Poussé par un de ses députés, le gouvernement Trudeau semble maintenant prêt à discuter de la possibilité d’autoriser la rémunération des femmes qui portent les enfants des autres. Comment un gouvernement qui se dit féministe peut-il envisager une telle chose ?
Au Canada, il n’est pas interdit de faire appel à une mère porteuse et même de lui rembourser les dépenses engagées par sa grossesse. Il est cependant criminel de solliciter ses services en échange d’une rémunération. Le geste doit être altruiste, ce qui limite évidemment le bassin de candidates.
Le député libéral Anthony Housefather estime que cela lèse les couples infertiles et homosexuels qui voudraient fonder une famille. Il veut qu’on permette le paiement des mères porteuses et des dons de sperme et d’ovules et il présentera un projet de loi à cet effet en mai, une idée qui a fait bondir éthiciens et féministes.
Interpellé mardi, le premier ministre Justin Trudeau a dit qu’il fallait tenir ce débat, tout en reconnaissant qu’il pourrait être émotif. Il s’engageait à écouter, mais aussi à « essayer de trouver la meilleure façon d’aller de l’avant ». Bref, il laisse la porte grande ouverte.
Si les ministres Patty Hajdu, Marie-Claude Bibeau et Diane Lebouthillier avaient de sérieuses réserves, leurs collègues Ginette Petitpas Taylor, Mélanie Joly, Carolyn Bennett et même Maryam Monsef, ministre de la Condition féminine, se disaient ouvertes ou d’accord avec le principe.
Le débat est toutefois mal parti, les arguments fallacieux se bousculant. M. Housefather affirme, par exemple, vouloir mettre les mères porteuses à l’abri de sanctions criminelles. Or la loi actuelle ne les criminalise pas, elle ne vise que ceux et celles qui paient pour leurs services ou offrent de le faire. Il dit défendre la liberté des femmes de disposer de leur corps, mais rien ne leur interdit actuellement de devenir mères porteuses, seulement de se faire payer. Le député et ses partisans disent appuyer les couples homosexuels et infertiles qui souhaitent avoir recours à une mère porteuse. Rien ne les en empêche, pour autant qu’ils trouvent une personne prête à le faire sans être rémunérée.
On invoque le désir des couples gais et infertiles de former une famille et la revendication des femmes à contrôler leur corps alors que, dans le fond, le véritable objectif du projet est de créer un gros marché, disons-le crûment, d’utérus à louer. Le député Housefather s’offusque quand on parle ainsi, mais c’est bien de cela qu’il s’agit.
Et contrairement à ce qu’il dit, le Canada n’est pas le seul, parmi les pays développés, à interdire la rémunération. La majorité de ces pays interdisent complètement les mères porteuses, comme l’Allemagne, ou, à tout le moins, leur rémunération. Les États-Unis sont en minorité, bien que certains États l’interdisent.
Ce quasi-consensus contre la commercialisation et l’exploitation des fonctions reproductives des femmes s’appuie sur les mêmes raisons éthiques qui ont mené à l’interdiction des paiements pour les dons d’organes ou de sang. Le corps humain, y compris celui des femmes, n’est pas une marchandise, ni un incubateur, ni une source de pièces de rechange.
M. Housefather ne voit pas le problème si la conséquence de l’autorisation de la rémunération était d’inciter avant tout des femmes démunies à être mères porteuses. « C’est pas juste les femmes riches qui devraient avoir le droit de choisir d’être mères porteuses », a-t-il dit… Voilà justement le coeur du problème : son projet créerait les conditions permettant à des couples nantis de profiter de la vulnérabilité financière de certaines femmes afin d’obtenir qu’elles mettent leur corps à leur service.