Le premier ministre Stephen Harper a failli à sa responsabilité d'offrir le leadership rassembleur qui s'imposait pour affronter le ralentissement économique annoncé. Il a ainsi provoqué une crise politique à laquelle la coalition gouvernementale que proposent le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique, appuyés par le Bloc québécois, apparaît comme une solution valable.
Cette crise politique n'aurait pas été si le premier ministre conservateur avait mis en place, au lendemain de l'élection du 14 octobre, un gouvernement au service «des intérêts supérieurs de la nation» et s'il avait accepté de coopérer avec une opposition majoritaire. Au lieu de cela, il s'est attaqué à des principes démocratiques, comme le droit de grève, le financement équitable des partis politiques et le libre accès aux tribunaux. Et plutôt que d'engager des mesures de soutien à l'économie, il a proposé des compressions budgétaires de six milliards. Il s'est imaginé qu'il pouvait gouverner comme s'il était majoritaire.
Cette crise est profonde. Le lien de confiance entre le gouvernement et l'opposition est définitivement rompu. Que ce soit la semaine prochaine ou en janvier prochain, il est certain que les conservateurs seront défaits à la première occasion, et il n'y aura alors que deux sorties de crise possibles. Soit le peuple sera invité à trancher. Mais tenir des élections moins de deux mois après les dernières ne serait pas acceptable, tant en raison des coûts d'un nouveau scrutin que pour l'urgence de mettre en place un plan de soutien à l'économie canadienne. Soit l'opposition sera invitée à former un gouvernement. Cette avenue est une hypothèse qu'il faut considérer comme sérieuse maintenant que les trois partis d'opposition ont couché dans une entente les orientations et les modes de fonctionnement d'un gouvernement de coalition.
Depuis quatre ans, le Canada est dirigé par des gouvernements minoritaires. Il y a eu celui de Paul Martin qui aura duré moins de 18 mois, puis les deux gouvernements Harper, le premier ayant duré 30 mois et le second qui n'a pas encore deux mois. Dans cette période où la stabilité politique a une certaine importance, ce gouvernement de coalition tel que nous le proposent le Parti libéral et le NPD reposerait sur une majorité à la chambre et pourrait offrir cette stabilité pendant les 18 mois pour lesquels le Bloc québécois s'est engagé à lui donner son appui.
Un tel gouvernement de coalition serait tout à fait inédit au Canada, du moins au niveau fédéral, et constituerait, comme l'a affirmé le chef du NPD, Jack Layton, une nouvelle façon de faire de la politique. Les trois partis qui s'associent mettent de côté des divergences pour s'entendre sur des priorités qui font consensus. D'emblée, ils ont convenu de la route à suivre sur les mesures économiques à prendre pour faire face à la crise et qui sont à l'opposé de celles contenues dans l'Énoncé économique et financier de la semaine dernière. Ils ont aussi arrêté les positions de cet éventuel gouvernement sur des questions délicates, comme l'accord de Kyoto ou encore la présence militaire en Afghanistan.
L'entente convenue hier entre ces trois partis ne répond pas à toutes les inconnues qu'aura à affronter un tel gouvernement. Ce n'est pas pour autant l'aventure que nous décrivent les conservateurs. Ce ne serait pas plus risqué que le gouvernement minoritaire de Stephen Harper qui, comme on l'a vu avec l'Énoncé économique de jeudi, est capable de nous amener sur des routes périlleuses.
Cette avenue est fort légitime, quoi qu'en dise le premier ministre, qui fait valoir que ce gouvernement n'a pas été choisi par les électeurs. Rappelons que notre régime politique est un régime parlementaire, et non un régime présidentiel. Une élection sert à élire un Parlement, duquel est issu un gouvernement. Celui-ci tire sa légitimité de la confiance qu'il obtient des parlementaires. Dans les circonstances, celle qu'aurait le gouvernement proposé par les libéraux et les néodémocrates ne fait pas de doute. Ces deux partis ont ensemble obtenu davantage de suffrages le 14 octobre que les conservateurs, soit 44 % contre 37 %. À cela, il faut ajouter les 10 % de voix du Bloc québécois, le «diable séparatiste». On reviendrait ainsi à une pratique plus sensée du parlementarisme duquel on dévie depuis quelques années. Ce serait une bonne chose.
Le gouvernement Harper pourra chercher à se dérober au vote de confiance qui l'attend lundi prochain. Il peut tenter de proroger le Parlement pour le rappeler fin janvier, une hypothèse évoquée. Ce ne serait que chercher à gagner du temps et prolonger une crise dont il faudra sortir tôt ou tard. Et le plus tôt sera le mieux.
bdescoteaux@ledevoir.com
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