Si les revenus sont moins élevés que prévu en raison de l'état de l'économie, le gouvernement Couillard devrait songer à reporter d'un an l'atteinte du déficit zéro au lieu de tenter de l'atteindre à tout prix en 2015-2016, croit l'économiste en chef du Mouvement Desjardins, François Dupuis. «Si c'est le cas, il faudrait qu'ils reportent. À un moment donné, combler l'écart sera trop important, ça va faire trop mal», dit M. Dupuis.
Pour l'instant, seul Québec sait si les revenus entrent dans les coffres du gouvernement au rythme prévu par le dernier budget. «Avec les chiffres qu'on a maintenant [ceux du dernier budget de juin], je dirais qu'on continue le plan de match [déficit zéro en 2015-2016], mais je soupçonne que la situation est plus difficile, dit François Dupuis. La situation de l'emploi est un peu plus difficile que prévu. [Dans le cas où les revenus prévus ne sont pas au rendez-vous], je ne serais pas contre le fait que le gouvernement repousse d'un an le retour à l'équilibre, compte tenu des derniers développements [économiques]. On ne sera pas seuls comme ça. [...] On dirait que l'objectif du gouvernement à Québec est de trouver des économies à tout prix. Si tu reportes un déficit raisonnable, les gens vont comprendre.»
Pour atteindre l'équilibre budgétaire en 2015-2016, le gouvernement Couillard a demandé à la commission sur la fiscalité présidée par Luc Godbout de trouver des économies de 650 millions par année, en plus de la baisse de 20% des crédits d'impôt aux entreprises décrétée par le budget Leitao en juin dernier (371 millions par année à terme). La Commission a commencé son mandat en juin dernier, ses audiences publiques débutent ce matin, et elle doit remettre son rapport final en décembre. Un délai très court, pensent certains observateurs.
«Le délai me semble extrêmement court par rapport au mandat qui a été donné. Le délai est trop court. Une réforme de la fiscalité, c'est pour les 10-15 prochaines années», dit l'économiste François Dupuis, qui craint les effets d'une hausse du fardeau fiscal à court terme. «Nous avons étiré l'élastique à tous les niveaux, le fardeau fiscal est très élevé par rapport aux concurrents immédiats. Il faut repenser comment on fait les choses au Québec, rendre le système fiscal plus compétitif», dit François Dupuis, qui se préoccupe des effets à long terme du vieillissement démographique sur l'économie et les finances publiques du Québec.
Reporter ou garder le cap?
De leur côté, les économistes de deux autres grandes institutions financières québécoises, la Banque Nationale et la Banque Laurentienne, jugent que Québec doit atteindre l'objectif du déficit zéro en 2015-2016 comme prévu.
«Les dépenses du gouvernement du Québec sont équivalentes à 29% de son PIB, comparativement à 22% en Ontario, dit Stéfane Marion, économiste en chef de la Banque Nationale. Quand les gens disent «on ne peut pas couper», bien on ne peut pas non plus augmenter les dépenses, on est déjà à 29%. Le délai est court, mais avec ce différentiel, a-t-on besoin de deux ans [pour trouver 650 millions]?»
«Les impôts et les taxes ont été augmentés de 6 milliards depuis 2009, ajoute M. Marion. La réalité, c'est que nous avons atteint un niveau d'endettement où c'est logique de le faire [le déficit zéro], surtout que nous ne sommes pas en récession, tout comme les États-Unis, notre plus grand partenaire commercial.»
Sébastien Lavoie, économiste en chef adjoint de la Banque Laurentienne, estime qu'il est «primordial d'essayer de continuer les efforts». «C'est loin d'être certain que les agences de crédit vont donner une deuxième chance [le gouvernement Marois avait déjà reporté de deux ans l'objectif du déficit zéro]. L'alternative, c'est de prendre le risque que le service de la dette coûte plus cher, et qu'on ne soit pas plus avancé au niveau des finances publiques», dit M. Lavoie, qui estime qu'il ne faut pas comparer avec l'Ontario, qui n'atteindra le déficit zéro qu'en 2017-2018. «L'Ontario a eu une économie beaucoup plus bardassée que le Québec, c'est légitime que ça lui prenne plus de temps pour revenir au déficit zéro», dit M. Lavoie.
