Le 21 juin dernier, le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) déposait sur son site le document Progression des apprentissages pour le cours Histoire et éducation à la citoyenneté du 2e cycle du secondaire. Une fois de plus, le ministère a attendu la fin des classes, alors que les enseignants sont en vacances, pour déposer ce document, craignant sans doute les critiques du milieu.
Dans son article du 23 juin publié dans Le Devoir, Lisa-Marie Gervais écrivait que «les contenus de la 3e et de la 4e secondaire sont aussi mieux distingués pour éviter les redondances, ce qui correspondait à une demande des enseignants». À cet effet, nous pouvons vous affirmer que ce que les enseignants souhaitent ardemment, c'est la répartition sur deux années de la trame chronologique de l'histoire du Québec et du Canada, soit, par exemple, enseigner l'histoire de 1500 à 1840 en 3e secondaire et la suite, de 1840 à nos jours, en 4e secondaire. C'est d'ailleurs ce qui ressort jusqu'à maintenant d'une enquête-sondage que nous menons à la Coalition pour l'histoire auprès des enseignants d'histoire du secondaire. Malheureusement, à la lecture de ce document, force est de constater que le souhait des enseignants n'a nullement été entendu.
Incohérence absolue
Au lieu d'effectuer une coupure chronologique sur deux ans, les auteurs de ce document ont préféré supprimer des connaissances en 3e secondaire pour les déplacer en 4e secondaire. Cette façon de procéder n'est pas sans causer maintes incohérences. Ainsi, avec ce nouveau document, les enseignants devront enseigner à partir de septembre à leurs élèves de 3e secondaire le Régime français, mais devront attendre en 4e secondaire pour enseigner le fonctionnement du régime seigneurial ou encore leur expliquer ce qu'était le mercantilisme, le commerce triangulaire, les tentatives de diversification de l'économie de l'intendant Talon et les obstacles rencontrés, les effets du commerce des fourrures sur la société, sur le territoire et sur les relations entre la Nouvelle-France et les colonies anglo-américaines, etc.
Comment bien faire comprendre l'histoire du Régime français aux élèves de 3e secondaire sans ces notions primordiales et élémentaires? Autre exemple aberrant, les enseignants devront attendre en 4e secondaire pour enseigner à leurs élèves le poids démographique des habitants de la Nouvelle-France en 1663 et en 1760, et le territoire possédé et occupé par ces derniers en 1663 et au lendemain du traité d'Utrecht. Comment pourront-ils comprendre, en 3e secondaire, les causes de la Conquête sans ces données essentielles? On peut se le demander. On voit déjà poindre l'incompréhension totale chez les élèves devant un enseignement de l'histoire qui fractionne ainsi le contenu.
Nivellement par le bas
Autre élément de ce document qui est très inquiétant et que Laurent Lamontagne, président de la Société des professeurs d'histoire du Québec (SPHQ), a souligné, c'est l'introduction de savoir-faire des plus factuels et «trop simplistes». Avec des verbes comme «nommer, indiquer, donner, identifier, énumérer, situer qui correspondent au plus bas niveau d'acquisition des connaissances», il est évident qu'on assiste à un nivellement par le bas des connaissances en histoire, contrairement à l'ancien programme de 1982 dans lequel nous retrouvions des niveaux d'acquisition de connaissances beaucoup plus complexes avec des verbes comme «caractériser, évaluer, analyser, distinguer, établir, comparer, interpréter, exposer et commenter».
Et pourtant, les auteurs du document Progression des apprentissages sont précisément les mêmes qui nous reprochaient, à tort, à nous les opposants de la réforme, de vouloir revenir à une histoire événementielle. À lire ce document, on ne peut que constater que les connaissances qui seront demandées aux élèves à partir de septembre prochain se rapprochent dangereusement de l'histoire événementielle et donc très factuelle dans son ensemble. Ce virage pédagogique est pour le moins étonnant de la part des adeptes de la réforme.
Toujours les compétences
Enfin, contrairement à ce qui a été écrit, nous ne croyons pas que ce document démontre «un virage à 180 degrés des compétences vers les connaissances», comme l'a qualifié Laurent Lamontagne, car les trois compétences «Interroger les réalités sociales dans une perspective historique», «Interpréter les réalités sociales à l'aide de la méthode historique» et «Consolider l'exercice de sa citoyenneté» demeurent, malheureusement, toujours effectives dans le programme d'histoire et dans ce document.
Pour preuve, pour chaque section de ce document, les connaissances sont réparties en fonction de ces trois compétences. Par exemple, pour la réalité sociale «Revendications et luttes dans la colonie britannique», nous retrouvons, pour la compétence 1, quelques connaissances sur «l'idée de l'appartenance nationale, aujourd'hui, au Québec» et, pour la compétence 3, des connaissances en lien avec les «conceptions de la nation et débat de société, aujourd'hui, au Québec», dont les notions de «fédéralisme renouvelé, d'autonomisme et de souveraineté». Ce qui a fait penser à la journaliste que «quelques incohérences» s'étaient «glissées» dans le document puisque cette réalité sociale couvre la période historique 1791-1850.
Mais n'oublions pas que, dans la logique du programme d'histoire et éducation à la citoyenneté, seule la deuxième compétence fait référence au passé, tandis que les deux autres sont orientées vers le présent. Ainsi, pour ces deux compétences, nous sommes en présence de connaissances de l'histoire du temps présent. Ces rapports au présent sont enseignés en même temps que le contenu portant sur la période historique.
Enseignement superficiel
En terminant, il est très regrettable que le MELS ait passé une année à rédiger ce document qui, sans contredit, contribuera à niveler vers le bas les connaissances historiques des élèves et ne fera qu'augmenter le mécontentement des enseignants qui se verront obligés, à partir de septembre, d'enseigner partiellement et superficiellement la matière pour une période historique donnée et de laisser le reste de la matière à leurs collègues de 4e secondaire.
Quand la logique et le bon sens auraient simplement consisté à scinder sur deux ans la trame chronologique de notre histoire, comme le réclament, d'ailleurs, les enseignants d'histoire depuis 2006. Seront-ils un jour entendus ou devront-ils défier les directives du MELS à l'intérieur de leur classe par respect pour leurs élèves avides de connaissances historiques?
Pour plus d'information, visitez le site de la Coalition pour l'histoire
***
Robert Comeau, porte-parole de la Coalition pour l'histoire et Josiane Lavallée, membre fondatrice de la Coalition pour l'histoire
Cours d'histoire au 2e cycle du secondaire
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé