L’administration Trump a servi une nouvelle douche froide à Bombardier, vendredi. Après avoir imposé une surtaxe de 220 % sur chaque appareil C Series vendu aux États-Unis la semaine dernière, le département du Commerce (DOC) en rajoute, avec des droits antidumping provisoires de presque 80 %.
Bombardier serait donc coupable de dumping, c’est-à-dire d’avoir vendu aux États-Unis ses avions C Series à un prix inférieur au coût de fabrication, selon le secrétaire du Commerce des États-Unis, Wilbur Ross.
La nouvelle devait tomber jeudi, mais a finalement été repoussée à vendredi par le gouvernement américain, pour une raison jusqu’ici inconnue.
Boeing, le compétiteur américain de Bombardier à l’origine de la plainte devant le DOC, réclamait que des droits antidumping de 80 % soient exigés pour les appareils vendus par Bombardier au transporteur aérien Delta Airlines, l’an dernier.
Cette décision va nuire aux chances de Bombardier de percer le marché américain. Celle-ci n’entrera toutefois en vigueur qu’à la suite d’un autre jugement, en février 2018. Théoriquement, cela veut dire que chaque avion C Series vendu aux États-Unis coûtera presque quatre fois plus cher.
Mais tout cela demeure théorique pour l’instant, parce qu’aucune livraison d’appareil n’est prévue avant avril 2018. La Commission du commerce international des États-Unis (ITC) doit rendre une décision finale en février. Ce n’est qu’à partir de cette date que les droits compensatoires de 220 % et ceux antidumping de 79,82 % s’appliqueraient.
L’ITC doit déterminer si Boeing a été lésé par la commande de Delta. Boeing n’a aucun produit dans cette catégorie d’avion, et n’avait présenté aucune candidature pour cet appel d’offres.
La guerre n'est toutefois pas perdue d'avance pour Bombardier, qui dispose de différents processus d'appel, devant la justice américaine, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et un comité spécial de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA).
Rappel
En 2016, la firme montréalaise a vendu 75 avions C Series à Delta Airlines, premier client «majeur» à se procurer les nouveaux appareils. Boeing affirme que Bombardier a bénéficié de subventions des gouvernements du Québec, du Canada et du Royaume-Uni, «qui lui ont permis de faire du dumping de ses produits sur le marché américain, causant du tort aux travailleurs américains de l’aérospatiale».
L’administration Trump s’est largement rangée derrière les arguments de Boeing avec les décisions rendues jusqu’à maintenant.
Réactions
Bombardier conteste sur toute la ligne cette interprétation. «L’approche du DOC pendant toute cette enquête a fait complètement abstraction des réalités de l’industrie aéronautique. Les propres pratiques de comptabilité de programme de Boeing – le fait que Boeing vend ses avions sous le prix coûtant pendant des années suite au lancement d’un programme – iraient à l’encontre de l’approche appliquée par le département du Commerce. Une telle hypocrisie est étonnante et devrait être extrêmement troublante pour tout importateur de produits complexes de haute technologie», a affirmé l'entreprise dans un communiqué.
Freeland «extrêmement déçue»
À Ottawa, la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland a pour sa part réaffirmé être «extrêmement déçue» par la décision préliminaire prise par le Département dans le cadre de l’enquête en matière de droits antidumping liés à l’exportation d’avions gros porteurs en provenance du Canada.
«Compte tenu de l’annonce du 26 septembre concernant l’imposition de droits compensateurs préliminaires non fondés et absurdement élevés, la nouvelle d’aujourd’hui n’est guère surprenante. Il s’agit de la deuxième partie d’un processus à plusieurs étapes lancé par le département du Commerce américain.
«Boeing manipule le mécanisme de recours commerciaux des États-Unis pour empêcher le nouvel aéronef de la série C de Bombardier d’avoir accès au marché américain, et ce, malgré le fait que Boeing ait admis qu’il ne s’agit pas d’un appareil qui fait concurrence à ses activités.»
Le syndicat des machinistes, qui regroupe plusieurs employés de Bombardier, n’est pour sa part pas surpris de la décision du DOC. «Cette décision me fait dire de nouveau que les dés sont pipés dans ce dossier», dit le coordonnateur québécois David Chartrand.
«Si cette tendance se confirme, nous risquons des pertes d’emplois des deux côtés des frontières et si notre industrie aérospatiale tombe malade, c’est l’ensemble de la société et de l’économie qui en sera affecté. L’aérospatiale est le secteur qui génère le plus de valeur ajoutée dans l’économie. [...] J’avoue avoir du mal à accepter la tournure que prennent les évènements depuis une dizaine de jours. Je me demande si ces gens ont conscience que dans leurs démarches pour éliminer la C Series du paysage aérospatial, ils risquent de bouleverser la vie de milliers de travailleurs et de travailleuses.»