La commission Godbout entreprendra ses consultations publiques ce matin pour les deux prochaines semaines. Elle doit remettre un rapport intermédiaire au gouvernement Couillard à la fin du mois d'octobre, puis son rapport final en décembre. «J'avoue que le délai est court, mais les gens à la Commission, comme M. Godbout, sont très compétents et connaissent les enjeux», dit Stéfane Marion, de la Banque Nationale. «Avec la qualité des gens en place, il y a déjà certaines idées préétablies, j'en suis convaincu», dit Sébastien Lavoie, de la Banque Laurentienne, qui suggère notamment de réformer les crédits d'impôt aux entreprises pour «rendre la fiscalité plus équitable envers les différents secteurs de l'économie».
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Ce qu'ils proposent pour réformer la fiscalité
Durant les deux prochaines semaines, les membres de la Commission d'examen sur la fiscalité présidée par le fiscaliste Luc Godbout entendront des recommandations d'environ 70 organismes de la société civile lors d'audiences publiques. Voici quelques-unes des propositions qui leur seront soumises, ainsi que les suggestions des partis d'opposition à l'Assemblée nationale.
Parti québécois (PQ)
> Ne pas augmenter le fardeau fiscal des particuliers
«Le mieux qu'on puisse demander, c'est qu'on n'ajoute pas au fardeau fiscal des particuliers», dit Nicolas Marceau, député de Rousseau et critique du PQ en matière de finances.
> Ne pas augmenter le fardeau fiscal des entreprises et mettre fin à l'incertitude entourant les crédits d'impôt
«Quand nous étions au gouvernement, j'ai toujours dit que si on faisait des changements [au régime fiscal des entreprises], ce n'était pas pour l'alourdir, dit Nicolas Marceau. Je ne voulais pas briser notre élan économique. Dans les circonstances actuelles, laisser planer une incertitude [sur les crédits d'impôt] n'est pas la meilleure idée [qui soit].»
Coalition avenir Québec (CAQ)
> Préserver le statu quo touchant le fardeau fiscal des particuliers et des entreprises
«M. Godbout est un partisan de la baisse des impôts et de l'augmentation des taxes et des tarifs, mais je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur moment», dit le député André Lamontagne, critique de la CAQ en matière d'économie.
> Instaurer une Charte des contribuables qui limitera les hausses de taxes ou des tarifs au taux d'inflation (une demande officielle devrait être effectuée pour une hausse plus importante que l'inflation)
> Réduire les crédits d'impôt aux entreprises (de 450 millions par année), puis réinvestir la moitié de cette somme sous une autre forme aux entreprises dans le cadre du Projet Saint-Laurent
Québec solidaire
> Hausser les impôts des particuliers les plus fortunés en faisant passer le nombre de paliers d'imposition de 4 à 10
> Ramener la taxe sur le capital pour les institutions financières
«Le prétexte de l'abolition a été de réinvestir dans les équipements, mais il faudrait qu'on fasse le bilan des années plus tard, dit Amir Khadir, député de Québec solidaire. Selon nos recherches, le coût a été de 1,2 milliard et 800 millions ont bénéficié au secteur financier.»
> Modifier le crédit d'impôt sur les dividendes
«C'est beaucoup d'argent, et ce sont habituellement les gens les plus fortunés qui en profitent. [...] Beaucoup de médecins ont été encouragés à s'incorporer. Je dénonce ce comportement sur tous les toits. Le médecin ne fait que suivre l'exemple des plus fortunés», dit Amir Khadir.
