Charles Taylor et Gérard Bouchard ont dévoilé leur rapport très attendu, jeudi, à Montréal. (Photo Ivanoh Demers)
Tristan Péloquin - Oui au port de signes religieux pour les enseignantes, les professionnels de la santé et les fonctionnaires, mais pas pour les policiers, les juges et les gardiens de prison. Voilà une des 37 recommandations rendues publiques jeudi par la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables.
Dans leur document de 307 pages, les deux commissaires préconisent également, «au nom de la séparation entre l’État et les Églises, au nom aussi de la neutralité de l’État», le retrait du crucifix au-dessus du siège du président de l’Assemblée nationale. «Pour la même raison, la récitation de prières aux réunions des conseils municipaux devrait être abandonnée dans les nombreuses municipalités où ce rite est toujours pratiqué», recommandent MM. Bouchard et Taylor.
Au sujet des signes religieux, les commissaires estiment qu’«une enseignante ne pourrait par exemple revêtir une burka ou un niqab en classe et s’acquitter adéquatement de sa tâche », mais qu’en revanche, « le foulard (islamique), lui, ne compromet ni la communication ni la socialisation ». «Les jeunes qui sont exposés dès le bas âge à la diversité qu’ils rencontreront à l’extérieur de l’école pourront démystifier plus facilement les différences et seront moins prompts à les appréhender sous le mode de la menace », justifient-ils.
« Il n’en demeure pas moins que l’interdiction du port de signes religieux pour une gamme restreinte de fonctions se justifie mieux, poursuivent les commissaires. On peut avancer que l’exigence d’une apparence d’impartialité s’impose au plus haut point dans le cas de juges, des policiers et des gardiens de prison, qui détiennent tous un pouvoir de sanction et même de coercition à l’endroit de personnes qui se trouvent en position de dépendance et de vulnérabilité.»
Durant les différents forums qui ont été tenus, plusieurs intervenants ont demandé l’adoption d’une loi sur la laïcité. Les deux commissaires préconisent plutôt la production par le gouvernement d’un « Livre blanc sur la laïcité». « Il importe que l’État formalise et énonce la conception de la laïcité qui prévaut déjà en pratique et que, ce faisant, les balises qui la circonscrivent soient affirmées et précisées », écrivent-ils. MM. Bouchard et Taylor soulignent cependant que leurs travaux ne leur permettent pas de « constater un hausse importante et soudaine des ajustements ou des accommodements consentis dans les institutions publiques ». « Nous n’avons pas constaté non plus que le fonctionnement normal de nos institutions aurait été perturbé par ce type de demandes. » En fait, leur analyse révèle que 55% des cas recensés par les médias durant les 22 dernières années l’ont été pendant la seule période allant de mars 2006 à juin 2007. « Autrement dit, la vision négative des accommodements qui s’est propagée dans la population reposait souvent sur une perception erronée ou partielle des pratiques ayant cours sur le terrain. »
Enquête sur les ordres professionnels
Parmi les recommandations qui ont le plus de mordant, le rapport de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement recommande également la création d’un comité d’enquête indépendant pour faire la lumière sur les pratiques des ordres professionnels en matière de reconnaissance des diplômes des immigrants. «Quel est le nombre exact de dossiers en attente ? Y a-t-il des ordres récalcitrants ? Que signifient les cas de « reconnaissance partielle » qui représentent la moitié des décisions positives (…), demande MM. Bouchard et Taylor. Des clarifications s’imposent ici (…) il importe de vérifier si des intérêts purement corporatistes se dissimulent derrière les arguments de sécurité et de formation.»
Favoriser l’emploi en région
Bien qu’ils notent que le nombre d’immigrants qui s’installent en région est en « forte hausse », MM. Bouchard et Taylor croient qu’il faudrait soutenir cette tendance y favorisant l’emploi de travailleurs immigrants, notamment par des «des mesures fiscales » avantageuses destinées aux entreprises.
Langue française
Au sujet de la langue française, les deux commissaires précisent d’emblée qu’ils n’ont pas voulu se mêler de cette épineuse question, puisqu’elle tombe hors de leur mandat. Ils appuient néanmoins l’idée que « l’Office québécois de la langue française relève désormais directement de l’Assemblée nationale ». « Sans nous immiscer dans la controverse récente entourant certaines décisions de cet organisme, nous constatons que sa crédibilité a souffert de ce qui a été perçu comme un problème de transparence (…) tous y gagneraient à ce que l’Office soit soustrait à toute possibilité d’ingérence politique. »
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«Il n’y a pas de crise», estiment les commissaires
Tristan Péloquin - «Nous en sommes peut-être venus proche d’un dérapage il y a un an ou deux», estiment les commissaires Bouchard et Taylor, «mais il n’y a pas de crise par rapport aux accommodements» raisonnables à l’heure actuelle au Québec.
Voilà le constat que viennent de tirer les deux grands responsables de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements, lors d’une longue conférence de presse au cours de laquelle ils ont commenté leur travail.
Selon eux, plusieurs mécanismes actuellement en place empêchent qu’il y ait un effet «boule de neige» menant à une véritable crise.
