J’ai été témoin de ce qui arrive quand on tend l’oreille aux débats et aux échanges entre journalistes, à micro fermé, durant le congrès annuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, du 23 au 25 novembre dernier : la langue de Shakespeare et de Pulitzer émaille leur discours, même si c’est à des degrés divers.
Force est cependant de reconnaître que du Devoir aux hebdos régionaux, de La Presse+ à Radio-Canada, « ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés », pour paraphraser La Fontaine dans « Les animaux malades de la peste ».
D’un atelier à l’autre en effet, plus un mot faisait concrètement image, plus sa force évocatrice était élevée, plus chacun recourait à l’anglais. Dans certaines phrases, tous les noms et les verbes goutaient à la médecine anglicisatrice; ne survivaient que quelques déterminants, adverbes ou adjectifs, comme égarés et hagards en si étrange compagnie.
Vous croyez que j’exagère? Voici un petit florilège pour les sceptiques: « J’ouvrais mon lap top dans le backstore près du big boss sans mon name tag. Whatever, ce jour-là, j’avais été obligé de bullshiter un c.v. […] By the way, ma best friend, ma partner me soutenait, mais tôt ou tard, il faut que tu te stooles. »
Tel quel.
Mieux : apprenez que sur Instagram, vous pouvez être « taggués dans une story intégrée dans le workflow et les updates ». Eh ben.
D’autres exemples de cet étourdissant tourbillon? En vrac : on me voit en chest. Il voulait me cheerer up (m’encourager). À partir des datas, on fait des big boxes (encadrés). Pour rentabiliser un média, ça prend du commitment, ce qui fait le bread and butter des médias… Il y a un build-up autour de ce resto.
Et une pluie d’emprunts directs pour épicer tout propos à tout vent : doorman. Tchôquer. Staff accomodation. Manhole. Release. Spotlights. Skills. Explainers. Feeder un média. Swiper une image, slider une diapo.
La goutte a fait déborder le vase quand j’ai entendu un conférencier demander où était le dimmer (gradateur) dans la salle…
Je me suis alors demandé : comment faire, je dirais non pas pour rejeter en vrac ces emprunts parfois difficiles à remplacer, mais pour développer une conscience collective, une vigilance de tous les instants ? En avons-nous encore, individuellement et collectivement, la volonté ?
Dans L’écriture journalistique sous toutes ses formes, Robert Maltais insiste pourtant sur le fait que les journalistes doivent tenter, quand c’est possible, de remplacer les mots anglais par leur équivalent français. La coupe est bien loin des lèvres, ici !
En attendant, chaque fois que je participe au congrès de la FPJQ, mon anglais s’enrichit, et mon français s’appauvrit.
Pendant ce temps, l’accès sans fil à Internet de l’hôtel américain Hilton à Québec était uniquement en anglais, en violation flagrante de la loi 101. Mais à quoi bon protester : avant de leur faire la morale, peut-être devrions-nous nous demander si nous la respectons nous-mêmes, notre langue…
SVP, par pitié, ne « likez » pas ce texte : contentez-vous, tout simplement, de l’aimer.
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