Le Canada est à la veille d'une crise économique, ce qui devrait être le moment de rassembler les forces vives de la nation pour traverser cette période difficile. À la place, le premier ministre Stephen Harper a ouvert une crise politique. Plutôt que le dialogue, il a choisi l'affrontement. Résultat: la survie de son gouvernement minoritaire est en jeu.
Le gouvernement conservateur n'a décidément tiré aucune leçon du revers subi aux élections du 14 octobre. À l'entendre, Stephen Harper allait, dans le respect de la volonté des électeurs, travailler à construire des consensus avec une opposition demeurée majoritaire. À la première occasion, celle que lui a fournie l'énoncé économique et financier de jeudi, il est revenu à son habitude d'affronter ses adversaires en les mettant au défi de défaire son gouvernement.
Comme les joueurs compulsifs qui sont sûrs de toujours gagner, le premier ministre tente de rejouer le coup qui l'an dernier lui a porté maintes fois chance et permis l'adoption de l'essentiel de son programme. Sauf que cette fois, il a mal évalué la détermination de l'opposition, dont celle des libéraux qui, même s'ils sont en pleine campagne au leadership, sont prêts à en découdre. Le gouvernement sera soumis bientôt à une motion de confiance qui, si elle lui était refusée, mettrait la gouverneure générale, Michaëlle Jean, devant l'alternative d'ordonner de nouvelles élections ou d'inviter les partis d'opposition à former un gouvernement de coalition.
Le choix que devra faire la gouverneure générale sera délicat. Appeler un gouvernement de coalition serait un recours exceptionnel que seule la proximité des dernières élections justifierait. Et encore, il lui faudrait faire preuve de beaucoup de détermination et d'autorité pour imposer une telle solution. Dans des circonstances similaires, Lord Byng avait en 1926 refusé au premier ministre Mackenzie King la dissolution du Parlement et ouvert une crise constitutionnelle. En sera-t-il de même si Mme Jean suit cette voie? Déjà, certains porte-parole conservateurs criaient hier au coup d'État, faisant valoir que cet éventuel gouvernement de coalition n'aurait aucune légitimité. Le premier ministre Harper y est aussi allé de son refrain, invitant les Canadiens à s'objecter à un geste qu'il qualifie d'antidémocratique.
Le concept même de gouvernement de coalition est nouveau au Canada. Il comporte une part d'incertitude élevée. Il faudra beaucoup d'ouverture au compromis de la part de ses participants. Dans les circonstances actuelles, il s'impose de l'envisager. Libéraux et néo-démocrates font bien de s'y préparer avec l'appui tacite des bloquistes. C'est la seule façon pour l'opposition de remporter son bras de fer avec les conservateurs, qui pour le moment demeurent fermés à tout compromis.
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Le report de la motion de confiance au 8 décembre que demande le premier ministre (sait-il qu'il y a des élections ce jour-là au Québec?) pourrait permettre des échanges. Il ne faut pourtant pas être trop optimiste à ce sujet tant l'écart entre les positions du gouvernement et celles de l'opposition est grand.
Sur la question du financement statutaire par l'État des partis politiques, qui est l'un des enjeux de la présente crise, il est difficile d'entrevoir un moyen terme. Les conservateurs justifient l'abolition de cette mesure pour sa valeur exemplaire à l'approche d'une période économique difficile où les élus doivent donner l'exemple. La vraie justification de cette mesure, n'en doutons pas, est ailleurs.
Les conservateurs de Stephen Harper ont toujours été contre le financement des partis par des fonds publics. Forts d'une tradition de financement populaire héritée du Reform Party, ils ont voté contre cette mesure quand Jean Chrétien l'a introduite en 2003 afin de compenser les partis qui renonçaient alors aux dons des entreprises et des syndicats. Ils voient ici l'occasion d'imposer leur vision de la démocratie tout en affaiblissant leurs adversaires, surtout les libéraux, qui sont le principal obstacle sur leur route vers un gouvernement majoritaire. Déjà exsangue financièrement, le Parti libéral serait mis knock-out financièrement s'il ne recevait plus de contributions de la part de l'État.
Sur le plan des politiques économiques et financières contenues dans l'énoncé du ministre Jim Flaherty, les positions sont tout aussi éloignées. Le gouvernement Harper profite de l'occasion de la récession économique anticipée pour réduire le rôle de l'État, cela au moment où le consensus prévalant dans tout le monde occidental est au contraire d'accroître l'intervention des pouvoirs publics pour soutenir l'économie et stimuler la consommation. Non seulement il fait le contraire en réduisant les dépenses de l'État, mais il braque contre lui tous ceux qui devraient être ses alliés dans ce combat, à commencer par l'opposition aux Communes. Dommage car, dans le contexte présent, ce dont le Canada a le moins besoin, c'est de l'instabilité politique qui s'annonce.
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Devant un tel entêtement, les partis d'opposition ont raison de dire non à ce gouvernement. Ils doivent d'ailleurs se méfier si d'aventure Stephen Harper leur tend la main ces prochains jours. Il leur faudrait s'assurer de la sincérité de la démarche du premier ministre et avoir l'assurance qu'il gouvernera autrement dans l'avenir avant de pactiser avec lui. Harper doit reconnaître que les 37,6 % des votes obtenus le 14 octobre ne l'autorisent pas à se conduire comme s'il avait obtenu un appui majoritaire des Canadiens. Sans de telles garanties, l'opposition sera en droit de le faire tomber et de proposer un gouvernement de coalition. S'il s'allie le Bloc québécois et le Parti vert, un gouvernement libéral-néo-démocrate pourrait prétendre, avec les 60 % de suffrages reçus des Canadiens, à davantage de légitimité que le gouvernement actuel. Pour sa part, le Parti conservateur, s'il est défait le 8 décembre, ne pourra s'en prendre qu'à lui-même et à l'arrogance de son chef.
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