«Il n’y a aucune donnée fiable permettant (également) d’appuyer l’idée qu’au Québec, nous sommes plus racistes qu’ailleurs dans le monde. Le Québec n’a pas à rougir par rapport à son dossier sur l’intégration des immigrants», a ajouté M. Bouchard.
Aux yeux de Charles Taylor, les citoyens qui ont participé aux travaux de la commission «ont parfois paru très divisés - ils ont tenu des propos très durs - mais ils étaient toujours prêts à s’asseoir pour laisser parler les autres. Il y a eu de véritables échanges, comme on pourrait en entendre dans peu de pays au monde», a-t-il dit.
En fait, notent MM. Bouchard et Taylor, si crise il y a actuellement au sein de la société québécoise, il s’agit d’abord et avant tout d’une «crise de perceptions». «Il y a un écart frappant entre les perceptions des citoyens et celles des gestionnaires d’institutions» qui sont appelés à composer directement avec les demandes d’accommodement religieux, note M. Bouchard.
À titre d’exemple, le commissaire a rappelé le tollé provoqué par le passage en mars dernier d’un groupe de musulmans à la cabane à sucre du Mont-Saint-Grégoire. Ces derniers avaient demandé un espace pour faire la prière. «Il ne s’est absolument rien passé à cette cabane à sucre. C’était un contrat entre un prestataire de service et un client. Personne n’a vu de problème», a-t-il souligné. Pourtant, l’affaire a été très mal perçue par la population une fois rapportée par les médias. «Cette crise de perceptions, ça peut alimenter les craintes, les réticences et la suspicion à l’égard des immigrants, et plus particulièrement à l’égard des musulmans», a déploré M. Taylor.
Il incombe donc désormais à l’ensemble de la société de prendre les mesures nécessaires pour éliminer cet écart entre la perception et la réalité. Mesures qui passeront en grande partie par l’éducation. «Pour nous, le compromis passe par un principe de réciprocité. Il faut que tout le monde apprenne à mettre de l’eau dans son vin et que nous soyons dans une relation de donnant-donnant» avec les immigrants, a précisé M. Taylor.
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Marois: «Le rapport passe à côté de l'essentiel»
Denis Lessard - Les commissaires ont permis la tenue d’un débat essentiel dira Pauline Marois. Cependant, le rapport de la Commission «passe à côté de l’essentiel, ne va que dans un sens. Il existe un malaise identitaire auquel le premier ministrre ne veut pas répondre» dira Mme Marois à l’Assemblée nationale.
Le renforcement de la francisation se retrouvait dans le projet de loi 195, qu’elle avait déposé l’automne dernier. On y prévoyait aussi une constitution du Québec. Le premier ministre ne va pas assez loi, au même titre que l’égalité homme femme, la prédominance du français et la laïcité doivent être inscrites dans nos lois.
«La question de l’identité exige plus que les demi-mesures», soutient la chef péquiste, pour qui ultimement, le Québec devra détenir tous les pouvoirs sur son territoire, «cet acte fondateur se nomme la souveraineté du Québec» a-t-elle conclu.
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Dumont: «L’interculturalisme n’est pas synonyme d’aplaventrisme»
Denis Lessard - Pour Mario Dumont, il faut plutôt regarder du côté de l’autonomisme. Son parti propose «une constitution qui illustre ce que nous sommes, un acte fondateur cohérent».
On doit établir la «claire prépondérance» du français. Finalement les gestionnaires doivent recevoir «une politique gouvernementales qui respecte le patrimoine culturel du Québec».
«L’interculturalisme n’est pas synonyme d’aplaventrisme» dira-t-il.
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Bouchard-Taylor: la déclaration de Jean Charest
Voici le texte de Charest à l’Assemblée nationale. Les futurs immigrants devront signer un document par lequel ils s’engagent à adhérer aux valeurs communes. «Une déclaration nettement insuffisante» a répliqué Mario Dumont.
J’arrive d’un voyage en France où j’ai fait un arrêt à Brouage. C’est là qu’est né Samuel de Champlain, un immigrant qui a fondé notre nation.
Pour souligner le 4e centenaire de son voyage, nous avons organisé pour le monde entier une grande fête sous le thème de la rencontre. De ces milliers de rencontres qui se sont produites sur 400 ans est né le Québec.
De ces rencontres est née notre nation et une volonté commune de vivre ensemble, de vivre en français, de vivre égaux entre femmes et hommes, de séparer l’État et la religion.
Venir à la rencontre du Québec, c’est venir à la rencontre des Québécois. C’est adopter et partager nos valeurs communes.
Au nom de tous les Québécois, je remercie MM. Bouchard et Taylor qui ont permis aux citoyens de s’exprimer sur cet enjeu fondamental de la rencontre et de la manière de vivre ensemble. Ce rapport aura des suites.
Les commissaires constatent comme nous que toutes les sociétés d’accueil du monde vivent d’intenses questionnements sur les enjeux d’immigration et d’identité.
C’est notre époque. Chez nous au Québec, il y a deux réalités qui donnent à ce débat un caractère particulier.
