Voter à l’ère des marmites
Par: Kamal Benkirane
Le mot d’ordre court sur toutes les langues, le commun des mortels s’y délecte à tel point que ceux qui n’ont jamais cru à la chose politique s’y mettent désormais, en pavoisant sur ces démons de la "corruptite" et du lèse-majesté, et en se mettant dans la lignée des éveillés notoires, ceux qui s’apprêtent bientôt à commettre l’acte suprême pour le grand changement, l’œil dans le néant, le nez dans l’urne!
Oui, l’heure est grave, et il y a de quoi devant tant d’inepties politiques, et d’ostracismes vendus en grosses bouchées aux adeptes des jugements aux raccourcis. les enchères battent leur plein, les plus illuminés sermonnent les moins avertis, les faux prophètes miroitent l’image sublime de la sainteté, tant de scintillements marmoréens qui briguent de loin l’image du grand salut, de la délivrance, l’image de l’apothéose quoi!
Votez pour évincer
Tonitruant dans les consciences passives, insidieux dans les médias sociaux, ce mot d’ordre a maintenant tout pour rassembler les foules! Finalement, tout le branle bas politique n’avait pas accouché d’une souris. Les étudiants, de par leurs revendications, ont scandé l’urgence d’une société juste, le printemps québécois en pétilla en multiples fleurs, par delà les bottes assourdissants, scandant l’hymne à l’unité et le ras le bol en une seule voix. Puis, devant le bras de fer qui a perduré, on s’attendait à ce qu’un tendon vole en l’air, que de violentes pétarades écorchent le ciel de la rue Sainte Catherine ou d’une autre rue, mais les situations ont fluctué, et les élections vinrent soulager les désillusionnés. La prise de conscience collective fut infiniment rebaptisé sous le mot d’ordre : "Votez ", voire même, " votez pour évincer", clamés à tort et à travers par les élus et la population au nom de la paix sociale.
Et dans l’irruption des réveils est apparu alors des candidats omnipotents et omniscients, brandissant devant nos yeux l’image d’un Québec nouveau. Est apparut ceux qui prônent un Québec du changement, sans bureaucratie, sans trop de dépenses, et sans les manigances des mêmes partis chicaniers, un Québec où à chaque problème il y a une solution, et où les chiffres suspicieux serviront l’économie, ce que ne partageront évidemment pas ceux qui arborent le statu quo et qui édulcorent par de nouvelles promesses l’historique de leurs diverses irrégularités.
Est apparu, aussi au bonheur des nationalistes, les porteurs du lys ceint à même le front et qui, pour certains d’entre eux, continuent de voir l’ère de la diversité numérique, avec une vision de l’australopithèque ayant droit de vie sur ce bouffon d’homo sapiens : un cénacle notoire, jonglant avec la dignité, déployant au bonheur des anti-religion une laïcité que d’aucuns ont déjà qualifié de sélective, juste pour attiser la vindicte sur ceux qui sont différents. Comme chez ce jeune homme, à la barbe bien taillé, aux airs aériens, et à même les cheveux de cette jeune femme voilée par quelque 225 grammes de tissus, représentant ainsi une menace potentielle pour l’hygiène des yeux dans l’espace public. Tout cela devant ces autres partis, centrés sur la litanie de l’idéal, accentuant à leur façon la hargne vers le parti le plus pointé du doigt ces derniers mois, le plus vilipendé par tant de bruits de casseroles et de quatrains populaires militantistes.
L’embarras du choix
Et devant tant d’embarras, ne cesse de pointer, à la franquette, cette littérature politique : "vote stratégique", "échange du vote", "vote de conviction", "Suffrage à deux tons". etc., juste pour démanteler l’hydre et permettre aux autres de faire leur part, de se réapproprier une stratégie inédite qui réhabilite la dignité du peuple, qui ne demande qu’une issue de secours par l’émergence d’un leader, salvateur de tout les maux.
Mais ainsi, et après tant de remue méninges, comment voter égal et discret à l’ère des marmites?
Un de mes amis, doctorant en mathématiques, en réponse à cette question, me flanqua récemment qu’il n’avait jamais voté et qu’il ne compte pas le faire. Le sachant homme d’esprit, je contestai sa logique pour comprendre plus sa décision, sa réponse fut sans fanfare : "ça prend un parti Centre Centre Centre, du genre AAA, dont le dénominateur commun sera le peuple d’un trait! bien sur, c’est du Rêve, de l’intangible, mais le Rêve est généralement de gauche, ça prend un parti qui ressemble au Rêve!"
Et sur l’éthique, il me coupa net: " je préfèrerais plutôt un bon jus sur la terrasse d’un café avec une bon bouquin ou même mieux, une présence féminine agréable, au lieu d’aller glander dans les tripots avec un député qui ne tiendra jamais sa parole. La démocratie? Le social démocrate? Le devoir civique? Pffffffffff…" (oui, une tempête en pleine face), et il fit un geste de la main droite qui dut tracer une virgule salutaire pour éloigner de lui mes boniments de paumé.
" Et prend soin de tes marmites, renchérit-il, j’imagine que tu en as bousillé quelques unes sûrement ces derniers temps", comme s’il tentait ainsi de me dire que le vote égal est une illusion ici-bas, qu’aucun parti n’a vraiment une vision globale visant une finalité sociétale, et que voter à l’ère des marmites, ça revient en même que de voter à l’ère des marmottes !
Au nom de l’empathie
De ma part, j’ai décidé toutefois d’aller voter le 4 septembre.
Je n’ai pas la stratégie du tacticien né qui pèse trop par la balance là ou il ne faut pas, ni l’âme du mathématicien qui utiliserait la règle de trois pour élire finalement la justice sur la croupe de la paix sociale.
J’irais voter *Empathique* ce jour là, pour une laïcité qui prône le vivre ensemble. J’irais voter *Empathique*, par le cœur, envers le chapeau troué de celui à qui on augmenterait pour rien ni son bien être social ni son salaire minimum. Empathique envers celui dont on ne s’attardera pas juste sur sa croix, son voile ou sa tuque. Empathique envers celle qui ne pourrait jamais travailler dans le gouvernement à cause de son voile malgré sa Maîtrise en Administration à l’UQAM, comme si son voile ne la mettait pas déjà en bas de l’échelle de la société. Empathique envers celui qui endure la discrimination à l’embauche. Empathique envers celui qu’on isolera dans la société car il n’a jamais été capable d’apprendre comme il faut la langue de la société qui l’accueille. Empathique envers ceux qui vont endurer cette obligation de ne pas choisir la langue dans laquelle leurs enfants veulent étudier…
Et la liste ne s’arrête pas juste là.
Je sais tout simplement que mes discussions passagères avec la brigadière du quartier et avec le facteur aussi ne cesseront pas d’aussitôt, tant qu’on partage les mêmes idéaux. Je sais que la logique mathématique peut engranger tout les dénominateurs communs du monde, et magnifier cette icône convoitée qu’est la liberté. Je sais finalement qu’un devoir reste un devoir et que la citoyenneté participative n’en est pas moins l’écheveau qui anime ce devoir.
Puis, n’est-il pas établi maintenant qu’un vote peut égaler non seulement un coup de fusil, mais aussi une marmite sous les aisselles?!
©Kamal Benkirane
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
30 août 2012IL semble évident que vous ne faites pas la différence entre un billet *d'humeur*, ou l'on fait fi de ses états d'âme et d'une actualisation des faits de manière proportionnée, de facon à suggérer une réflexion quelconque chez lecteur..ce qui est le cas.... et une analyse critique qui encoure des réactions et des critiques de la part de tous.
Ce qui est plutôt mêlant c'est de voir que vous ne lisez pas jusqu'au bout un texte et que vous assumez la responsabilité de suggérer des...facons de voir le monde..(..)
IL n'y a rien a pousser dans ce texte. C'est une réflexion subjective d'abord et elle le reste. On ne dicte pas à quelqu'un ( voire mon ami le mathématicien)comment penser. On ne dicte pas a quelqu'un les idées qu'il faut avoir sous prétexte de le pousser a embrasser une cause, sous quelque banniére que ce soit. Si la démocratie réside entre autres dans le respect des opinions, elle l'est aussi dans la tolérance des attitudes puisque le libre arbitre de la pensée est de l'apanage de la liberté individuelle. Entre élections et démocratie, la neutralité a toujours eu une place mais considérée hélas comme un déni...et la réaction du mathématicien est une confirmation que le cynisme existe bel et bien dans le politique au Québec..une réaction évidente dont les causes sont connus par tous...
Je ne comprends pas pourquoi voulez vous que je pousse ma réflexion vers la Tunisie et comparer avec l'incomparable! le contexte ici c'est le Québec! La majorité des pays arabes ne sont pas des pays démocratiques. Ce sont des états aspirants à la démocratie, donc il n'y a pas à comparer avec le Québec considérée comme une démocratie..jusqu'à preuve du contraire!
Kamal B.
Archives de Vigile Répondre
30 août 2012C'est un peu "mêlant" comme on dit chez nous, mais je vous ai au moins lu jusqu'au bout.
Peut-être serait-il indiqué pour vous de réfléchir au genre de régime politique dans lequel nous vivons que d'aucuns décrivent comme une "démocratie" mais qui est en fait son strict contraire, puisque le "peuple" n'est jamais au pouvoir, ne prend jamais les décisions qui le concernent, sauf celle de désigner ses maîtres, une fois à tous les 4-5 ans?
Peut-être serait-il aussi indiqué pour vous de chercher à comprendre pourquoi votre ami ne vote pas et ne veut pas voter et qui donne comme seule explication qu'il faudrait un "parti du centre", prouvant par ce fait même qu'il confond encore élection et démocratie.
On aura une vraie démocratie quand le peuple participera directement à l'exercice du pouvoir par les mécanismes de la démocratie participative, le tirage au sort et le référendum d'initiative populaire.
On vivra dans une vraie démocratie quand les citoyens écriront eux-même une constitution pour les protéger contre les politiciens professionnels, les voleurs de pouvoir et le 1% qui contrôlent les régimes de gouvernement représentatif.
Et poussez-donc une pointe aussi en Tunisie pour vous apercevoir comment on est littéralement en train de voler au peuple tunisien son printemps arabe en permettant aux élites riches de ce pays à s'écrire une constitution qui maintiendra le peuple dans le rôle subsidiaire qu'on lui réserve, celui d'électeurs parfaitement contrôlés et manipulés par le 1% de riches possédants de ce pays.
Au moins, si, dans cette fausse démocratie de merde dans laquelle nous vivons, le vote blanc comptait, il y aurait là peut-être une occasion pour votre ami, entre deux chasses aux gonzesses sur les terrasses, de se rendre dans un bureau de vote pour indiquer qu'il n'a aucun goût de voter pour tous ces candidats de merde qu'on lui propose.
Il suffirait alors que 50% plus un de ces "voteurs blancs" se présentent le jour du scrutin pour faire comprendre à tous et à toutes que l'élection n'est pas la démocratie et la démocratie n'est pas l'élection.
Pierre Cloutier ll.m
avocat à la retraite