On ne s’enfargera pas éperdument sur ce que c’est que d’être terroriste, pour autant que chacun ramènera la définition à sa propre vision du monde et surtout à ses repères sociopolitique. Mettons que le réflexe premier serait d’abord de valider qu’il s’agit là d’un acte criminel prémédité, dicté par des motivations politiques, idéologiques ou religieuses, et argumenté par une espèce de recours judicieux à un acte juste, un acte de vengeance.
Tant de tergiversations sur la conception du terrorisme sont confinées à des diversions crées par des lobbys qui ont tendance à diviser les conceptions sur des bases identitaires et religieuses. Aujourd’hui, ce qu’on appelle « la lutte contre le terrorisme » est synonyme d’islamophobie, appellation renforcée et déclarée ouvertement après le 11 septembre suite au discours de G.W.Bush et son célèbre « lapsus » sur les croisades. Et de ce fait, la connotation de « guerre juste » a pris de l’ampleur sur l’arène publique en faisant prévaloir la suprématie raciale et idéologique sur toute autre considération.
D’aucuns soutiendront que l’homme ne naît pas terroriste, il le devient par une machination ourdie au nom d’une cause sainte, d’autres soutiendront que l’homme, affilié à son environnement, a bien des chances de basculer dans les méandres du radicalisme. Dans le processus de récupération politique, présent dans le terrorisme, la transformation s’opère impunément qu’il n’est pas évident de supplanter l’argument identitaire.
Les repères ne peuvent être ignorées dans ce contexte encore que les codes légiférés sur le terrorisme dans plusieurs pays ne tiennent pas forcément compte des paramètres ethniques et condamne unanimement l’acte. De ce fait, la remise en cause du principe de l’autorité légitime de l’état dans ce concept, ne demeure-t-il pas un débat étouffé dans la bulle insolite des secrets de polichinelle?
Le Code et les repères
De prime abord, on se contentera de la définition du terrorisme par le Code criminel canadien. Ce Code, dans l’alinéa 83.01(1)b), prévoit qu’une activité terroriste est : « acte – action ou omission, commise au Canada ou à l’étranger : d’une part, commis à la fois au nom exclusivement ou non d’un but, d’un objectif ou d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique, en vue – exclusivement ou non – d’intimider tout ou partie de la population quant à sa sécurité, entre autres sur le plan économique, ou de contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale à accomplir un acte ou à s’en abstenir, que la personne, la population, le gouvernement ou l’organisation soit ou non au Canada. »
Donc, par le fait même, on ne peut s’empêcher de nous demander jusqu’où va la légitimité de l’autorité de l’état de taxer un citoyen de terroriste. Le « certificat de sécurité » préconisé par le gouvernement du Canada ces dernières années en est une preuve vivante. Ce certificat, ne permettant même pas à l’inculpé de connaître les allégations formulées contre lui, légitime son arrestation sans divulgations des preuves.
Même si cette procédure a été déclarée anticonstitutionnelle en 2007, des interrogations demeurent sur les limites de l’intervention de l’État et remettent en cause l’ostracisation* de certaines communautés, avec l’esprit du 11 septembre et ses tribulations sur l’axe du bien et du mal. Cette obsession sur la sécurité publique a créé un branle-bas sur la nature de la connotation « terroriste ». Ainsi, de par l’état de siège, sur fond de couleurs bariolées, est-ce qu’être terroriste est juste l’apanage d’une seule communauté, et donc celle des arabo-musulmans?!
Une telle question est justifiée dans la série des stigmatisations qui datent depuis les temps du cinéma hollywoodien et qui prend toute son ampleur avec les événements du 11 septembre. Ni Néron qui brûla tout Rome ne conjura dans un tel sobriquet, ni même aussi les aviateurs japonais qui se suicidèrent sur les navires de Pearl Harbor.
Les détracteurs du néoconservatisme libéral, férus des analyses aux raccourcis, ont fait de la lutte contre le terrorisme un mythe, sous la bannière d’un ordre nouveau du monde, sans autres dénominateurs communs que ceux de la sécurité, de la protection des richesses, du progrès et des libertés civiles.
L’attentat commis récemment par John Baine contre Pauline Marois, la chef du Parti Québécois, à la veille des résultats des élections le 4 septembre, a réveillé les consciences sur l’appellation de cet acte. Les médias ont laissé entrevoir des raisons éthiques sur leur silence primaire, toutefois, des voix citoyennes se sont élevées à travers les médias sociaux, dénonçant par le fait même qu’être terroriste n’est pas juste le propre d’une seule communauté.
Cette errance inadéquate avec le devoir d’intégrité et de déontologie, ne justifie-t-elle pas le pouvoir des médias sur le libre arbitre de la pensée? Ne justifie-t-elle pas le déni du mot « terrorisme » dans l’imaginaire collectif québécois quant on se rappelle les actes terroristes du FLQ, voire aussi des actes déments d’un misogyne égaré qui déversa il y a quelques décennies sa colère outrecuidante sur les étudiants de l’université Polytechnique et particulièrement sur des femmes?
Michael Watzer, professeur émérite de Institute for Advanced Study à Princeton, New Jersey, et auteur de just and unjust wars, et nationalism, ethnicity, plaide pour un paradigme légaliste où la morale doit être très proche du droit dans le traitement des affaires criminelles. Il va de soi que cette morale, bénéfique pour le devoir de l’équité, n’est pas forcément reconnue dans le passage à l’acte.
Dans tout acte terroriste, le principe de « l’urgence suprême » est inhérent à celui du « dernier recours ». Cependant, Watzer, qui supporta la guerre contre l’afghanistan au nom de « la légitime défense », soulève ainsi la question des droits des États d’utiliser la force contre des régimes soupçonnés d’abriter des organisations terroristes, ce qui met l’accent sur la différence des repères, contrecarre l’esprit pacifique de la morale, voire même l’éthique de cette morale.
