Gouvernement Harper

Autocratique, obscurantiste, dogmatique

Indépendance — Une conjoncture favorable




La gouvernance de Stephen Harper est désormais critiquée même par une revue conservatrice de renom comme The Economist. C’est que la tendance au Canada s’aggrave : la gouvernance Harper peut sûrement être considérée comme autocratique, obscurantiste et dogmatique.
Autocratique : l’adoption par les conservateurs de la loi « mammouth » C-38 sans intégrer aucun des 871 amendements déposés par l’opposition n’est qu’un des derniers exemples du mépris du gouvernement Harper à l’endroit de principes démocratiques élémentaires. L’opposition au Parlement représente pourtant 60,4 % des électeurs canadiens.
Obscurantiste : il faut constater que les institutions ou organisations exprimant des points de vue indépendants et critiques sur les conséquences des politiques du gouvernement canadien - particulièrement en matière d’environnement - sont systématiquement dénigrées, affaiblies, sinon supprimées par Stephen Harper. Le premier ministre n’entend rien savoir du savoir scientifique. Une expertise scientifique fédérale inestimable en environnement est en cours d’anéantissement comme un vulgaire déchet de l’histoire…
Dogmatique : la conviction de détenir toute la vérité sans égards aux arguments scientifiques et aux faits établis relève d’une attitude dogmatique, similaire à une croyance religieuse. À l’évidence, une tentation absolutiste, mise au service d’une idéologie bigote et d’intérêts étroitement mercantiles, tenaille le premier ministre. Le Canada, nouvelle monarchie pétrolière sous la houlette du prince Harper ?
Ces pratiques vont totalement à l’encontre des mesures mises en place par les organisations à haut risque pour favoriser des décisions éclairées et ainsi éviter des erreurs fatales ou des conséquences contre-productives.

Faire disparaître le messager
La liste des décisions aberrantes des conservateurs est d’ailleurs longue : criminalité au final encouragée et facture refilée aux provinces, achat d’avions de chasse hors de prix sans appel d’offres, droits des immigrants et des réfugiés bafoués, droit de grève des employés sous juridiction fédérale interdit de facto, nucléaire privatisé, fin du financement public des partis, règles électorales sciemment violées et électeurs abusés, etc.
Mais limitons-nous ici à une fixation évidente de Stephen Harper. Dans le domaine de l’environnement, il est clair que le premier ministre du Canada veut empêcher les vérités qui dérangent l’industrie pétrolière de s’exprimer. Pour s’éviter d’entendre le message, il programme la disparition des messagers.
Ainsi, la Fondation canadienne pour les sciences du climat et de l’atmosphère, qui a financé des recherches faisant autorité dans le monde de la recherche climatique, n’a plus de financement cette année et ferme boutique. Une conséquence immédiate : la fermeture fin avril dernier du Laboratoire de recherche atmosphérique en environnement polaire (PEARL), seule station canadienne participant au réseau international d’observation du carbone total.
Les chercheurs accueillis dans cette station d’Environnement Canada, située près du cercle polaire, avaient d’ailleurs participé à la mise en évidence en 2011 d’un trou dans la couche d’ozone au-dessus de l’Arctique (phénomène probablement lié aux changements climatiques). L’Arctique est pourtant la région qui se réchauffe le plus rapidement sur la planète, et le Canada y a des intérêts évidents.

Compressions à Mont-Joli
Dans le récent « budget » du gouvernement conservateur, il est également prévu de supprimer la plupart des postes de chercheurs en écotoxicologie à l’Institut Maurice-Lamontagne de Mont-Joli. La recherche fédérale sur les contaminants dans les écosystèmes marins en sera décapitée. Notez bien que la présence de contaminants dans l’environnement constitue un des facteurs majeurs de l’épidémie actuelle des cancers et de la baisse de fertilité humaine constatée depuis une cinquantaine d’années. Manifestement, la santé des Canadiens compte moins pour Stephen Harper que celle des pétrolières…
Parmi les 192 pages de la loi dite « budgétaire » C-38 qui concernent l’environnement (sur 421 au total, presque la moitié !), la palme de la régression démocratique revient à cette mesure limitant le droit d’expression dans les instances d’évaluation environnementale aux seuls groupes qui sont directement touchés par les projets. Mais alors qui parlera au nom des écosystèmes sauvages, des poissons sans valeur commerciale ou de la santé des Canadiens ? !
Sûrement pas la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie, qui a été supprimée malgré ses avis avertis. L’autocrate Harper souhaite également restreindre l’expression des organisations charitables dans le champ politique. Il est vrai que censurer les voix divergentes est devenu une habitude de Stephen Harper, notamment chez les scientifiques du ministère de l’Environnement…
L’envers de la fiabilité
Il faut le dire haut et fort : ces pratiques obscurantistes représentent l’envers des règles de la fiabilité dans les univers à risques, y compris dans le monde militaire…
Il suffit pour s’en convaincre de lire le dernier ouvrage de Christian Morel, intitulé Les décisions absurdes, comment les éviter (Gallimard 2012). À partir de cas d’école saisissants, le sociologue met en lumière les pratiques qui facilitent les décisions éclairées dans des domaines où la fiabilité est une question de vie ou de mort, comme l’aéronautique ou les sous-marins nucléaires. Le facteur humain est toujours déterminant. Il s’agit d’éviter les principaux travers psychosociaux associés aux décisions erronées tels que la pensée de groupe, les biais de confirmation ou l’effet pervers de la pression hiérarchique.
Quelques règles simples sont appliquées dans ces milieux à risques : inciter au débat contradictoire par des procédures de type « avocat du diable » ; favoriser « l’interaction généralisée » de haut en bas et de bas en haut de la hiérarchie afin d’assurer la fiabilité de la communication ; pour ce faire, ne pas punir les erreurs mais s’en servir comme expérience afin de mieux connaître et maîtriser les situations à risques ; encourager enfin une « hiérarchie restreinte impliquée » donnant le pouvoir d’agir aux opérationnels au plus près du terrain.

Recette Harper
Le musellement des contre-pouvoirs est donc une aberration du strict point de vue de l’efficacité de la gouvernance. La recette Harper garantit ainsi de cuisiner des plats politiques toxiques.
Trois conclusions en découlent. Le Canada est malade des abus d’un pouvoir autocratique. Dans le système parlementaire de type britannique, la concentration de l’essentiel du pouvoir entre les mains du seul chef du gouvernement l’invite à céder aux vertiges du pouvoir absolu, même quand il dispose d’une minorité absolue des voix. C’est un système archaïque.
Les flots d’argent du pétrole conduisent à mépriser l’écologie alors même que l’humanité entre dans une période de dérèglements climatiques inconnus des civilisations du passé, sur une planète à la biodiversité partout menacée d’effondrement. Vous dites « pétrole éthique » ? !
De plus en plus spectateurs d’une politique canadienne rétrograde écrite sans eux, les Québécois ne peuvent que sérieusement s’interroger sur la meilleure façon d’écrire leur propre histoire en phase avec les savoirs du siècle.
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Alain Brunel - Sociologue des organisations chez Technologia de Paris et cofondateur de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA)


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