Je n'ai jamais embrassé l'idée simpliste et antidémocratique selon laquelle nous n'aurions qu'à ne pas lire un commentateur dont les idées nous irritent. Pour être un citoyen consciencieux, il faut, selon moi, au contraire, accepter de participer à une conversation démocratique dans laquelle, c'est inévitable, des idées contraires aux nôtres sont émises. Refuser cette épreuve, c'est s'enfermer dans un dogmatisme délétère. Voilà pourquoi je lis Alain Dubuc depuis vingt ans.
Ces dernières années, le chroniqueur du journal La Presse a changé de ton. Alors qu'il privilégiait, avant, les attaques frontales contre ses adversaires idéologiques -- les souverainistes et les gens de gauche, essentiellement --, il a choisi d'adopter, depuis quelque temps, un ton plus conciliant. Il lui arrive même, maintenant, de vanter une certaine social-démocratie et de saluer l'énergie et la créativité des souverainistes. Ce nouveau vernis, toutefois, ne doit pas faire illusion. Le message, au fond, derrière une façade plus avenante, reste le même.
Dans son plus récent essai intitulé À mes amis souverainistes, le chroniqueur joue la carte de la magnanimité, mais ce n'est que pour mieux rouler ses destinataires dans la farine. Le projet de souveraineté, tranche-t-il, «c'est terminé». Le Parti québécois ne va nulle part, les gens ne veulent ni d'un référendum ni de la souveraineté et toute cette machine idéologique, aujourd'hui, ne rime à rien. Dubuc, dans la pose du faux modeste, se garde bien de conclure formellement à une victoire du fédéralisme. Nous sommes, reconnaît-il, dans une impasse parce que la situation actuelle du Québec ne nous convient pas sans que nous arrivions à la modifier. Or, le problème, c'est que de nouvelles urgences socioéconomiques s'imposent à nous et que, pour être à la hauteur de la situation, nous avons besoin de faire front commun. Aussi, puisqu'il nous divise sans espoir de résolution, le débat national est-il donc devenu un obstacle à notre évolution collective. Les souverainistes devraient donc accepter de lâcher du lest, puisqu'ils sont les seuls à pouvoir, ce faisant, nous permettre d'entrer dans «l'ère post-souverainiste», à même de relancer le Québec vers un nouveau projet d'affirmation mobilisateur et consensuel.
Cette argumentation cousue de fil blanc ne trompera, c'est à espérer, personne. Il est vrai qu'il y a impasse dans le débat national. On voit mal, cela étant, en quoi la décision de mettre un terme à ce débat le réglerait, sauf au bénéfice des fédéralistes durs, que Dubuc reconnaît être archi-minoritaires au Québec. Pour montrer que le projet souverainiste n'a pas de chances d'emporter l'adhésion de la majorité, le chroniqueur avance l'argument que ce sont des «phénomènes extérieurs» (rejet de Meech, commandites) qui l'influencent. Sous la plume d'un soi-disant autonomiste comme Dubuc, cet argument apparaît particulièrement incongru. Des deux options -- réforme du fédéralisme ou souveraineté --, seule la seconde nous appartient en propre. Comment conclure, alors, que c'est elle qui doit être abandonnée?
L'avenir ouvert
Le Parti québécois, de plus, lors de ses passages au pouvoir, a fait la preuve que son option n'est pas un obstacle à la gouvernance de l'État. D'où son attitude actuelle: la souveraineté, dit-il, reste la meilleure solution pour le Québec, mais puisqu'elle n'est pas faisable à court terme, concentrons-nous sur autre chose qui ne renie pas l'idéal et qui tend vers lui. Plus tard, nous verrons. N'est-ce pas là une saine attitude politique qui laisse l'avenir ouvert?
Pas pour Dubuc, semble-t-il, qui, même s'il fait mine de leur lancer des fleurs, n'aime les souverainistes que désarmés et capitulards. Il évoque, pour les flatter, leur amour du Québec, mais ce n'est que pour mieux, ensuite, noircir le portrait. Ils entretiendraient ainsi une culture de la défaite et leur combat en faveur du Québec français flirterait avec l'intolérance. Au Québec, écrit Dubuc, «le français a gagné». Aussi, poursuivre le combat relève de l'obsession malsaine. S'il a raison quand il dit que la rage et le ressentiment servent mal la cause souverainiste, Dubuc sonne faux quand il affirme être à l'aise avec les souverainistes modérés. Pour lui, au fond, le bon souverainiste est celui qui a remisé sa cause au grenier des rêves et qui embrasse désormais la réalité d'un Montréal bilingue.
Une société comme la nôtre, enchaîne Dubuc, a besoin d'un projet porteur. Aussi, en échange de l'abandon du projet souverainiste qui n'aurait pas de vertus mobilisatrices, il nous propose une nouvelle mission: «réaliser au Québec un miracle économique et social». Ainsi résumé, le projet peut sembler emballant et consensuel, mais sa présentation détaillée fait vite déchanter. Entonnant son refrain néolibéral, qu'il mâtine d'un zeste de conscience sociale afin de dorer la pilule, Dubuc invite le Québec à s'enrichir en soulageant le capital, en remettant les syndicats à leur place, en acceptant plus de privé en santé, en augmentant les droits de scolarité, en ouvrant la porte aux PPP et au principe de l'utilisateur-payeur et en valorisant le bilinguisme. S'il chante les vertus de l'éducation, c'est essentiellement dans une perspective économique. Plus riches, dit-il, nous pourrons être plus solidaires (il faudra nous expliquer, un jour, pourquoi il faut cesser de l'être afin de mieux l'être) et nous serons plus heureux. L'économiste Pierre Fortin, qu'il cite à l'appui, expliquait pourtant, en février 2004, dans L'Actualité, qu'au-delà d'un revenu moyen de 18 000 $ par habitant (celui du Québec est de 30 000 $), l'argent n'a pas d'effet sur le bonheur collectif.
Est-il nécessaire de préciser que cet ouvrage, non exempt d'erreurs factuelles (le «référendum du 15 novembre 1995») et de coquilles («à été», «aurait dût», «schyzophrènes»), aurait dû s'intituler Au service de mes amis fédéralistes et capitalistes?
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louisco@sympatico.ca
Essais québécois
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