Le pernicieux sentiment d'incapacité de Montréal

Montréal - le choc

Il est navrant de constater l'installation d'un sentiment d'incapacité croissante à planifier, organiser, réaliser et évaluer les activités de la vie courante à Montréal. Ce sentiment d'incapacité est encore plus profond pour les projets de consolidation et de développement à moyen et long terme. La mise en oeuvre des ressources humaines, matérielles et financières y est difficile, voire incohérente. Ces trois phrases constituent pourtant le corpus de base d'un cours d'administration 101.
Cette incapacité à administrer et à gérer les activités et les projets se manifeste de façon croissante chez les autorités municipales, mais également chez les autorités fédérales et québécoises. Par contre, ne soyons pas dupes, l'incapacité de très nombreuses entreprises privées à l'effectuer de façon moralement, socialement, écologiquement et même juridiquement responsable est également bien présente.
Force est de constater les difficultés, voire l'incapacité, à réussir à consolider et développer les infrastructures de base à Montréal en fonction d'un échéancier et d'un budget responsable: le réseau routier, celui de l'aqueduc et des égouts, le parc immobilier scolaire, sociosanitaire, locatif (industriel, commercial et résidentiel), les actifs requis pour le transport collectif des personnes, les systèmes informatique et téléphonique, etc.
Impuissance
Ce constat est tout aussi valide concernant la réalisation de trop nombreuses activités courantes et projets de façon responsable, tant en régie publique qu'en sous-traitance aux entreprises privées et encore davantage en partenariat public-privé.
Dans un contexte normal, les donneurs d'ordre (tant publics que privés) réalisent des activités et projets en régie (en fonction de leur expertise et de leur capacité) ou en sous-traitance contractuelle. Les donneurs d'ordre sont trop souvent incapables de faire respecter de façon responsable l'objet, la pertinence, les moyens, l'échéancier et le budget des contrats qu'ils consentent en sous-traitance. La perspective de partenariats public-privé donne des frissons dans le dos.
De façon plus générale ce sentiment d'incapacité est jumelé à celui d'impuissance à réunir les conditions qui pourraient favoriser:
- un cadre et une qualité de vie à Montréal susceptibles de retenir sa population et son expertise;
- la réussite scolaire;
- la prestation de services sociosanitaires adéquats au quotidien et en période de pandémie;
- l'intégration harmonieuse des nouveaux Montréalais issus de l'immigration;
- la prestation de services en français;
- des pratiques industrielles et commerciales plus saines et moins cupides ou frauduleuses;
- des pratiques économiques et financières plus axées sur l'économie réelle que sur l'économie virtuelle basée sur la spéculation mobilière et immobilière;
- une fiscalité plus équitable et moins vulnérable à l'évasion tant légale que frauduleuse;
- des pratiques individuelles et collectives dans une perspective de développement durable;
- une démocratie citoyenne et, conséquemment, une participation plus active au processus électoral et au politique, au sens noble du terme.
Lucides et cupides
Le discours des tenants de la lucidité ambiante repose trop souvent sur les principes du néoconservatisme politique et du néolibéralisme économique triomphant, dont l'objectif central repose sur la cupidité individuelle.
Les pseudo-lucides, qui agissent trop souvent en «cheerleaders» des cupides, sont de plus en plus présents et dominants au sein des autorités gouvernementales fédérales, québécoises et montréalaises. Le couple de la lucidité et de la cupidité réclame «moins de gouvernement, moins de réglementation, moins de taxation et davantage de liberté et de gouvernance lobbyiste».
Il est paradoxal de laisser autant de place au sein des diverses autorités gouvernementales à ce couple lucide et cupide, destiné à l'affaiblissement de l'État dans ses déclinaisons fédérales, québécoises et municipales.
Installer la capacité de changer et d'agir
À cette incapacité croissante de réaliser et de réussir de façon responsable des activités courantes et des projets porteurs et mobilisateurs à Montréal, il est impératif d'opposer un refus de soumission à cet état de fait et une volonté individuelle et collective d'agir pour le changer.
Le changement consiste à cesser de croire que la croissance économique basée sur la spoliation des ressources humaines et matérielles crée la richesse; à s'opposer à la propension à l'appropriation privée des profits par les entreprises et à la répartition collective (gouvernementale) de certaines de leurs dépenses (sociales, environnementales, etc.), de leurs pertes et également à refuser de laisser la combinaison du coffre-fort aux lucides et aux cupides.
Le changement consiste à s'engager dans un développement qui s'appuie sur une mise en oeuvre harmonieuse des ressources humaines, matérielles et financières. Le savoir, le savoir-être, le savoir-faire, le savoir-agir, la volonté d'agir et l'effort constituent de meilleurs antidotes à l'incapacité que l'indifférence et le laisser-faire. Les principaux piliers qui favorisent l'augmentation de la capacité individuelle et collective d'agir pour le bien commun sont: la vision, le savoir, la volonté et un solide sens des valeurs, notamment de justice sociale, de démocratie participative, de solidarité, de compassion et de partage.
Urgence de l'engagement
Il s'agit d'un programme plus exigeant que de voter pour «le moins pire choix» tous les quatre ans, il concerne cependant 100 % de la population. Il faut se rappeler que lorsque l'incapacité s'installe, la voie de la tiers-mondisation se trace inéluctablement, et que ceux qui menacent de partir avec la richesse pour naviguer vers les paradis fiscaux sont toujours les mêmes: les lucides et les cupides.
Au lendemain de l'élection municipale à Montréal, l'urgence de l'engagement s'impose plus que jamais. Le transport en commun des idées, des personnes et de la capacité d'agir compte plusieurs véhicules: organisations communautaires, populaires, citoyennes, culturelles, écologiques, solidaires, parfois politiques et d'économie sociale. Montréal se changera individu par individu, quartier par quartier, arrondissement par arrondissement. Plus l'engagement sera large, plus le changement sera rapide. Montréal va-t-il changer le monde? L'urgence d'agir est présente et perçue ailleurs dans le monde. La réussite est un virus qui peut se propager de façon exponentielle.
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Claude Lapointe, Sociologue, Montréal


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