Ceux qui croyaient assister à une campagne électorale provinciale ont dû déchanter. Dans sa dernière phase, la campagne a pris une dimension pancanadienne, établissant une nouvelle fois que la question nationale québécoise constitue le pivot central de la politique canadienne.
C’est ainsi que la presse canadienne-anglaise est venue prêter main forte aux fédéralistes et aux anglophones de Montréal en appelant à un vote stratégique pour empêcher l’élection du Parti Québécois et écarter la perspective d’un nouveau référendum sur l’indépendance du Québec.
Les très torontois National Post et Globe and Mail ont coordonné leurs appels avec ceux de The Gazette et de La Presse pour inciter les fédéralistes, la droite et les anglos à larguer Charest et voter pour la CAQ.
La Coalition Péladeau, Harper, Legault et Sirois
Depuis environ un an, tout observateur politique le moindrement attentif a pu constater que les médias de Québecor, à coups de pages frontispices dans le Journal de Montréal et de Québec, de reportages à TVA et de sondages Léger Marketing, ont mis au monde, allaité et materné la CAQ.
Cette campagne promotionnelle concrétisait en territoire québécois l’alliance entre Pierre-Karl Péladeau et Stephen Harper dont nous avions eu une première mouture lors de la dernière campagne électorale fédérale avec l’appui inconditionnel de Sun Media, la filiale canadienne-anglaise de Quebecor, au Parti conservateur.
Nous ne devons jamais oublier, non plus, que Legault est sous la haute surveillance de Bay Street, par l’intermédiaire de son « associé » Charles Sirois, président du Conseil d’administration de la Banque Canadienne impériale du Commerce, la deuxième banque en importance au Canada, et une institution traditionnellement liée au Parti conservateur.
Au Québec, après le lock-out au Journal de Montréal, qui a épuré les rangs du journal de ses éléments les plus progressistes, PKP a recruté des chroniqueurs néolibéraux à la Éric Duhaime ou nationalistes conservateurs à la Mathieu Bock-Côté, qui appellent de leurs vœux la « révolution conservatrice » promise par Legault. Dans le cas de Bock-Côté, son renoncement à l’indépendance du Québec, pour le court terme, lui a, de plus, ouvert toutes grandes les portes de Radio-Canada.
Réalignement partiel de PKP
Étant donné l’alignement pro-CAQ de PKP, ce fut une surprise pour plusieurs de voir sa conjointe, Julie Snyder, participer à la grande assemblée publique de fin de campagne du Parti Québécois. Mais, alors qu’on aurait pu s’attendre à ce que la photo de Mmes Snyder et Marois fasse la manchette du Journal de Montréal, il n’en fut rien. Elle fut reléguée loin dans les pages intérieures.
La présence de Mme Snyder à cette activité s’explique sans doute par ses convictions féministes et souverainistes bien connues, mais il n’est pas interdit non plus d’y déceler les intérêts de son conjoint.
PKP a, de toute évidence, pris note de la très forte probabilité de l’élection d’un gouvernement péquiste et de l’occasion qui lui était offerte de se trouver des alliés dans la partie de bras de fer qui l’oppose à Bell devant le CRTC pour faire échouer la prise de contrôle d’Astral par Bell. L’amitié avec Harper a ses limites, surtout lorsque le concurrent fait aussi parti des intimes du premier ministre.
Il est de bonne guerre, dans ces circonstances, de laisser planer la possibilité d’une infidélité, ce que Mme Marois n’a pas manqué d’exploiter en mentionnant les communications, comme étant un des pouvoirs qu’elle s’empressera de réclamer du gouvernement Harper au lendemain de son élection.
L’ennemi de mon ennemi est mon ami
Dans un lutte aussi serrée que l’élection en cours, Québec Solidaire vaut un pesant d’or que les fédéralistes n’ont pas manqué d’évaluer à sa juste valeur. Propos élogieux de Jean Charest à l’endroit de Françoise David, reportages bienveillants de Radio-Canada, nombreuses pages frontispices de La Presse, tout cela démontre l’actualité du vieux principe politique, « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ».
Même le Forum musulman canadien (FMC) est entré dans la danse en donnant à Françoise David sa plus haute mention, une cote A, dont elle est la seule récipiendaire.
Sur son site Internet, le FMC a publié un « classement » des différents candidats de la grande région de Montréal en fonction des cotes suivantes : A : très bien; B : bien; C : passable; D : non recommandé.
Les Libéraux récoltent 31 mentions B, une mention C et une mention D, attribuée sans surprise à Fatima Houda-Pépin. Le score de la CAQ est de 6 B, un B-, un C- et 30 C. Sans surprise, étant donné son projet de Charte de la Laïcité, le PQ ramasse 36 mentions D. Seuls Daniel Breton et Léo Bureau-Blouin se voient attribuer un C-.
Du côté de Québec solidaire, on retrouve 25 C, un B-, 10 B, mais un B+ à Amir Khadir et un A à Françoise David. Le FMC a bien noté que QS est divisé sur la question de la laïcité, mais que Khadir et David sont de chauds partisans de la laïcité ouverte.
La fin de non-recevoir à une Charte de la laïcité n’est pas exclusive aux intégristes musulmans. Notre collaboratrice Louise Mailloux a démontré la farouche opposition des tous les intégristes religieux au Parti Québécois, du Conseil musulman de Montréal au B’nai B’rith juif, jusqu’aux intégristes catholiques, comme en a fait foi la violente sortie du maire Jean Tremblay du Saguenay contre Djemela Benhabib.
Tous ces groupes ont dû se réjouir de la déclaration de Françoise David au Devoir qui, lorsqu’interrogée sur les questions où QS pourrait appuyer un gouvernement péquiste minoritaire, elle a répondu : « Quand on entre dans les questions de langue, d’identité, de laïcité, on touche à des questions sensibles. Pour le moment, en tout cas, on dit non » (Le Devoir, 31 août).
