Coup sur coup, le gouvernement conservateur a annoncé la semaine dernière l'abolition de deux programmes soutenant les artistes voulant exporter leurs talents à l'étranger. Les porte-parole conservateurs invoquent la nécessité d'une saine gestion des deniers publics. Mais la vraie raison est idéologique. L'image du Canada présentée à l'extérieur doit être conforme aux valeurs conservatrices. Exit donc ces programmes qui, ô scandale, permettaient à des artistes et à des groupes marginaux d'être présents sur la scène internationale.
Le premier programme à succomber fut PromArt, qui mettait à la disposition du ministère des Affaires étrangères un budget de 4,7 millions $ pour faire de la diplomatie culturelle. Depuis déjà deux ans, son abolition était attendue, mais le gouvernement Harper n'avait pas osé agir. Le couperet est tombé jeudi dernier et, comme par hasard, c'est le conservateur National Post qui a eu l'exclusivité de la nouvelle, question de bien structurer le message: les Canadiens qui peinent à gagner leur argent n'ont pas à payer des «junkets» à des radicaux et à des marginaux.
La réalité est évidemment tout autre. La plupart des grands pays pratiquent une diplomatie culturelle dont les fers de lance sont leurs artistes et leurs intellectuels. Tout ce dont disposaient les Affaires étrangères du Canada pour agir en ce domaine était ce maigre 4,7 millions. Ils servaient la plupart du temps à payer les frais de transport et de séjour à un artiste ou un intellectuel canadien pour participer à des colloques ou pour aider une troupe de danse à compléter les frais d'une tournée, l'idée étant d'accroître la renommée du Canada en s'appuyant sur le dynamisme du milieu culturel et en mettant de l'avant les réalisations de ses artistes et de ses penseurs.
Or, l'image du Canada ainsi représentée à l'étranger ne plaisait pas aux conservateurs. Ils n'ont pas aimé qu'un groupe rock appelé Holy Fuck reçoive 3000 $ pour participer à un concert en France. Ni que Gwyne Dyer, un intellectuel canadien anglais de gauche spécialisé dans les questions de droits et de défense qui, selon des porte-parole conservateurs, est bien assez riche pour payer ses voyages, reçoive 3000 $ pour une conférence sur la démocratie à Cuba. Chose amusante, Gwyne Dyer a fait savoir que jamais il n'avait présenté une demande au programme PromArt, mais qu'il avait simplement répondu à une invitation de l'ambassade canadienne à Cuba. Visiblement, celle-ci lui a fait rembourser ses dépenses par ce programme qui a aussi défrayé le séjour d'un juge de la Cour suprême pour une conférence portant aussi sur la démocratie.
Par cette décision, le gouvernement Harper vise bien évidemment à conforter la base électorale du Parti conservateur. Des élections sont imminentes et ce ne sont pas les artistes et les intellectuels de gauche ni même de centre qui vont lui assurer une majorité. Il a beau jeu de parler de gaspillage de fonds publics servant à des gens qui sont aux antipodes de ce que sont les Canadiens ordinaires. Peu importe si les groupes culturels qui ne vivent pas dans la marginalité, pensons aux Grands ballets canadiens en tournée en France cet été, souffriront de cette décision.
Comme si cela n'était pas suffisant, le gouvernement Harper a aussi mis fin au programme de Patrimoine Canada appelé Routes commerciales, qui disposait de 9,7 millions pour aider les entreprises et les organismes culturels à exporter leurs produits et leurs talents. Ce programme était un peu l'équivalent pour les milieux culturels de ce qu'est pour les entreprises manufacturières Exportation et développement Canada. Dans l'esprit des conservateurs, si les artistes ont un vrai talent, ils n'auront pas de difficulté à se faire reconnaître à l'étranger. Quid donc de l'aide apportée à Bombardier pour son nouvel appareil appelé CSeries?
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La réalité, c'est tout simplement que les conservateurs n'aiment pas les artistes. Ils ne s'intéressent pas à la culture, point à la ligne. Cela n'a pourtant pas toujours été vrai. Avec Marcel Masse comme ministre chargé des questions culturelles, le gouvernement de Brian Mulroney a été l'un des gouvernements les plus actifs en cette matière à Ottawa. Josée Verner, qui au Patrimoine occupe aujourd'hui les mêmes responsabilités que celles qu'avait M. Masse, est l'antithèse de celui-ci. Elle est une ministre muette. Elle fait tout pour éviter les tribunes publiques. Et bien sûr, elle s'est gardée d'expliquer ces deux décisions. Pourquoi ce silence? Est-ce qu'elle n'a rien à dire? Est-ce parce qu'elle ne croit pas aux arts et à la culture comme éléments définissant l'identité canadienne? Dans les milieux culturels québécois comme canadiens, on le croit.
Difficile aujourd'hui de penser autrement.
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