La première est démographique. Notre nation majoritairement francophone représente moins de 3 % de la population du continent. Nous n’avons pas cette force du nombre qui impose par son seul poids une manière de vivre.
La deuxième raison est historique. Pendant plus de trois siècles, les communautés religieuses, en particulier catholiques, ont soigné les malades et éduqué les enfants.
Avec la Révolution tranquille, notre société est devenue laïque. Ce changement s’est fait très rapidement.
Aucune société ne peut réussir en se repliant. Pour que notre nation et notre économie puissent continuer à grandir, nous devons continuer d’accueillir.
L’immigration n’est pas un droit. Immigrer au Québec, c’est un privilège. Et l’accueil des immigrants, pour tous les Québécois, est une responsabilité.
Entre les deux, il faut savoir tracer la ligne. Les Québécois ont parfaitement le droit de décider dans quelle société ils veulent vivre. Il y a des valeurs au Québec qui ne sont pas négociables et de ces valeurs découlent des responsabilités.
Comme premier ministre du Québec, j’assume au premier chef la responsabilité suprême de protéger et perpétuer la langue française. Les nouveaux arrivants et les communautés culturelles doivent la parler. Voilà un point de rencontre entre les minorités et la majorité.
Comme citoyens, nous devons aussi respecter les convictions personnelles de chacun. De son côté, l’État, qui est au service de tous, doit affirmer la laïcité de nos institutions.
Dès aujourd’hui, j’annonce que les actions de mon gouvernement, inspirées par la Commission, prévoiront notamment :
- Un renforcement de la francisation avant l’arrivée des immigrants.
- Une déclaration signée par laquelle les candidats à l’immigration s’engageront à adhérer aux valeurs communes de notre société.
- Un mécanisme qui aidera les décideurs à traiter les questions d’accommodement dans le respect de la laïcité de nos institutions.
- De plus, je demande aux parlementaires de collaborer à l’adoption du projet de loi 63 qui vise à amender la Charte des droits et libertés pour affirmer l’égalité des femmes et des hommes.
Et dès aujourd’hui, je demande aux 125 parlementaires de notre assemblée, qui sont directement concernés, d’adopter une motion par laquelle :
« l’Assemblée nationale réitère sa volonté de promouvoir la langue, l’histoire, la culture et les valeurs de la nation québécoise, favorise l’intégration de chacun à notre nation dans un esprit d’ouverture et de réciprocité, et témoigne de son attachement à notre patrimoine religieux et historique représenté par le crucifix de notre Salon bleu et nos armoiries ornant nos institutions. »
Je demande à mes collègues parlementaires, ainsi qu’à tous les Québécois de toutes origines, de relayer mon appel à aller à la rencontre de l’autre.
Nous n’avons pas tous la même origine, mais nous avons la même destinée, car nous sommes tous Québécois.
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Le crucifix restera à l’Assemblée nationale
Denis Lessard et Tristan Péloquin
La Presse
Québec
Le gouvernement Charest n’a pas l’intention d’obtempérer à la requête de la Commission Bouchard Taylor qui propose, au nom de la neutralité religieuse, de proscrire le crucifix de l’Assemblée nationale.
Le premier ministre Charest a déposé jeudi cette motion à l’Assemblée nationale, qui a été adoptée à l'unanimité:
«Que l'Assemblée nationale réitère sa volonté de promouvoir la langue, l'histoire, la culture et les valeurs de la nation québécoise, favorise l'intégration de chacun à notre nation dans un esprit d'ouverture et de réciprocité et témoigne de son attachement à notre patrimoine religieux et historique représenté par le crucifix de notre Salon bleu et nos armoiries ornant nos institutions. »
Questionnés lors d’une conférence de presse, les commissaires Bouchard et Taylor ont fait peu de cas de l’empressement du gouvernement à déposer sa motion. «La rapidité (avec laquelle il a réagi à notre recommandation) ne nous intéresse pas», a lancé Charles Taylor, provoquant quelques éclats de rire parmi la centaine de journalistes et intervenants réunis au Monument national, à Montréal.
M. Taylor a cependant tenu à justifier la position de la commission à l’égard du fameux crucifix. «Je crois que la laïcité québécoise consiste à combiner une neutralité des institutions et une liberté la plus large possible pour les individus. Tout comme nous avons ouvert des possibilités assez larges sur le port du voile, de même, je crois que logiquement les institutions devraient être neutres», a-t-il dit.
«La discussion doit être faite là-dessus, j’en conviens», a-t-il néanmoins reconnu.
Gérard Bouchard a pour sa part dit souhaiter que le gouvernement fera preuve d’autant d’empressement pour donner suite aux 36 autres recommandations qui constituent le rapport de la commission.
«Nous pensons raisonnablement que l’État va être sensible à l’importance de nos recommandations, a affirmé M. Bouchard. Les Québécois ont été mobilisés d’une façon qu’on n’a pas souvent vue autour de ces enjeux. Les gens ont pris ça à coeur. Le gouvernement voudra donc être sensible à nos conclusions.»
Bouchard et Taylor font 37 recommandations
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