Annapolis (suite et sans doute fin...)

« La conférence de paix sur le Proche-Orient était officiellement convoquée pour résoudre le conflit israélo-palestinien. Mais il y avait, sous la surface, un but dont on ne parlait pas, arrêter la montée de l’influence de l’Iran et du radicalisme islamique. »

Le cercle vicieux : colonisation, résistance, répression

A écouter les journalistes sur les chaînes de radio le mercredi 28 novembre, un fait émergeait : personne ne citait précisément la déclaration israélo-palestinienne adoptée lors de la réunion d’Annapolis. Il était donc bien difficile de se faire une opinion précise, au-delà des envolées émues sur la relance de la paix. Même pour ceux qui, comme moi, pensaient qu’Annapolis allait ressembler à « un village Potemkine » de la paix, la lecture de ce texte est pourtant un choc. « Nous nous engageons, affirment Israéliens et Palestiniens dans des négociations vigoureuses, continues et deploierons tous les efforts possibles pour parvenir à un accord avant la fin 2008. Dans ce but, il a été conclu qu’un comité de pilotage mené conjointement par le responsable de la délégation de chaque partie se réunira régulièrement. » Les deux parties s’engagent aussi à faire appliquer la feuille de route :« Les parties s’engagent également à remplir immédiatement leurs devoirs respectifs édictés par la "feuille de route" sur une solution permanente à deux Etats résolvant le conflit israélo-palestinien telle qu’elle a été mise en place le 30 avril 2003 par le Quartet, et conviennent de former une structure américano-palestino-israélienne, dirigée par les Etats-Unis, destinée à suivre l’application de la feuille de route. » Mais la feuille de route prévoyait la création d’un Etat palestinien avant la fin 2005 ; pourquoi ce qui a été décidé à l’époque n’a jamais été appliqué ? Pourquoi le serait-il maintenant ?
Mais le plus inquiétant, dans la déclaration commune, c’est l’absence de toute base juridique ou légale aux négociations ; il n’y a aucune référence au droit international, ni même à la résolution 242 du Conseil de sécurité et à l’idée d’échange de la paix contre les territoires. Les deux parties s’engagent à « des négociations bilatérales en toute bonne foi ». En toute bonne foi ? Mais que signifie ce terme ? Ehoud Olmert pense, « en toute bonne foi », que Jérusalem, y compris sa partie arabe conquise en 1967, est « territoire israélien » ; il pense « en toute bonne foi » que les grands blocs de colonies doivent être annexés à Israël. Il pense aussi, « en toute bonne foi », que la sécurité des Israéliens est plus importante que celle des Palestiniens.
Une nouvelle exigence est apparue, appuyée par le président Bush dans son discours : la reconnaissance d’Israël comme « un Etat juif ». Comme l’explique Jeff Halper, sur le site Counterpunch, dans un texte intitulé « Israel’s Strategy for Permanent Occupation » ((28 novembre 2007) :
« On demande aux Palestiniens de reconnaître formellement l’Etat d’Israël. Ils l’ont déjà fait en 1988 quand ils ont accepté une solution fondée sur deux Etats, puis au début du processus d’Oslo, et ils ont réitéré cette position durant les deux dernières décennies. Maintenant vient une nouvelle demande : qu’avant toute négociation,ils reconnaissent Israël comme Etat juif. Non seulement cela introduit un nouvel élément dont Israël sait que les Palestiniens ne peuvent pas l’accepter, mais cette demande remet en cause le statut d’égalité des citoyens palestiniens d’Israël, soit 20% de la population israélienne. Cela ouvre la voie au transfert, au nettoyage ethnique. Tzipi Livni, la ministre israélienne des affaires étrangères, a dit récemment dans une conférence de presse que l’avenir des citoyens arabes d’Israël est dans le futur Etat palestinien, pas en Israël même. »
Contrairement à certains lecteurs de ce blog, qui voient dans l’Autorité palestinienne des traitres prêts à vendre la Palestine (accusation qui avait été portée régulièrement contre l’OLP et Yasser Arafat à partir des années 1980), je pense que la direction actuelle palestinienne ne peut pas faire de compromis sur le retrait israélien de tous les territoires occupés en 1967 ni sur Jérusalem, ni sur le principe du droit au retour des réfugiés. Ses exigences minimales seront les mêmes que celles de la direction palestinienne en 2000-2004, du sommet de Camp David à la réunion de Taba. Or ces exigences (un minimum) sont inacceptables par la direction israélienne. Le plus probable, donc, n’est pas une « capitulation » de la direction palestinienne mais la poursuite de l’impasse qui dure depuis... quarante ans.
