Le chef du Parti vert du Québec, Alex Tyrrell, s’est dit en désaccord cette semaine avec son homologue fédérale Elizabeth May, qui souhaite que le Canada mette fin aux importations de pétrole pour ne consommer que du pétrole provenant de l’Alberta ou de Terre-Neuve.
« C’est en contradiction avec le mouvement écologiste, qui veut fermer les sables bitumineux le plus rapidement possible », s’est insurgé M. Tyrrell en entrevue au Devoir.
L’idée de Mme May, qui fait partie du plan d’action pour lutter contre les changements climatiques que vient de déposer le Parti vert du Canada, ne serait qu’une mesure temporaire en attendant qu’une transition vers des sources d’énergie 100 % vertes soit complétée en 2050. Mais elle est néanmoins perçue comme une trahison par des puristes verts, pour qui les sables bitumineux sont un fléau dont le Canada devrait avoir honte.
La division interne que vient de susciter Mme May avec sa proposition pour le moins curieuse, étant donné son opposition farouche à la construction de nouveaux oléoducs, n’augure rien de bon pour sa formation politique au Québec en vue de la campagne électorale fédérale qui débutera sous peu. Bien que M. Tyrrell insiste pour dire qu’il ferait campagne pour les candidats verts fédéraux — leur parti étant « quand même la meilleure option » pour les environnementalistes —, son désaccord avec la chef fédérale sur un enjeu aussi fondamental que l’avenir des sables bitumineux n’est pas le genre de chose que l’on peut cacher sous le tapis.
Au Québec, au moins, cette différence d’opinions mettrait en relief la nature on ne peut plus complexe de la gestion d’un pays aussi diversifié que le Canada. Il ferait ainsi le jeu du Parti libéral du Canada, qui pourrait, semble-t-il, compter un candidat vedette en l’ancien directeur d’Équiterre Steven Guilbeault. Il n’y a pas de virginité en matière de consommation énergétique dans ce pays. Les Québécois ne sont pas à veille de mettre fin à leur dépendance au pétrole, quoi qu’en disent certains militants. Et comme l’a dit elle-même cette semaine Mme May, « tant que nous utilisons des combustibles fossiles, aussi bien utiliser nos propres combustibles fossiles ».
Cela dit, les positions de Mme May et de M. Tyrrell ont ceci en commun : elles sont toutes les deux déconnectées de la réalité. N’en déplaise à M. Tyrrell, aucun gouvernement fédéral ne pourrait « fermer » les sables bitumineux. Nous évoluons dans une économie de marché où les lois de l’offre et de la demande détermineront l’avenir des sables bitumineux bien plus que les politiques environnementales. Certes, la réglementation environnementale peut ralentir l’expansion de cette industrie polluante. Mais le gouvernement fédéral dépend encore trop des revenus d’impôt provenant de l’Alberta, ainsi que des entreprises (dont les grandes banques) dans les autres provinces pour qui l’industrie pétrolière est un client, pour qu’il fasse quoi que ce soit pour « fermer » les sables bitumineux.
Quant au Parti vert du Canada, son plan d’action propose d’investir « dans des usines de traitement pour transformer le bitume solide en essence, diesel, propane et autres produits pour le marché canadien, procurant ainsi des emplois en Alberta ». C’est ainsi que Mme May espère éviter l’épineuse question du transport de bitume dilué vers des raffineries ailleurs au Canada ou dans d’autres pays. Mais sa proposition fait fi du coût exorbitant de la construction de nouvelles raffineries. La plus récente, la raffinerie Sturgeon en Alberta, avec une capacité d’à peine 79 000 barils par jour, aura coûté près de 10 milliards de dollars une fois entièrement opérationnelle. Les contribuables albertains seront responsables du remboursement de la dette liée à ce projet, considéré par ses critiques comme un énorme gaspillage de fonds publics. Mme May n’a fourni aucune donnée pour appuyer sa proposition ni aucune estimation de ses coûts pour les contribuables canadiens.
L’idée de Mme May d’alimenter le Québec en pétrole conventionnel provenant de la plateforme de forage pétrolier en mer Hibernia, près de Terre-Neuve, n’est pas non plus très réaliste. Il y a des raisons économiques pour lesquelles ceci ne se fait pas déjà, sans parler de l’augmentation du trafic de bateaux pétroliers sur le fleuve Saint-Laurent qu’occasionnerait la mise en oeuvre de la proposition de Mme May. Mais le plan d’action des verts semble avoir été conçu en faisant complètement abstraction du fonctionnement actuel de l’industrie pétrolière mondiale, comme si ce n’était qu’un détail que l’on peut régler plus tard.
Le plan du Parti vert du Canada s’appelle Mission possible, et le parti semble ainsi chercher à faire appel à l’idéalisme de la jeunesse canadienne, pour qui la lutte contre les changements climatiques doit avoir préséance sur toute autre chose. En ce sens, le désaccord entre Mme May et M. Tyrrell risque d’atteindre l’image auréolée de Mme May à un bien mauvais moment pour sa formation, qui souhaite faire une percée au Québec en octobre prochain.
Mais le diable est dans les détails, et ni M. Tyrrell ni Mme May ne semblent s’en soucier assez.