Alec Castonguay, Guillaume Bourgault-Côté - Ottawa — Après le déni, les aveux: les Forces canadiennes ont fait volte-face hier matin et confirmé pour la première fois qu'au moins un détenu transféré par le Canada a été torturé par la police afghane — au point de devoir être repris en charge. Une révélation qui a eu l'effet d'une bombe à Ottawa, où l'opposition entière réclame maintenant la démission de Peter MacKay.
Ainsi, le détenu qui a été secouru par un soldat canadien en 2006 parce qu'il était battu à coups de souliers et de bottes dans une cellule avait bel et bien été arrêté et transféré par l'armée canadienne quelques jours plus tôt, a déclaré en conférence de presse le chef d'état-major Walter Natynczyk.
La veille, M. Natynczyk avait pourtant catégoriquement nié que le Canada ait joué un rôle dans l'arrestation de cet individu. Prenant appui sur ce témoignage, le gouvernement avait répété en Chambre qu'aucune allégation de torture sur un détenu transféré par le Canada n'avait jamais été prouvée.
Or le général se trompait. Il affirme avoir été mis au courant seulement hier matin, à 9h, d'un document concernant cet incident survenu en juin 2006. «La connaissance que j'avais de cet événement était erronée», a-t-il reconnu. Une enquête interne a été ouverte pour faire la lumière sur cet incident.
Le rapport du commandant de section qui a fait prisonnier cet Afghan sur le champ de bataille en juin 2006 est très clair. On peut y lire que «trois hommes étaient dans une fourgonnette. [...] Un était selon toute vraisemblance un insurgé. Il a été arrêté, fouillé et interrogé. Nous avons photographié l'individu avant de le transférer pour nous assurer que, si la police nationale afghane l'attaquait, comme c'était arrivé dans le passé, nous aurions des preuves visuelles de sa condition.»
Après un interrogatoire rapide d'un policier afghan, le détenu lui a été remis. Il a été transporté dans un centre local de détention. Contrairement à la procédure habituelle, le prisonnier n'a pas été ramené à la base militaire principale de Kandahar, où les détenus sont interrogés et examinés avant leur transfert aux autorités locales.
La précision du sergent concernant la prise de photos semble témoigner d'une connaissance des risques de torture dans les prisons afghanes. Si cela s'avère et que les soldats ont continué quand même de transférer les détenus aux autorités locales, il pourrait s'agir d'une violation de la Convention de Genève.
Le général Natynczyk a d'ailleurs été incapable de dire si les lois internationales ont été contournées. «Je ne le sais pas, a-t-il laissé tomber. C'est pour ça que j'ai lancé une enquête interne pour connaître le fond de cette histoire. Je dois savoir ce que les soldats sur le terrain savaient à ce moment-là.»
L'enquête interne servira aussi à comprendre pourquoi l'information sur cet incident n'est pas remontée à la surface avant aujourd'hui, alors que la controverse fait rage à Ottawa depuis 2007.
M. Natynczyk a par ailleurs affirmé que le ministre de la Défense, Peter MacKay, ne l'a jamais contacté dans les dernières semaines pour savoir si des cas sérieux de torture avaient eu lieu. «Il a ses briefings et son équipe qui le tient au courant. Personnellement, je n'ai jamais parlé de ce sujet avec lui».
Les Communes s'enflamment
L'affaire a enflammé les Communes. Au cours d'une période de questions mouvementée, le Parti libéral et le Bloc québécois ont joint leurs voix à celle du Nouveau Parti démocratique, qui demande depuis mardi la démission du ministre de la Défense, Peter MacKay. «Plus que jamais, la demande de la majorité des députés de cette Chambre d'une enquête publique est légitime. Il faut mettre fin au camouflage et à la désinformation», a ajouté le chef du NPD, Jack Layton.
De retour d'Asie, le premier ministre Stephen Harper n'a pas défendu directement son ministre. Il a toutefois maintenu la ligne voulant que, «dans les cas d'abus, lorsqu'il y a eu des preuves, les Forces canadiennes et nos diplomates ont agi avec la plus haute intégrité».
Peter MacKay, qui s'est levé à des dizaines de reprises depuis le 18 novembre (date du témoignage de Richard Colvin) pour affirmer qu'on «n'a jamais réussi à prouver une seule allégation de mauvais traitements infligés à un prisonnier transféré par les Forces canadiennes», a cette fois indiqué que le général Natynczyk avait pris la bonne décision en le contactant et en convoquant la presse. Pour lui aussi, cela prouve que le Canada réagit promptement aux problèmes rencontrés en Afghanistan.
Selon Michael Ignatieff, «les militaires sur place ont agi correctement. Le général Natynczyk a agi correctement. Maintenant, c'est au gouvernement d'agir correctement et de lancer une enquête publique».
Comité
La journée s'est conclue par les témoignages rapides devant le Comité parlementaire spécial sur l'Afghanistan de Peter MacKay, de Lawrence Cannon (ministre des Affaires étrangères) et de Gordon O'Connor (ancien ministre de la Défense). La séance a été écourtée de près de moitié pour que les députés puissent participer à un vote en Chambre. Résultat: la période de questions n'a duré qu'une quinzaine de minutes et n'a permis aucune confrontation.
Durant sa présentation, Peter MacKay a tout de même affirmé «n'avoir jamais cherché à nuire à la crédibilité» de Richard Colvin. Il a par ailleurs juré que «le gouvernement ne s'est jamais fait complice d'actes de torture» en Afghanistan et que «personne n'a fermé les yeux». Il a reconnu que le premier protocole de transfert signé en 2005 était «inadéquat», mais a ajouté que sa correction en mai 2007 prouve la bonne foi du gouvernement.
Pour sa part, Lawrence Cannon a indiqué que, bien que le sort des détenus transférés soit important pour le Canada, la mission en Afghanistan n'inclut pas «d'assumer la responsabilité de tout ce qui se passe dans les prisons entre les Afghans».
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