Pour QS, le PQ est l’ennemi principal
Dans une autre entrevue au Devoir (25 août), Françoise David déclarait : « Après tout, s’il n’y a plus de vaisseau amiral de la souveraineté, mais plutôt une flottille et que Québec solidaire en fait très sérieusement partie, j’en serai ravie. »
Jamais les intentions de QS n’ont été aussi claires : envoyer par le fond le « vaisseau amiral » péquiste et le remplacer par une « flottille » de petites chapelles souverainistes. QS renouait avec la tradition gauchiste du mouvement « marxiste-léniniste » des années 1970 qui, avec son slogan « Parti Québécois, parti bourgeois », faisait de ce dernier son ennemi principal.
Dans le cadre d’un colloque organisé par les Nouveaux Cahiers du Socialisme, j’ai croisé le fer dans un atelier portant sur le Parti Québécois avec Bernard Rioux, un des chefs de file de QS dans la vieille capitale et un des principaux animateurs du site Internet Presse-toi à gauche.
À cette occasion, Rioux a qualifié le PQ de parti néolibéral, représentant de l’oligarchie financière, du 1% de la population, cible du mouvement Occupy Wall Street, le plaçant sur le même pied que le Parti Libéral.
L’essentiel de la présentation de Rioux consistait en un rappel des politiques adoptées sous Lucien Bouchard, si bien qu’on avait l’impression, comme je l’ai souligné, d’entendre un « Charest de gauche ». Tout ce qui allait mal au Québec découlait des années Bouchard.
Lorsque je lui ai demandé combien de rescapés de l’époque Bouchard étaient candidats péquistes lors de cette élection, Rioux a été incapable de répondre. En fait, il n’y en plus que sept et aucun d’entre eux ne peut être qualifié d’apôtre du néolibéralisme. Ce qui prouve la capacité du Parti Québécois à se renouveler.
En mettant sur le même pied, un Parti Libéral sous l’emprise de la mafia et des milieux financiers, et dont le chef est choisi par Paul Desmarais de Power Corporation, et un Parti Québécois, démocratique, dont le programme est adopté et le chef choisi par ses 90 000 membres, Bernard Rioux justifiait la position de la section de Québec de QS qui s’est prononcé contre toute entente, toute alliance avec le PQ.
Le programme provincialiste de QS
La campagne électorale a également permis d’examiner sur ses différentes coutures le programme de QS et, plus particulièrement, son approche provincialiste et sa démarche bancale d’accession à l’indépendance, en contradiction flagrante avec les récentes profession de foi souverainistes de Françoise David.
Premièrement, il est clair que l’Article premier du programme de QS n’est pas l’indépendance du Québec, mais la réforme du mode de scrutin. Alors que la démarche des indépendantistes est claire et limpide – l’élection du Parti Québécois, un référendum gagnant, la Proclamation de l’indépendance, suivie d’une Assemblée constituante – Québec solidaire s’enferre dans une vision provincialiste où on prévoit la tenue de plusieurs élections provinciales avant la prise du pouvoir par QS, la mise sur pied d’une Assemblée constituante et une hypothétique accession du Québec à l’indépendance.
De plus, la proposition d’Assemblée constituante de QS est doublement périlleuse. D’abord, elle laisse ouverte la possibilité qu’elle débouche sur la signature de la Constitution canadienne, ce qui constitue une invitation à toutes les manipulations de la part des fédéralistes.
Deuxièmement, en plaçant le statut politique du Québec sur le même pied que les autres sujets en débat lors de la Constituante, QS permettrait encore une fois à tous ceux s’opposant à l’indépendance du Québec de profiter des divisions qui ne manqueront pas de s’exprimer sur les sujets en débat (langue, laïcité, institutions, etc.), d’autant plus si les délégués à la Constituante sont invités par Québec solidaire, comme c’est le cas dans la présente campagne électorale, à voter en fonction de leurs « valeurs personnelles », de leurs « convictions », au détriment du Bien commun, en laissant de côté toute analyse et calcul stratégiques.
Vote stratégique : le choix est clair
Si on prête foi aux différents sondages, le résultat de l’élection va dépendre de la réponse que l’électorat libéral donnera au mot d’ordre des leaders de la droite, des fédéralistes et des anglophones à un appel au déplacement stratégique du vote vers la CAQ, tout comme, de l’autre côté, du ralliement tout aussi stratégique des forces progressistes et souverainistes au Parti Québécois.
Selon, les dernières évaluations du site Too Close to Call/Si la tendance se maintient, la « balance du pouvoir » réside dans l’électorat de Québec solidaire et Option nationale. Un déplacement stratégique de leurs intentions de vote vers le Parti Québécois permettrait au Parti Québécois d’arracher 9 circonscriptions au Parti Libéral et 10 à la CAQ, sans oublier le fait que la majorité péquiste est fragile dans 11 circonscriptions, où elle est inférieure à 5%.
Dépendant de ces déplacements stratégiques, nous aurons un gouvernement libéral-caquiste, en phase avec Stephen Harper et Mitt Romney, un gouvernement qui veut s’attaquer aux acquis de la Révolution tranquille et déclarer la guerre au mouvement syndical.
Ou bien un gouvernement du Parti Québécois majoritaire qui abrogera la loi 78, annulera la hausse des droits de scolarité, abolira la taxe santé, gèlera les frais de garde et les tarifs d’électricité, pour ne mentionner que ces engagements.
En un mot, un gouvernement antipopulaire ou un gouvernement pour le peuple. Le choix est clair!
BILAN DE CAMPAGNE
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