Il est dangereux de fonder une analyse sur des anecdotes, mais elles sont parfois si éloquentes.
Ainsi donc, dimanche, tout le Québec devait se rendre aux urnes. Les Montréalais surtout, furieux des révélations dont les médias les avaient assommés. Pourtant, la charmante jeune caissière d'un détaillant d'une grande artère fut tout étonnée de se faire demander si elle finirait à temps pour voter. «Pourquoi??? Y'a des élections???»Deuxième anecdote, piquée à La Presse: la responsable d'un bureau de scrutin a bloqué l'entrée à Richard Bergeron au motif qu'elle ignorait qui il était. Cette personne n'avait donc ni écouté un bulletin de nouvelles, ni lu les journaux, ou le bulletin du vote qu'elle devait superviser...
À combien d'exemplaires cette ignorance crasse s'est-elle répétée dimanche? Et dans quelle mesure n'explique-t-elle pas, plus que tout autre motif, le piètre taux de participation au vote?
Si l'abstention relevait d'un rejet conscient de la politique, cela témoignerait encore d'un rapport à la vie citoyenne. Mais il faudra bien finir par voir qu'elle est plutôt de l'ordre d'une dépolitisation profonde du Québec, qu'un titre du Devoir d'hier résumait parfaitement: «Pendant ce temps, à Occupation double»...
Il faudrait des mesures énergiques pour brasser la cage du confort et de l'indifférence, de l'absence de curiosité, du repli sur soi et encore soi et ses amis. Mais ce signal ne viendra pas de sitôt.
Le communiqué diffusé hier par le ministre des Affaires municipales, Laurent Lessard, était à cet égard consternant. La moyenne du vote au Québec fut de 45 %, de 38 % à Montréal. Mais, réjouissons-nous, puisque Shigawake et Saint-Joseph-de-Ham-Sud ont voté à plus de 80 %! Quels puissants symboles d'une démocratie active!
La démocratie, poursuit le ministre, ce sont aussi ces 9 % de 18 à 35 ans qui ont été élus: «des résultats vraiment encourageants». Allons! Ils étaient 8 % d'élus dans cette strate d'âge en 2005. Et en 1976, 23 % des élus à l'Assemblée nationale n'avaient pas 35 ans... Notre société amnésique a déjà oublié que les jeunes trentenaires n'ont pas toujours été des adulescents.
À ces faux motifs de réjouissance s'ajoute une recherche éperdue de moyens pour promouvoir le vote: et que je bippe, et que je twitte, et que je conçois des publicités percutantes... Sans résultat, évidemment: si les pubs-chocs avaient de l'effet, il y aurait depuis longtemps moins de fous au volant! Ce sont plutôt les pancartes qu'il faudrait ressortir. Avec des rues tapissées d'affiches, il y a au moins une chance que les insouciants s'interrogent: se passerait-il quelque chose en ville?
Et c'est une solution bien gentille par rapport au grand coup que l'on pourrait porter. Le vote obligatoire a fait ses preuves en Australie et en Belgique. Il faudra peut-être un jour s'y résoudre si l'on ne veut pas que la politique finisse entre les mains d'un club fermé de citoyens.
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jboileau@ledevoir.ca
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