Pologne – Alors que 99,88% des bulletins sont dépouillés, la victoire du président sortant, le social-conservateur du PiS Andrzej Duda ne fait plus aucun doute. Avec 51,21% des votes, M. Duda décroche un nouveau mandat présidentiel de cinq ans, gagnant face au candidat progressiste et européiste Rafał Trzaskowski (48,79%).
La campagne présidentielle se termine donc sans grande surprise, malgré de nombreux rebondissements. Le premier tour était en effet prévu pour le 10 mai, cependant la crise épidémiologique est venue perturber le vote. Suite à des péripéties et coups de théâtres innombrables, le premier tour avait finalement été reporté au 28 juin, et le deuxième tour au 12 juillet.
L’écart serré entre le candidat social-conservateur du PiS et le libéral progressiste et pro-UE témoigne du clivage de la société polonaise : d’un côté une Pologne sociétalement conservatrice, religieuse, attachée à la famille et à la patrie, et de l’autre, une Pologne qui regarde vers Bruxelles et l’UE, qui vit dans l’émigration et qui rêve d’être un pays occidental. En 2015, le PiS gagna coup sur coup l’élection présidentielle puis, juste après la crise des migrants de l’été, l’élection législative, prenant au PO les rênes du pouvoir dans cette république semi-présidentielle. Le PO, alors encore qualifiable de parti européiste de centre-droit, entama alors un virage vers la gauche progressiste, au fur et à mesure que le PiS durcit son discours, en particulier sur des sujets sociétaux. Le PO a tenté de se maintenir en défendant la ligne progressiste et en cherchant l’aide de Bruxelles qui n’a pas été avare en ingérence et en influence, donnant lieu à la mise en place d’une « opposition totale » cherchant à saboter le mandat du PiS et bloquer ses réformes avec l’appui des institutions européennes, usant parfois de procédés anti-démocratiques. Le fait que le PiS ait choisi de prendre la défense de valeurs traditionnelles, ce faisant, cassant l’élan des avancées progressistes (LGBT en particulier), a poussé l’opposition à une radicalisation inédite en Pologne, mais qui n’est pas sans rappeler l’évolution de l’opposition libérale en Hongrie ou en Russie, laissant apparaître assez clairement un même schéma d’évolution et d’action des forces progressistes lorsqu’elles sont exclues du pouvoir dans les pays post-socialistes.
Personnage populaire à l’image savamment construite s’inspirant d’une communication à l’américaine, le président sortant Andrzej Duda était il y a quelques mois encore le grand favori des sondages sans personne pour le menacer dans la course présidentielle. Mais le report des élections a notamment permis au PO de changer de candidat et de relancer sa campagne, donnant en quelques semaines un nouvel élan à son candidat, au point d’arriver au coude à coude avec le grand favori que personne ne semblait pouvoir détrôner. Rafał Trzaskowski, charismatique maire libéral de gauche de Varsovie, a ainsi presque volé la vedette à M. Duda lors de cette élection.
« La Pologne s’est cassée en deux, et indépendamment de qui sera le président, il lui faudra ressouder la nation. Ce devra être sa première priorité car, aujourd’hui, nous ressemblons plus à deux clans qu’à un pays uni, » a commenté dimanche soir l’ancien vice-premier ministre et ministre de la Justice Jarosław Gowin. La participation record de 67,86% indique d’ailleurs que l’enjeu de l’élection a mobilisé les citoyens, et cela accroît l’idée que la polarisation politique de la Pologne s’est aggravée.
Car si deux listes aux scores importants lors du premier tour ont voulu représenter chacune une troisième voie, elles n’ont au final pas su s’interposer dans le duel PiS-PO. Le candidat indépendant centriste Szymon Hołownia a par ailleurs appelé sans surprise à voter pour le candidat libéral et progressiste M. Trzaskowski, tandis que l’alliance de nationalistes et de libéraux de droite représentée par M. Bosak a refusé d’appeler à voter pour l’un ou pour l’autre des deux finalistes.
La Pologne apparaît plus que jamais comme une ligne de front sous tension de l’opposition des conceptions progressistes et illibérales. S’appuyant sur un électorat rural, âgé, religieux, le PiS joue peut-être sa dernière carte à trois ans des prochaines législatives. Choyant par ses politiques économique et géostratégique le terreau des électeurs progressistes (tertiaire, centre-ville, jeunes), et son électorat fondant de plus en plus vite dans ce pays vieillissant, où l’areligiosité progresse et d’où l’émigration est énorme, le PiS devra trouver rapidement comment – cela passera probablement par un changement radical dans sa stratégie de communication et de gestion de la télévision publique – reconquérir des électeurs en dehors de sa base s’il ne veut pas retourner – pour de bon ? – dans l’opposition dans trois ans. Si Andrzej Duda a gagné l’élection présidentielle, les conservateurs n’ont pas de quoi se réjouir. Cela pourrait bien être leur dernière victoire si rien ne change, le progressisme et le libéralisme sociétal avançant sans entrave majeure dans un pays par ailleurs économiquement… libéral.