ÉCOLE

Vers la fin des projets «élitistes» à l’école

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L'égalitarisme scolaire, porte d'entrée du nivellement par le bas


Les programmes « élitistes » réservés aux élèves les plus performants sont de plus en plus remis en question dans les écoles publiques. Un centre de services scolaire du Québec lance ainsi un vaste chantier pour que tous ses élèves du secondaire aient accès à un projet particulier en sport, en art ou en science. Une façon d’aplanir les inégalités entre élèves favorisés et défavorisés.


Selon ce que Le Devoir a appris, le Centre de services scolaire des Chênes, à Drummondville, prend les grands moyens pour mettre fin à la « ségrégation » entre les élèves qui réussissent bien et ceux qui ont des difficultés. Le but est que toutes les écoles secondaires offrent à tous leurs élèves des projets particuliers susceptibles de motiver les jeunes. Ces profils en hockey, en musique ou en informatique, par exemple, ne doivent plus être un « privilège » réservé aux élèves ayant les meilleures notes, mais une option accessible à tous les jeunes.


« Il faut briser le système scolaire à plusieurs vitesses, qui crée des inégalités au bénéfice des plus favorisés. On veut accueillir tous les jeunes en première secondaire sur un pied d’égalité », résume Lucien Maltais, directeur général du CSS des Chênes.


Le centre de services s’inspire d’un rapport du Conseil supérieur de l’éducation, qui avait conclu en 2016 que le système scolaire québécois est l’un des plus inégalitaires du pays. Les écoles privées subventionnées et les écoles publiques à projet particulier attirent les élèves les plus performants au secondaire. Résultat : les élèves de milieux défavorisés ou ayant des difficultés sont surreprésentés dans les classes dites ordinaires.


« Il en résulte une forme de ségrégation qui conduit à un système d’écoles à plusieurs vitesses. L’écart se creuse donc entre les milieux : certains établissements ou certaines classes sont considérés comme moins propices à l’apprentissage [les familles qui le peuvent les fuient] et les conditions de travail y sont plus difficiles [les enseignants qui le peuvent les fuient également] », indique un document interne du CSS des Chênes daté de novembre 2021.


Dans ce centre de services, le taux de réussite des jeunes en classe ordinaire est entre 5 % et 28 % plus bas que celui des groupes à projet particulier, souligne Lucien Maltais. Des recherches en sciences de l’éducation concluent pourtant que la mixité scolaire (des classes formées d’une diversité d’élèves) tire les jeunes en difficulté vers le haut sans nuire à ceux qui réussissent mieux.


Le CSS des Chênes vise à réduire les coûts d’adhésion aux projets particuliers. Ces programmes pourraient même être gratuits pour les jeunes de famille défavorisée. L’admission se ferait le plus possible selon les intérêts des élèves, et non uniquement en fonction de leurs résultats scolaires ou de leurs aptitudes sportives ou artistiques.


Sur la bonne voie


Stéphane Vigneault, porte-parole du mouvement citoyen L’École ensemble, est encouragé par cette initiative du CSS des Chênes. « C’est vraiment dans cette voie qu’on veut s’en aller », dit-il.


Une récente lettre ouverte de 10 personnalités, dont le sociologue Guy Rocher, appuie le mouvement L’École ensemble dans sa quête d’une école publique plus égalitaire, où tous les élèves ont accès aux mêmes programmes, peu importe leurs résultats scolaires ou l’épaisseur du portefeuille de leurs parents.


Ces experts en éducation estiment que le Québec devrait s’inspirer du modèle finlandais, où les écoles privées sont devenues des écoles publiques indépendantes subventionnées à 100 %.


« Pour une véritable équité, il est essentiel que les projets particuliers soient gratuits et offerts à tous les élèves. Les tests de sélection créent de l’angoisse de performance : les enfants se font dire dès la cinquième année du primaire qu’ils vont rater leur vie s’ils ne sont pas acceptés à l’école privée ou dans un projet particulier », fait valoir Stéphane Vigneault.


L’école de quartier d’abord


Cette initiative concerne les « concentrations » ou les « profils » en sport ou en art qui sont intégrés dans l’horaire de l’école. Mais il ne s’agit pas des programmes de « sports-études » ou « arts-études », plus poussés, où les élèves suivent leurs cours le matin et font leur sport l’après-midi. Ces programmes de sports-études ou arts-études vont rester. Le CSS des Chênes prévoit qu’une forme de sélection restera en place pour ce type de programme : les candidats doivent être capables d’évoluer dans un sport de compétition tout en réussissant leurs cours, rappelle le DG du centre de services.


Le projet vise aussi à ce que les élèves fréquentent en priorité leur école de quartier pour faciliter l’organisation scolaire et diminuer les coûts de transport. Des consultations menées par le CSS des Chênes confirment un appui de principe de tous les groupes — comités de parents, personnel scolaire et directions d’école — à la révision de l’offre de service au secondaire. Les consultations se poursuivent, insiste Lucien Maltais. L’offre de service révisée pourrait entrer en vigueur à l’automne 2024.


Un changement qui dérange


Un chantier similaire, mais de moindre ampleur, soulève des inquiétudes au Centre de services scolaire de la Rivière-du-Nord (CSSRDN), dans les Laurentides. Pour faire face à une importante croissance démographique, le centre de services a décidé de favoriser la fréquentation des écoles de quartier par les élèves.


Cinq programmes dits régionaux, qui accueillent des élèves de tout le territoire du CSSRDN, deviendront locaux. Il s’agit de concentrations en hockey, en football, en cheerleading, en informatique et en musique. Les écoles secondaires qui offrent ces concentrations devront accueillir en priorité les élèves de leur quartier. S’il reste des places, des élèves d’un autre quartier pourront être admis, mais les parents devront payer le transport de leur enfant, explique René Brisson, directeur général du centre de services.


« On souhaite que toutes les directions d’école sondent les parents et développent des profils. On veut favoriser la participation des jeunes, qu’ils trouvent leur passion, restent motivés et réussissent », dit-il.


Des parents d’élèves déplorent qu’en multipliant les profils dans les écoles, le calibre des sports va inévitablement baisser. Car le talent sera dilué entre plusieurs écoles. « Offrir plus de sports à plus d’élèves, c’est très bien. Mais les enfants inscrits dans les programmes régionaux ont besoin de compétitionner à un haut niveau », fait valoir André Daoust, qui a créé un groupe Facebook de parents opposés à la décision du CSSRDN.



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