Un des éléments nouveaux dans cette réunion est l’implication plus directe des Etats-Unis sur le dossier, implication que l’administration Bush avait évité depuis sept ans. Mais il est à noter qu’ils ne s’impliqueront pas dans les négociations sur la solution définitive : ils seront dans « une structure américano-palestino-israélienne, dirigée par les Etats-Unis, destinée à suivre l’application de la feuille de route ». (...) « Les Etats-Unis surveilleront et jugeront de l’accomplissement de l’engagement des deux parties sur la feuille de route. » Cela revient d’ailleurs à mettre de côté les autres membres du Quartet (Russie, Union européenne et Nations unies), qui sont censés superviser la feuille de route.
Alors, une réunion pour rien ? Pas exactement, si l’on comprend les vraies raisons du sommet, que précise l’éditorial du Monde du 29 novembre, « Dernière chance ? » : « Sept ans après son arrivée à la Maison Blanche, George Bush s’est finalement décidé à s’emparer du dossier israélo-palestinien, dont il avait concédé jusqu’à présent la gestion aux gouvernements israéliens successifs. Il convient de saluer cet engagement américain, aussi tardif soit-il, et qui doit manifestement beaucoup à la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice. Mais il faut également en rechercher les raisons véritables à l’est de Jérusalem, en Iran plus précisément. »
C’est aussi ce qu’explique Steven Erlanger, sur le site du International Herald Tribune, sous le titre « A large shadow cast by an absent Iran » (27 novembre 2007) : « La conférence de paix sur le Proche-Orient était officiellement convoquée pour résoudre le conflit israélo-palestinien. Mais il y avait, sous la surface, un but dont on ne parlait pas, arrêter la montée de l’influence de l’Iran et du radicalisme islamique. »
Une analyse que partage Shmuel Rosner sur le site du quotidien Haaretz, « Analysis / Four quick points on Israel-Palestinian joint statement » (27 novembre). Il explique que « le timing de la conférence est important pour Israël particulièrement. (...) C’est l’année où Bush doit prendre une décision importante concernant Israël : s’il faut empêcher l’Iran pour tous les moyens nécessaires d’acquérir l’arme nucléaire ».
De ce point de vue, peut-on parler de succès américain ? Il est difficile de répondre. La large participation arabe est incontestablement importante pour eux. Mais un pays comme l’Arabie saoudite a traîné les pieds et son ministre des affaires étrangères a refusé de se faire photographier avec son homologue israélien. Et Ahmad Kasshogi, dans le quotidien saoudien Al-Watan du 28 novembre, dénonçait « l’idée fausse des Américains qu’il y avait dans la région un camp modéré et un camp extrémiste, et que le royaume saoudien et Israël, avec d’autres, appartenaient au camp modéré, alors que l’Iran, le Hamas, la Syrie et le Hezbollah étaient dans le second camp. Le royaume, l’Iran, la Syrie, le Hamas, avec l’Egypte, la Jordanie, et d’autres pays arabes appartiennent au même camp, liés entre eux par l’histoire, la religion, la langue et l’appartenance à l’Orient. Israël est quelque chose de tout à fait différent ».
Comment analyser la présence syrienne ? Pour l’instant, j’ai du mal à la décrypter. Est-ce que l’invitation envoyée à Damas et l’acceptation de Damas d’y participer marquent un infléchissement des relations syro-américaines ? Bush n’a pourtant pas mentionné la Syrie dans son discours. Mais des discussions sur le Golan devraient commencer rapidement à Moscou. Enfin, au Liban, un compromis pas trop défavorable à Damas semble se dégager avec la candidature du général Sleimane, le chef de l’armée, à la présidence.
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Alain Gresh29 articles

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Alain Gresh est directeur adjoint du Monde diplomatique. Spécialiste du Proche-Orient, il est notamment l’auteur de L’islam, la République et le monde (Fayard, Paris, 2004) et de Les 100 clés du Proche-Orient (avec Dominique Vidal, Hachette Pluriel, Paris, 2003). Il tient le blog Nouvelles d’Orient.





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