Une tâche obscure

Il est bien plus facile de prendre l’argent dans les poches des étudiants que de faire le procès de la gestion des universités.

Chronique de Louis Lapointe

Je l’ai écrit et je l’écris à nouveau, le principal problème des universités est la gestion de la tâche des professeurs. Un problème qui coûte plusieurs millions de dollars chaque année aux universités et que les gestionnaires - des recteurs, des vice-recteurs et des doyens - hésitent à régler parce qu'ils devront tôt ou tard retourner à leur tâche de professeur, préférant profiter des largesses qu’ils ont jadis consenties, plutôt que d’affronter leurs pairs en défendant des décisions nécessaires, mais impopulaires.
Avant de songer à augmenter les droits de scolarité, il aurait donc fallu régler cette situation qui existait déjà lorsque j’ai commencé à travailler dans le réseau universitaire en 1984. La première bête noire de tous les dirigeants d’université n’est pas le béton, ni la rémunération des cadres, c’est la tâche des professeurs.
Je me souviens même avoir abordé ce sujet à la table de négociation avec mon futur recteur alors qu’il était président de son syndicat. Une forme de corporatisme qui risque de nuire à long terme à l’Université puisqu’il incite au silence.
L’autonomie des établissements universitaires et le principe de la liberté universitaire qui y est rattaché sont devenus dans bien des cas des prétextes pour protéger la mainmise de quelques professeurs sur nos institutions savantes et écarter tous ceux qui ne partagent pas leur vision.
«Bien que la tâche normale d'un professeur soit constituée de 4 cours par année, par le jeu des dégrèvements d'enseignement, elle avoisine les 2.75 cours par année. Le calendrier universitaire ayant trois sessions, les professeurs d'université enseignent donc en moyenne moins de 1 cour par session, donc moins de trois heures par semaine. (…)
Toutefois, cette tâche ne se limite pas à l’enseignement. Elle comporte aussi des espaces pour la recherche, l'administration et le service à la collectivité. Ces espaces ne sont pas nécessairement tous utilisés dans les mêmes proportions et parfois certains ne le sont pas du tout. Ainsi, un professeur pourrait enseigner moins et faire plus de recherche ou moins d'enseignement, moins de recherche et plus d'administration pédagogique ou d'activités syndicales.(…)
Les professeurs qui œuvrent dans des domaines lucratifs comme l’administration, le génie et le droit et dont les connaissances sont recherchées, ont également la possibilité de travailler à l’extérieur de l’université. Les règles régissant le travail extérieur varient d’une université à l’autre, certaines l’interdisent, d’autres le réglementent.(…)
Souvent, ces situations sont tolérées parce que les gestionnaires sont eux-mêmes des professeurs qui n’exigeront pas des autres professeurs ce qu'ils ne voudront pas qu'on exige d'eux lorsqu'ils retourneront à la tâche de simple professeur. D'autres professeurs, plus pragmatiques, déclarent que ces activités lucratives entrent à l'intérieur de la tâche de service à la collectivité et sont des occasions pour le professeur de développer ou maintenir ses habiletés professionnelles tout en faisant mieux rayonner l'Université à l'extérieur de son cénacle. (…)
Ils sont, par le fait même, moins disponibles pour encadrer leurs étudiants.
Il serait toutefois injuste de mettre tous les professeurs dans le même panier (…)
Nombreux sont ceux qui réussissent à enseigner à tous les cycles, encadrent des étudiants gradués, ramassent les plus prestigieuses et importantes subventions de recherche, innovent, donnent des conférences partout dans le monde parce qu’ils se consacrent totalement à la mission universitaire.
Il faut donc revoir la gestion de la tâche et la rémunération des professeurs d'université à cause des iniquités qu'elles suscitent entre jeunes et vieux professeurs, ceux qui enseignent et ceux qui n’enseignent pas, ceux qui cherchent et ceux qui ne cherchent pas, ceux qui se consacrent aux missions d'enseignement et de recherche et ceux qui s'occupent surtout de tâches administratives ou de leur second emploi mieux rémunéré et que l'on considère souvent, à tort, comme des services à la collectivité ou du rayonnement universitaire. Devant de telles situations, on doit sûrement s’interroger sur la validité des processus d’évaluation et d’approbation de tâches auxquels se livrent les pairs et les gestionnaires de l’université et reconsidérer leurs pratiques. (…)
Compte tenu des iniquités qu’elle suscite et lorsque l’on sait que la masse salariale des professeurs d’université du Québec est de plusieurs centaines de millions de dollars, il serait donc tout à fait logique de revoir la tâche des professeurs et l’évaluation qui en est faite avant même de songer à investir de nouvelles sommes d’argent provenant des droits de scolarité des étudiants.» Quelle crise des universités?

Il est pour le moins ironique de voir le gouvernement de Jean Charest refuser de négocier avec les étudiants, alors que la remise en question de la gestion des universités pourrait avoir un impact important sur leurs budgets, la tâche des professeurs étant devenu un sujet tabou en raison du corporatisme qui y règne.
Il est bien plus facile de prendre l’argent dans les poches des étudiants que de faire le procès de la gestion des universités.
Une tâche obscure!
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Quand succès scolaire et gratuité universitaire vont de pair

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    3 avril 2012

    M. Lapointe, vous venez de frapper dans le mille en affirmant une vérité que le pouvoir politique n'aime pas entendre. Toute réforme fait peur au pouvoir. Réformer les universités, les ministères, la fonction publique est trop dangereux et onéreux... on frappe sur le plus faible, en occurrence les étudiants.

  • Jean-Louis Pérez-Martel Répondre

    2 avril 2012

    Bonjour Monsieur Lapointe,
    Quand la gratuité scolaire de la maternelle à l’université est une priorité de stratégie socio-économico-politique, surtout dans ce monde de globalisation, de mafias institutionnalisées dans le réseau public et de spoliations systémiques des ressources naturelles et fiscales, l’État doit avoir comme bouclier de défense des intérêts généraux l’excellence de l’enseignement, notamment dans tout le niveau scolaire.
    Pour arriver à cette stratégie étatique de sauvegarde collective, il faut élargir au maximum les possibilités à un plus grand nombre de citoyens l’accès aux études universitaires pour éviter que celui-ci devienne un privilège monopoliste d’une minorité, laquelle contrôlerait les mécanismes de l’appareil de l’État de manière despotique, telle qu’elle le fait dans les régimes totalitaires.
    N’oublions pas que plus la classe moyenne d’une société est composée d’un pourcentage élevé d’individus instruits, cette société est garante d’une plus grande richesse collective et pourvoyeuse de plus d’impôts et de taxes versés à l’État. Ainsi, ce n’est que dans les États vraiment démocratiques où nous pouvons constater cette réalité socioéconomique, telle que reflétée dans les plus hauts IDH des nations du monde.
    Lors de ma participation avec les étudiants en grève, je revendiquais ainsi ce droit social : « LA GRATUITÉ SCOLAIRE DE LA MATERNELLE À L’UNIVERSITÉ S’AUTOFINANCE AVEC LE SAVOIR ». Aujourd’hui le journaliste financier Michel Girard (Cyberpresse, 02-04-2012) nous présente des données inéquivoques sur la dynamique de l’autofinancement de l’enseignement et l’enrichissement collectif, dû à des contribuables qui paient plus d’impôts et taxes en raison de ces atouts professionnels et des études universitaires leur servant à gagner davantage que la moyenne des contribuables.
    Pour avoir accès à l’article de Michel Girard, consulter Combien ça rapporte, un diplômé?

    JLPM