Revue de presse

Y a-t-il un idéologue dans la salle de rédaction?

Hausse de tarifs et financement des services publics

Chronique de Louis Lapointe

Voici cinq extraits d’articles parus cette semaine et portant sur l’épineux débat du financement des services publics. Comme vous pourrez le constater, un débat qui autorise à dire et écrire n’importe quoi et son contraire.

La Presse, dimanche le 15 février 2009.

Y a-t-il un avocat… dans la salle d’op. ? Alain Dubuc :
On peut constater que la mixité du privé et du public est acceptée dans tous les pays. Le Canada est le seul pays qui, au lieu de gérer le problème, comme on le fait ailleurs avec succès, a choisi une approche légale, celle de l'interdiction.(...)

Il faut aussi dire que ce n'est pas la première intervention de Mme Prémont, fort populaire dans les médias. Cette juriste est aussi une militante, qui combat avec passion les manifestations du privé en santé. Cela n'enlève rien à sa compétence, mais cela permet de situer ses opinions dans leur contexte, dans un débat où il n'y a pas de vérités révélées.
Ce qui m'amène, pour terminer, à une remarque sur le rôle des universitaires dans le débat public. On a souvent tendance à voir les universitaires comme des juges qui, grâce à leur compétence, sont des analystes objectifs et des arbitres neutres. Les chercheurs, surtout dans les sciences non exactes, ont des convictions, des passions, qu'ils défendent par leurs recherches. Cela n'enlève rien à leur rigueur. Mais les débats universitaires sont extrêmement idéologiques, en économie, en sciences politiques, et particulièrement en santé.

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L’ancien recteur et universitaire Robert Lacroix est–il lui aussi un idéologue au sens où le définit Alain Dubuc?
Le Devoir, lundi le 16 février 2009.
L'entrevue - De la recherche fondamentale jusqu'au lit du patient. Pauline Gravel.

Robert Lacroix, ancien recteur de l'Université de Montréal et président du conseil de l'Institut de recherche en immunologie et en cancérologie (IRIC):
La diversité des financements accroît la liberté universitaire. Avoir un financement strictement public est souvent la plus grande contrainte à la liberté des universités, car si le gouvernement décide pour une raison ou une autre de supprimer ses subventions, vous n'étouffez pas l'université, prétend le professeur d'économie. «Ce n'est pas parce que vous avez un financement public "mur à mur" que vous garantissez la qualité universitaire. Les universités françaises qui sont entièrement financées par l'État ont vu leur qualité relative -- par rapport aux universités nord-américaines -- se détériorer au cours des quarante dernières années.»
«Il va falloir aborder la question du financement des universités non pas de façon idéologique, mais en considérant les différents modèles adoptés dans le monde et en s'en dessinant un qui tienne compte de notre réalité et qui soit plus efficace que l'actuel», conclut-il.

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Selon Joseph Facal le financement public garantit un meilleur accès aux services pour les moins nantis. Étonnamment, il défend ici le réseau d’enseignement privé, des arguments tout aussi valables pour le secteur public? Contrairement à ses collègues, Joseph Facal résiste à la tentation de traiter d'idéologues ceux qui ne partagent pas son opinion, même si manifestement l'intention est là!

Mardi le 17 février 2009. Blog de Joseph Facal.
Fausse route, faux débat, Joseph Facal

L’école privée sélectionne, c’est vrai. Mais elle sélectionne sur la base du mérite académique des enfants et non du portefeuille des parents. Qu’on puisse lui imposer d’autres exigences, ça se discute.
Mais coupez les subventions aux écoles privées et qu’arrivera-t-il ? Elles devront exiger des frais à la hauteur du coût réel de la formation. Les parents qui n’en auront plus les moyens devront retourner leurs enfants dans le secteur public qui verra ses coûts augmenter. Et nombre d’écoles privées fermeront faute de clientèle.
Les écoles privées restantes seront alors réservées non plus aux enfants talentueux, d’où qu’ils viennent, mais aux parents qui en ont les moyens, peu importe les mérites de leur enfant. C’est ça qu’on veut ? (...)
Comme par hasard, on y livre souvent un combat quotidien contre les conventions collectives soviétiques, les bêtises des commissions scolaires et les théories fumeuses des intégristes de la psychopédagogie.

