Voter : un droit et un devoir

Montréal - le choc

L'éditorial de [Josée Boileau en date du 3 novembre->33122] soulève une question à laquelle il vaudrait la peine de réfléchir collectivement. Le vote devrait-il être obligatoire?
Le citoyen qui veut changer ses armoires de cuisine doit se munir d'un permis municipal.
Le citoyen qui veut conduire un véhicule automobile doit posséder un permis de conduire.
Le citoyen qui ne veut pas être poursuivi par l'État doit produire une déclaration de revenus chaque année.
Le citoyen qui veut exercer le métier de menuisier doit détenir une carte de compétence en la matière.
Le citoyen qui veut se faire soigner doit être en possession de sa carte d'assurance maladie.
Le citoyen qui ne veut pas payer une amende doit respecter les feux rouges et arrêter sa voiture aux coins des rues où se trouvent des pancartes Arrêt/Stop.
Le citoyen qui veut promener son chien sans s'attirer les foudres de la municipalité doit posséder un permis.
Arrêtons là cette liste qui pourrait s'allonger et contentons-nous de constater que la vie en société, si elle nous a apporté une foule de droits -- dont le droit de vote, pour lequel des milliers de personnes ont donné leur vie -- que l'on doit absolument défendre, elle nous impose aussi un certain nombre de devoirs que l'on doit absolument assumer, sous peine de tomber dans la cacophonie la plus totale.
Ainsi donc, ce qui est obligatoire pour le chien, la cuisine, l'automobile, les feux rouges, la carte soleil et le reste ne le serait plus quand il s'agit de choisir les personnes qui, en notre nom, seront appelées à prendre des décisions qui nous engageront au plus haut point, individuellement et collectivement? Des personnes qui détermineront le niveau des taxes municipales, d'autres qui seront appelées à décider si le pays entre en guerre, si la peine de mort doit être rétablie, s'il vaut la peine d'augmenter les budgets en santé et en éducation, s'il faut imposer par loi spéciale les conditions de travail et de salaire de centaines de milliers de travailleurs.
On pourra rétorquer que le vote obligatoire ne peut être la seule réponse à la grave crise du système de représentation qui va s'accentuant. Il serait par contre intolérable et surtout dangereux que le cynisme ambiant soit érigé en système et qu'il s'installe à demeure. Car la démocratie, contrairement à ce que d'aucuns pourraient croire, n'est pas une garantie perpétuelle. Cela s'est vu dans l'histoire, même récente. Mais quand l'histoire nationale n'est pas enseignée et que l'éducation civique, loin d'être d'inspiration marxiste, est plutôt un OVNI d'inspiration martienne, faut-il s'étonner de ce que la jeune caissière dont parle Josée Boileau ignore que dimanche, à Montréal et partout au Québec, se tenaient des élections?
Et ailleurs?
Ce vote érigé en droit est aussi considéré dans un grand nombre de pays comme un devoir dont il est obligatoire de s'acquitter. Des pays dont il serait risqué de remettre en doute le caractère démocratique. En Belgique, ce devoir a été introduit en 1893. En Australie, c'est depuis 1924 que les citoyens doivent l'exercer. Idem pour le Luxembourg, depuis 1924. Même chose pour la Grèce, la Turquie, le Costa Rica et le Brésil.
Les sanctions attachées à l'absence d'exercice de ce droit/devoir varient considérablement d'un pays à l'autre, mais force est de constater qu'ailleurs dans le monde, il se trouve des pays pour estimer que le vote a une certaine importance et que l'État, comme il le fait en d'autres circonstances, doit prendre des mesures pour que les citoyens se donnent la peine de se déplacer pour l'exercer. Y compris pour annuler leur vote, car il s'agit là de l'expression d'une opinion sur le choix qui leur est offert.
«Où étiez-vous?», demandait Josée Boileau aux quelque 62,3 % de citoyens qui, à Montréal, ne se sont pas déplacés pour exercer leur droit de vote. Occupés ailleurs sans doute, qui à promener son chien, qui à refaire ses armoires, qui à préparer ses papiers pour l'impôt, qui à regarder le football, qui à se rincer l'oeil à Occupation double. Et pendant ce temps...
Le directeur général des élections croit qu'une telle obligation pourrait ne pas résister aux prescriptions de la Charte canadienne des droits? J'affirme humblement que le cas échéant, c'est dans la Charte elle-même que se trouverait le problème.
***
Michel Rioux, Montréal


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->