On aimerait bien que la vertu soit si solidement ancrée dans la nature humaine qu'il devienne impossible de tirer profit d'une situation pour s'enrichir indûment aux dépens des autres. Mais la réalité est que plusieurs mettront de côté leur intégrité personnelle pour succomber à l'appât du gain, surtout s'il leur est facile de contourner les règles sans risquer de se faire prendre.
Ni le secteur privé, ni le public ne sont à l'abri de ces défaillances éthiques.
Les révélations des dernières semaines sur la corruption dans le monde municipal sont une nouvelle preuve que des gens dont c'est la profession d'être au service du public peuvent aussi y succomber. De même, au sein d'une entreprise, un responsable des approvisionnements peut, par exemple, s'entendre avec un fournisseur particulier en échange d'une commission illicite.
Il existe évidemment déjà des procédures ou des ententes contractuelles interdisant ce genre de pratiques, et des lois pour sanctionner les personnes qui les violent. Mais une approche uniquement éthique et juridique n'est de toute évidence pas suffisante pour éradiquer le phénomène.
D'un point de vue strictement économique, quel est le mécanisme qui a le plus d'impact sur ces comportements? C'est bien sûr la concurrence.
Dans la presque totalité des cas dont il est question ici, le problème central, au-delà du manquement à l'éthique, vient du court-circuitage de la concurrence. Qu'il s'agisse de collusion, de favoritisme, de conflits d'intérêts, de trafic d'influence, d'appels d'offres truqués ou de processus de soumission arrangé d'avance, le mécanisme de la concurrence n'a pas joué son rôle. C'est pourquoi l'organisation qui achète -- entreprise privée ou organisme public -- se retrouve avec des biens ou services qui ne sont pas les plus appropriés ou les moins chers.
C'est sur ce plan qu'il existe des différences majeures entre les secteurs public et privé. Car l'entreprise privée, elle, est généralement soumise à la concurrence.
Imaginons le cas d'une compagnie qui paie systématiquement ses intrants 25 % trop cher à cause de la corruption de son directeur des approvisionnements. Que lui arrivera-t-il? Étant elle-même en concurrence avec d'autres entreprises elle finira par se retrouver dans une situation de désavantage compétitif. Ses dirigeants ont une très forte incitation à découvrir la source du problème et à y mettre fin. Sinon, la compagnie va perdre des clients et pourrait même disparaître.
Qu'en est-il maintenant d'une administration publique qui jouit d'un monopole sur son territoire ou dans son domaine et qui n'a pas à se soucier de la concurrence? Une municipalité, par exemple, peut pendant des années payer 25 % plus cher qu'elle ne le devrait pour des contrats de construction mal exécutés, sans que cela entraîne la moindre conséquence. Les frais supplémentaires seront dissimulés dans des rapports financiers complexes et les victimes ultimes, les contribuables, n'auront que la possibilité d'exprimer leur mécontentement en faisant une croix sur un bulletin de vote tous les quatre ans.
La généralisation des processus d'appel d'offres pour la fourniture des services publics visait à limiter cet effet pervers des monopoles et à intégrer des mécanismes de marché dans la gestion du secteur public. On a toutefois oublié que, dans un véritable marché, ce ne sont pas uniquement les fournisseurs qui se font concurrence, mais aussi les donneurs de contrats.
Donner un choix aux consommateurs
On aura beau mettre en place des escouades policières spéciales et resserrer les processus d'appel d'offres, la corruption continuera à fleurir tant que les donneurs de contrats ne seront pas eux-mêmes plus directement assujettis à des sanctions de marché.
Qu'est-ce que cela signifie pour le secteur public? On peut évoquer rapidement quelques pistes, qui ont toutes comme point commun de donner un choix aux consommateurs.
On devrait dans la mesure du possible mettre davantage en concurrence services publics et services privés, comme on le fait déjà dans une certaine mesure en santé et en éducation. Dans certains domaines, il faudrait remettre carrément en question l'implication du gouvernement. Pensons à la SAQ.
Dans le cas des municipalités, pourquoi ne pas revenir sur cette très mauvaise mesure qu'ont été les fusions forcées au début de la présente décennie? À l'époque, l'un des principaux arguments de l'Institut économique de Montréal contre le projet de Louise Harel était qu'un plus grand nombre de villes à l'intérieur d'une zone géographique donnée suscite une concurrence sur le plan de la fiscalité et de la qualité des services. Les citoyens peuvent ainsi exercer une pression sur leurs élus en «votant avec leurs pieds», c'est-à-dire en déménageant dans la municipalité qui leur convient le mieux.
La nature humaine est la même où que l'on travaille. La meilleure façon de limiter la corruption, c'est d'appliquer le plus possible au secteur public ce mécanisme inhérent à l'économie de marché. Ce n'est pas par hasard que les pays les moins corrompus, selon le classement établi par l'organisme indépendant Transparency International, sont par ailleurs des pays prospères laissant une grande place à la concurrence et à l'économie de marché.
***
Michel Kelly-Gagnon, Président-directeur général de l'Institut économique de Montréal
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé