurs qui l'ont construite. Remettre à zéro les compteurs de l'Histoire est l'apanage des barbares. Le Québec a baigné dans la culture religieuse, qui l'a tour à tour modelé, inspiré, construit, contraint, blessé, ému et révélé. Toute cause transformée en absolu s'éloigne de la réalité et mène à l'injustice et à la discrimination. Et lorsque des tribunaux sont incapables de faire cette distinction, ils deviennent eux-mêmes instrumentalisés.
Et dans le jugement au sujet du conseil municipal de Saguenay, le tribunal avait à choisir entre le droit des croyants (majoritaires) et celui des non-croyants (minoritaires). Pourquoi cette tendance à privilégier les non-croyants, leur reconnaissant de facto plus de légitimité qu'aux croyants? L'accommodement raisonnable ne peut pas s'exercer dans un seul sens, comme les multiples exemples au cours des années ont été à même de nous le faire constater.
La laïcité de l'État qu'appuie la majorité des Québécois et qui tend à devenir une des caractéristiques de notre nouvelle identité serait intolérable si elle signifiait la disparition des symboles de notre patrimoine. Le jour où la croix du Mont-Royal s'éteindra par un ordre de cour afin de répondre aux desiderata des laïcats antireligieux, nous serons atteints au coeur et la cécité culturelle nous guettera.
Le débat sur la laïcité, avec ses tentatives d'arracher les crucifix et autres signes religieux du paysage, est marqué aussi par l'incapacité de plusieurs à faire la paix avec les tourments d'une éducation religieuse déficiente, bornée et étouffante. Il faut noter que les enseignements de l'Église ne nous ont pas empêchés de jeter par-dessus bord les chapelets, les missels, la pratique religieuse et le péché mortel. Pourquoi faudrait-il s'acharner sur le patrimoine culturel religieux qui nous a aussi formé l'esprit, nous a enseigné le respect de notre langue, l'amour du prochain et le sens du sacré, sans lesquels nous n'aurions pu nous émanciper et mettre de l'avant les valeurs collectives transformées en identité nationale?
Quand cesserons-nous, donc, de nous autoflageller de la sorte? Quelles menaces font donc peser sur notre avenir les églises, les calvaires et les croix de chemin de nos campagnes et la toponymie religieuse?
N'est-ce pas là d'inutiles combats? Comment expliquer sinon par le retour du refoulé pour faire référence à Freud cet acharnement sous forme de poursuites judiciaires plus frivoles qu'essentielles?
La laïcité de l'État s'impose, mais ne peut apparaître comme l'ennemi de notre passé. La reconnaissance de la pluralité de croyances et d'opinions si chère à notre modernité ne permet pas d'ignorer la sensibilité majoritaire qu'on doit se faire un devoir de ne pas exacerber. Les nouveaux clercs de la laïcité fondamentaliste sont souvent des anticléricaux qui n'ont plus de cibles à viser, l'Église d'aujourd'hui ayant perdu tout pouvoir et toute considération au sein d'une partie importante de la population. Il n'y a qu'une cause qui peut nous rassembler et c'est celle de la laïcité dans le respect de la mémoire collective dont le crucifix devient ainsi un rappel culturel. Dans cette optique, peu importe alors que cela déplaise à certains qui n'ont qu'à se fermer les yeux.
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denbombardier@videotron.ca
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