Castonguay, Alec
Ottawa - Le premier ministre Stephen Harper a placé la mission canadienne en Afghanistan au coeur de son discours prononcé hier aux Nations Unies, à New York, soutenant même que la crédibilité de l'ONU est en jeu durant ce mandat difficile. Conscient du scepticisme qui règne au Canada à propos de la mission afghane, le chef conservateur a profité d'un décor idéal, avec en toile de fond un grand parterre de diplomates, pour s'adresser aux Canadiens et du même coup renforcer son message des derniers jours, à savoir que la guerre en Afghanistan est approuvée par l'ONU et que la cause est noble.
Stephen Harper a tout de même réservé ses paroles les plus mordantes pour la réforme de l'ONU, alors que certains sujets chauds comme le Moyen-Orient, le sida et les changements climatiques sont restés lettre morte, au grand dam des partis d'opposition à Ottawa.
Contrairement à ce que plusieurs attendaient, l'allocution du premier ministre n'a donc pas permis de cerner les aspirations des conservateurs en matière de politique étrangère. Mis à part la mission en Afghanistan, qui a occupé plus de la moitié de la quinzaine de minutes allouées au Canada sur la tribune de l'ONU, les autres sujets ont été rapidement expédiés.
Visiblement, Stephen Harper s'est adressé autant au public canadien qu'au parterre d'invités réunis à New York pour l'ouverture de la session d'automne à l'ONU. Plusieurs réseaux de télévision ont d'ailleurs retransmis le discours en direct, hier midi. Dès le départ, Stephen Harper a abordé le conflit afghan. «Pour être efficace, le Canada ne peut diluer ses efforts. Nous devons concentrer nos ressources considérables, mais limitées, dans les secteurs où nous pouvons changer les choses», a-t-il dit.
Puis, le premier ministre a enfoncé le clou. Si le Canada est en Afghanistan, c'est d'abord et avant tout pour répondre aux demandes de l'ONU. «La mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan est la plus importante mission politique spéciale de l'organisation. Et c'est aussi, et de loin, l'engagement le plus important et le plus vaste du Canada à l'étranger», a-t-il dit, avant de lâcher que «la mission de l'ONU est la mission du Canada».
Le chef conservateur a tenu à rappeler que 20 000 soldats en provenance de 37 pays sont actuellement déployés en Afghanistan. «Toutes nos actions en Afghanistan, civiles et militaires, sont menées en conformité avec le mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies», a-t-il martelé.
Le Canada mène d'ailleurs plus que des combats là-bas, a affirmé le premier ministre, notant le milliard de dollars en reconstruction qui seront investis par Ottawa d'ici dix ans. «Ces deux actions, soit la reconstruction d'une société éclatée et un environnement sécuritaire stable, vont de pair», a-t-il dit.
Puis, le premier ministre a enchaîné avec une pointe lancée aux dirigeants de la planète. «Des soldats, diplomates et coopérants canadiens sont en première ligne pour assurer l'avenir de l'Afghanistan. Les Canadiens sont extrêmement fiers du rôle de leader qu'ils ont joué, mais ils pleurent aussi les pertes qu'ils ont subies. Nous sommes tout à fait conscients que la mission de l'ONU n'est pas terminée. Nous ne nous faisons aucune illusion sur les difficultés qui nous attendent. Ces difficultés ne nous effraient pas; ce qui nous effraie, c'est l'absence de volonté commune au sein de cette organisation.»
Selon Stephen Harper, les pays membres ne doivent pas délaisser la mission en Afghanistan. «Si nous trahissons le peuple afghan, c'est nous-mêmes que nous trahirons. Car il s'agit de la plus forte mission des Nations Unies et celle qui nous met donc le plus à l'épreuve. Notre volonté commune et notre crédibilité seront jugées. Nous ne pouvons pas nous permettre d'échouer. Et nous réussirons.»
La réforme de l'ONU
Le premier ministre fédéral a ensuite bifurqué vers la réforme de l'ONU, suivant dans son discours la voie tracée par ceux qui souhaitent des Nations unies plus efficaces. «Cette organisation doit rendre davantage de comptes. La réforme de l'administration doit se poursuivre et à un rythme accéléré. Les contribuables des nations membres font des contributions financières significatives à cette organisation. Ils ont donc le droit de s'attendre à des mécanismes de contrôle plus stricts et plus impartiaux, à des rapports plus précis sur la façon dans les fonds sont dépensés et à des pratiques de recrutement et de promotion fondées sur le mérite», a-t-il lancé.
«Il est toujours difficile de rassembler les nations pour bâtir un monde meilleur, de forger un consensus sur des objectifs communs et de trouver la volonté politique de traduire ces décisions en actes, a poursuivi Stephen Harper. Lorsque ces objectifs ont été atteints, le Canada a toujours été là avec vous.»
Pour donner un exemple des défis internes que l'ONU doit relever, le premier ministre a pointé du doigt le Conseil des droits de l'homme, qui vient tout juste d'entrer dans sa nouvelle mouture. «Le nouveau Conseil des droits de l'homme deviendra-t-il une tribune où ces droits passeront vraiment avant les manoeuvres politiques? Ou aura-t-il le même sort que l'organisation qui l'a précédé et a failli à sa tâche? Mais je dois vous le dire, les toutes premières indications montrent qu'il n'y a pas eu beaucoup de changements. On n'a pas encore tourné la page.»
Stephen Harper a rapidement passé sur le Darfour et l'Iran, cette fois encore comme des exemples de défis que l'ONU doit relever. «La prolifération nucléaire nous menace tous. Sommes-nous prêts à faire en sorte que les décisions prises par le Conseil de sécurité soient pleinement appliquées? Agirons-nous pour stopper les activités qui n'ont d'autres fins que l'acquisition d'armes nucléaires?», a-t-il demandé dans une allusion à peine voilée à l'Iran.
Le Moyen-Orient, largement discuté depuis quelques jours à New York, a lui aussi eu droit à une phrase en forme d'interrogation. «Le Canada s'est joint à la communauté internationale dans la reconstruction du Liban. Mais la FINUL assurera-t-elle la sécurité à la frontière septentrionale d'Israël et conduira-t-elle à un processus de paix dans la région?»
Réactions à Ottawa
Dans la capitale fédérale, les partis d'opposition se sont dits déçus des silences du premier ministre sur des sujets précis comme le sida, l'Afrique et les changements climatiques. «Ce qu'il n'a pas dit est plus important que ce qu'il a dit, a soutenu le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe. J'aurais aimé qu'il parle des racines du terrorisme, de l'extrême pauvreté et de la façon de la combattre.»
Le Parti libéral, de son côté, aurait voulu que le premier ministre mette davantage l'accent sur la guerre civile au Darfour. «C'est le Rwanda qui se répète et le Canada n'a pas fait le cri du coeur qu'on était en droit de s'attendre», a déclaré Keith Marin, porte-parole du parti en matière d'affaires étrangères.
Au NPD, on espérait une mention sur les changements climatiques, un problème qui menace la planète, a affirmé Alexa McDonough, porte-parole néo-démocrate en matière d'affaires étrangères. «C'est un discours prévisible et décevant», a-t-elle résumé.
Afghanistan : l'image de l'ONU est en jeu
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