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Il semble que Claude Castonguay retienne le même genre d'arguments au sujet de l’accès aux services, mais seulement en période de crise, et pas pour tous les tarifs!
Le Devoir, vendredi le 20 février 2009.
Castonguay change son fusil d'épaule

«Compte tenu de la situation économique difficile, il ne convient pas d'accroître le fardeau des citoyens, a dit M. Castonguay, Au moment où le Québec s'engage dans une récession «inquiétante», il vaut mieux ne pas soulever à nouveau ce débat, conclut aujourd'hui l'auteur des recommandations. «Je pense bien que ne n'est pas le moment», a laissé tomber M. Castonguay.
Néanmoins, en dépit de la crise, le «père de l'assurance maladie» n'est pas pour autant en faveur d'un gel des tarifs tous azimuts, comme le suggère le Parti québécois.
«Un gel total des tarifs serait contre-indiqué. Il y a des types de tarifs qui doivent connaître une évolution régulière, je crois. Il y a des mécanismes pour apporter ces changements de la façon la plus correcte possible», a-t-il fait valoir.
Parmi les frais pouvant être revus à la hausse, Claude Castonguay cite les tarifs de l'assurance automobile et de l'électricité, mais aussi ceux de l'assurance médicaments ou du transport en ambulance. «La grande partie des travailleurs vont conserver leur emploi et ils pourront faire face aux augmentations parce que la récession freine, pour l'instant, l'inflation»

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J’avoue ne pas trop comprendre la logique de Claude Castonguay, on pourrait augmenter le fardeau des citoyens en période de crise quand il s’agit de payer les médicaments ou de l’électricité, mais pas lorsqu’il s’agit de soins de santé. Il a dû lire l'article d'Alain Dubuc dans l'édition de la Presse du mercredi 18 février.
Une très mauvaise idée
.
Dans le cas de hausses de prix naturelles, soumises à des processus de contrôle, comme l’électricité, les choses devraient suivre leur cours normal. Dans le cas de tarifs qui servent à équilibrer une caisse, comme l’assurance médicaments ou la SAAQ, le gouvernement pourrait retarder des hausses, par choix, si l’on prévoit un mécanisme de rattrapage.
Mais il y a des hausses de tarifs à bannir. Et ce sont celles qui serviraient à réduire le déficit. Le Québec, comme le disait le rapport Montmarquette, a du rattrapage à faire. Mais ce n’est vraiment pas le moment. Cela aurait le même effet qu’une hausse des impôts, cela irait dans le sens contraire à une stimulation de l’économie et cela empirerait les choses. Nous sommes dans une période où le gouvernement doit avoir une seule priorité, soutenir l’activité économique et lutter contre la récession.

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Parlant de hausses de prix naturelles, un nébuleux concept manifestement incompris par Claude Castonguay, Alain Dubuc cite encore une fois un autre professeur d'université, Claude Montmarquette. S'agit-il d'un de ces idéologues au service du CIRANO? Partageant cette fois-ci les vues de l'éminent professeur, Alain Dubuc ne le mentionne pas!
Mais laissons le dernier mot à l'ineffable Joseph Facal qui a fini par succomber à la tentation que qualifier d'idéologues ceux qui souhaitent une hausse du salaire minimum...
Mercredi le 18 février 2009. Blog de Joseph Facal.
Les deux aveugles

L’idée même de porter le salaire horaire à 10,20 $ d’un coup ne peut jaillir que d’un cerveau qui nie les fondements de l’économie de marché. Le chômage augmenterait immédiatement. La vraie cause de la pauvreté n’est pas la faiblesse des salaires elle-même, mais le fait que le manque d’éducation empêche la personne d’avoir accès aux emplois mieux payés.
L’aveuglement idéologique de ceux qui nient les mérites évidents du capitalisme ne vaut pas mieux que l’aveuglement idéologique de ceux qui ne voient pas le danger des excès.

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À la lecture de nos savants spécialistes, nous aurons tous compris que si la hausse des tarifs, le financement de l'école privée et l'élitisme relèvent du bon sens, la hausse du salaire minimum est une mesure à caractère idéologique. Moi qui pensais que des salaires plus élevés augmentaient la consommation et stimulaient l'économie alors que les hausses des tarifs avaient l'effet contraire!

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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