CSN
> Reporter le déficit zéro et suspendre les paiements au Fonds des générations «le temps qu'il faut pour que l'économie se redresse et qu'on puisse rétablir les finances publiques sans sabrer les services et les programmes sociaux»
> Hausser le taux d'imposition des particuliers de 25,75 à 32% (+7 points) à partir d'un revenu de 135 000$
«C'est moins que le niveau au début des années 80», dit Pierre Patry, trésorier de la CSN.
> Hausser l'imposition des gains en capital
> Ramener le taux d'imposition des PME de 8,5% à 11%
> Établir un impôt minimal pour les entreprises
«Il y a beaucoup d'entreprises qui ont tellement d'échappatoires fiscales», dit Pierre Patry.
> Continuer d'accentuer la lutte contre l'évitement et l'évasion fiscaux
Conseil du patronat du Québec
> Préserver le statu quo touchant le fardeau fiscal des particuliers
> Modifier le fardeau fiscal des entreprises, mais à coût nul
> Réduire les crédits d'impôt aux entreprises, mais réduire de façon équivalente les cotisations des entreprises au Fonds sur les services de santé
«Il faut évaluer la rentabilité des crédits d'impôt avant de les réduire. Il y a des économies à faire, mais il faut faire attention à long terme. Il faut qu'il y ait une évaluation et la Commission n'a pas le temps de le faire dans le délai qui lui est imparti», dit Norma Kozhaya, économiste en chef du Conseil du patronat du Québec.
Chambre de commerce du Montréal métropolitain
> Avoir recours à la tarification pour mieux financer les finances publiques
> Diminuer progressivement le fardeau fiscal des particuliers afin de les rapprocher de la moyenne canadienne
> Réduire le fardeau fiscal des entreprises une fois le déficit zéro atteint
> Concentrer l'aide aux entreprises à quelques secteurs stratégiques
> Maintenir les crédits d'impôts suivants: production de titres multimédias (jeu vidéo), développement des affaires électroniques, services cinématographiques, industrie financière, soutien à l'industrie culturelle
FTQ
> Reporter l'équilibre budgétaire (prévu pour l'année 2015-2016)
«Il faut s'attaquer à l'équilibre budgétaire un moment donné, mais c'est beaucoup trop tôt l'an prochain. À la vitesse à laquelle on veut y arriver, ça va mettre nos programmes sociaux en péril», dit Daniel Boyer, président de la FTQ.
> Suspendre le paiement au Fonds des générations
> Ajouter de nouveaux paliers d'imposition pour les contribuables les plus fortunés
> Hausser l'imposition des gains en capital de 50 à 75%
> Revoir le crédit d'impôt sur les dividendes, notamment pour instaurer un plafond par contribuable
«Ça ne me dérange pas de subventionner les multinationales si elles ont des projets novateurs qui créent des emplois, mais il faut qu'elles paient leur juste part d'impôt au Québec», dit Daniel Boyer, président de la FTQ.
Alliance numérique (studios de jeu vidéo)
> Ramener le crédit d'impôt pour la production de titres multimédias de 30% à 37,5%, son niveau entre 2003 et juin 2014
> Créer un fonds pour les entreprises en démarrage en jeu vidéo
> Simplifier les règles du crédit d'impôt pour les entreprises en démarrage
«La croissance que l'industrie a connue est appelée à diminuer si le taux du crédit d'impôt demeure [à 30% ]. À long terme, il pourrait même y avoir des pertes d'emploi au profit d'autres [États ou provinces] plus généreux», dit Martin Carrier, président de l'Alliance numérique.
Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ)
> Transférer les sommes du crédit d'impôt pour droits de scolarité (48 millions) dans le programme d'aide financière aux études
> Abolir la mesure incitative québécoise pour l'épargne-études (59 millions) pour la réinvestir dans le programme d'aide financière aux études
> Ajouter un palier d'imposition pour les contribuables gagnant plus de 250 000$
> Hausser l'imposition des gains sur le capital de 50 à 75%
Note: Les partis politiques ne témoigneront pas lors des audiences publiques.
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