La faconde « Être terroriste » est manipulée sciemment par des lobbys puissants qui soumettent les médias au Diktat d’un « essentialisme » décapant. Et ce n’est pas pour rien que cet essentialisme est très mal vécu chez la majorité des pays arabes, du fait de ce décalage civilisationnel où les repères continuent de puiser dans les affres de la colonisation et de la terre usurpée, ancrés dans l’inconscient collectif arabe. L’émergence des mouvances extrémistes islamistes est le fruit de la sacralisation de cette guerre contre les injustices. Le printemps arabe n’a fait qu’inspirer ces mouvances, il reste un catalyseur d’énergies, mené par une jeunesse arabe, écoeurée par l’immobilisme et les dictatures de la majorité de ces pays.
Le brûlot anti-islam – (l’innocence des musulmans)
Et puis, dans le tumulte des conflits, vint ce navet (l’innocence des musulmans) d’un certain Sam Bacile, embrasant littéralement le monde musulman, qui dut succomber une fois de plus, au moulinage renforcé de l’image du musulman terroriste dans le monde occidental, fait avéré sous les manœuvres de l’autorité des É.-U. dont une large frange légitime l’éradication de toute forme d’extrémisme islamique, ne concordant pas avec les valeurs tant défendues de la liberté d’expression.
Ce bras de fer entre les valeurs de cette liberté d’expression et celle de la nécessité du respect des institutions sacrées de chaque religion génère ainsi un paradoxe « d’entités » surtout lorsqu’on se prête à certaines comparaisons, comme celles de *La Dernière Tentation du Christ*, de Martin Scorsese en 1988, ou encore de Golgotha Picnic, de Rodrigo Garcia en 2011, ou encore du détournement de la Cène par Marithé en 2005, lorsque certains milieux chrétiens ont violemment manifesté pour empêcher le spectacle et l’Église a carrément interdit l’affiche publicitaire de la Cène.
Or, dans le même ordre d’idées, et tout de suite après le brûlot antimusulman, la juridiction française, qui dut interdire récemment la publication des photos de la princesse anglaise Kate Middleton aux seins nus, permit ouvertement au journal français « Charlie hebdo » de publier les caricatures indécentes du prophète de l’Islam, défi patent, maintenu par les propriétaires de ce journal contre ceux qui tentent de censurer la liberté d’expression en occident.
Et toujours en France, un certain Bruno Gollnisch avait écopé de trois mois de prison et paya une amende de 5.000 $ pour avoir soutenu en 2004 qu’« aucun historien sérieux n’adhère intégralement aux conclusions du procès de Nuremberg » et qu’il fallait « laisser les historiens discuter des chambres à gaz ». Gollnisch, suspendu également pour cinq ans de ses fonctions d’enseignant chercheur, avait déclaré « ne pas remettre en cause les déportations » ni « les millions de morts » des camps nazis, ni « nier les chambres à gaz homicides » avant d’ajouter : « quant à savoir la façon dont les gens sont morts, ce débat doit avoir lieu ».
Bien plus tard, une loi antisémite a été instaurée en France, instituant une sérieuse mise à jour dans le registre du respect de la religion judaïque dans la vie publique en France.
Ces paradoxes interpellent tellement sur la portée des limites de la liberté d’expression accordée à chaque communauté et pose la question récurrente de savoir est-ce que nous vivons dans un terrorisme d’état, ou plutôt sommes-nous devant l’étatisation d’un certain terrorisme où des intérêts non affichés plaident nébuleusement dans la destinée du monde pour maintenir un statu quo bénéfique à certains partis?
Force est d’établir que la revendication de l’extrémisme islamique plaide, dans sa démarche abrupte, contre un terrorisme d’état. Le tort causé aux musulmans du monde par tout cela ne concorde pas avec les aspirations pacifiques de la majorité et ne fait que confirmer l’hibernation chaotique de la pensée islamique en renforçant la visibilité de certains révisionnistes occidentaux qui continuent de briguer le danger immanent de l’Islam, qui risque de se propager par la force et par le nombre.
Au bout de ces cogitations sur le terrorisme, le pari serait de continuer de concilier les exigences de la morale avec la contrainte d’agir dans un monde imparfait. Une déconstruction urgente des mythes est nécessaire, et ce dans un esprit de justice sociale saine, par delà ce rapport de force civilisationnel où l’on s’active à consacrer le terrorisme dans son acception la plus facile.
L’homme, devant tout cela, reste au centre du débat, exigeant et incompris, hautain, mais fragile. Et sur une telle fragilité, Pascal l’a si bien dit : « Il ne faut pas que l’univers s’arme pour l’écraser : une vapeur, une seule goutte d’eau suffit pour le tuer. »
Kamal Benkirane
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
29 septembre 2012La terreur peut être étatique. Utilisant le bras des armées terre-air-mer pour frapper sur une plus petite nation (rarement une plus grosse), ou bien par détour via des organisations occultes.
Pas tous les attentats du FLQ sont de la main de nationalistes. Une grande série provient des actions de la GRC pour établir une stratégie de la tension.
De même, j'estime qu'une grande partie des attentats au Moyen-Orient émanent de services secrets pour la stratégie de tension, et non pour une utopie islamique.
Al-Qaeda est un réseau développé par les Américains pour provoquer le jihad contre l'Union Soviétique. Il suffit de le détourner pour provoquer un conflit de civilisations entre l'Occident et la Oummah, et justifier l'application du Plan for a New American Century (PNAC).