Une nouvelle liste noire au cinéma

Nous voulons voir d’autres « Annie Hall » et d’autres « Chinatown »

Tribune libre

     Entre 1947 et 1960, à l’époque du maccarthysme, des artistes soupçonnés de sympathie à l’endroit du Parti communiste américain furent empêchés de travailler à Hollywood [1]. Malgré la constitution d’une liste noire, certains ont pu heureusement continuer de travailler sous des noms d’emprunt, comme le scénariste Dalton Trumbo. D’autres ont pu le faire après s’être rétractés ou après avoir trahi des amis, comme le cinéaste Elia Kazan. D’autres encore ont pu le faire à l’étranger, comme le cinéaste Joseph Losey.


     Malgré les démentis [2], une nouvelle liste noire informelle a été constituée ces dernières années et vise des artistes soupçonnés de violence sexuelle. Elle est peut-être plus cruelle que celle de Bois-de-Houx [3], car, pour plusieurs artistes visés, c’est la fin des haricots. Je me questionne sur les intentions de certaines dénonciatrices, aux carrières mises entre parenthèses, qui font des révélations des années après les faits.


     Les excellents cinéastes Benoît Jacquot et Jacques Doillon vont-ils pouvoir se relever des accusations lancées à leur encontre [4] ? Même si les deux hommes ont contesté lesdites accusations et sont blanchis, j’en doute. Le mal est fait.


     Il sera pour ainsi dire impossible au grand cinéaste Roman Polanski de réaliser un autre film après « The Palace » (2023), démoli furieusement par la critique [5], même si 114 avocates ont signé une tribune dans Le Monde en 2020 dans laquelle elles assurent que « Polanski a fait l’objet de plusieurs accusations publiques, parmi lesquelles une seule plainte judiciaire qui n’a donné lieu à aucune poursuite : il n’est donc pas coupable… » [6]. Il a été impossible de voir au Québec son avant-dernier film dont on dit qu’il est remarquable, « J’accuse » (2019), faute d’un distributeur assez courageux [7].


     Un autre grand cinéaste paie cher cette chasse aux « sorciers », j’ai nommé Woody Allen [8]. S’il ne pouvait pas compter sur des producteurs originaires de pays latins, sa carrière serait terminée. Depuis « Wonder Wheel » (2017), tous ses films ont été déficitaires, « censurés » qu’ils furent dans les pays anglo-saxons, rapides sur la gâchette woke. Ses jours de cinéaste sont comptés.


     Dimanche soir, j’ai vu à la télé un épisode de l’émission « L’autre midi à la table d’à côté », avec Micheline Lanctôt et Julie Le Breton. Celle-ci confie qu’elle ne voit plus les films de Woody Allen comme avant ; elle réprouve aujourd’hui les amours du protagoniste quarantenaire avec une fille de 17 ans dans « Manhattan » (1979). Mme Lanctôt n’en revient pas ; elle dit qu’Allen a été innocenté. Elle fait en outre comprendre à son interlocutrice que l’œuvre d’art et la vie de son créateur doivent être dissociées. Bravo Mme Lanctôt ! Pourquoi « Manhattan » perdrait-il sa cote « 1 » (chef-d’œuvre) à Mediafilm [9] à cause des frasques de son auteur ?


     Qu’on fasse payer les coupables dans le monde du cinéma (comme Harvey Weinstein) et les artistes qui se « suicident » en public (comme le répugnant Gérard Depardieu l’a fait en Corée du Nord [10]), je veux bien, mais pourquoi s’en prendre à des innocents, jusqu’à preuve du contraire, qui ne demandent qu’à réaliser d’autres chefs-d’œuvre ? Nous voulons voir d’autres « Annie Hall » [11] et d’autres « Chinatown » [12].


Sylvio Le Blanc


















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