Quand l'argent et la politique supplantent le talent et le génie

Un rendez-vous manqué

Chronique de Louis Lapointe

Considérant l’importance de la contribution de Gilles Carle au cinéma et à la culture québécoise, le gouvernement du Québec a décidé de lui offrir des funérailles nationales. Souligner la contribution d’un artiste au moment de sa mort est un geste louable, mais être honoré par les siens de son vivant est un événement encore plus important lorsqu’il le mérite.
La hâte avec laquelle Wajdi Mouawad a accepté un doctorat honorifique de la prestigieuse École normale supérieure de lettres et de sciences humaines de Lyon démontre bien sa signification pour l’artiste qui le reçoit. L’insistance des partisans du Canadien de Montréal à voir le gilet de Butch Bouchard retiré alors qu’il est toujours vivant indique aussi l’importance de ce geste dans l’imaginaire collectif.
Gilles Carle ne réalisait pas des films pour recevoir des prix, il le faisait pour lui-même. Il avait la passion de son métier. Toutefois, il a dit à de nombreuses reprises qu'il appréciait qu’on reconnaisse sa contribution au cinéma. Des prix, il en a gagné plusieurs tout au long de sa carrière, il a même été fait chevalier de la Légion d'honneur par la France en 1995. Je suis sûr qu’il n’aurait pas dédaigné en recevoir un de plus, un doctorat de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, un honneur qu’il aurait aimé partagé avec la population de Rouyn-Noranda, là où il a passé toute sa jeunesse et inventé le monde qui allait habité son oeuvre.
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Je me souviendrai longtemps de ce jour de 1993 où le recteur de l’UQAT avait demandé à ses cadres de lui suggérer quelques noms de personnes de l’Abitibi-Témiscamingue susceptibles de recevoir un doctorat honoris causa et dont la personnalité pourrait rehausser l’image de notre université. Par le passé, l’UQAT avait déjà décerné ses deux premiers doctorats honorifiques à de riches hommes d’affaires de la région. Jean Perron, président de la scierie Normick-Perron et Robert Arcand, à la fois président de Harricana-Métal, un équipementier forestier, et des Coopérants, une mutuelle d’assurances qui fit faillite quelques années plus tard.
Croyant cette fois-ci que ce serait au tour d’une vraie personnalité rayonnante de recevoir un doctorat honorifique, je me suis alors prêté honnêtement au jeu et j’ai proposé quatre noms de personnes originaires de l’Abitibi-Témiscamingue. Tout d’abord Gilles Carle, un cinéaste de renommée internationale qui avait passé toute sa jeunesse à Rouyn-Noranda ; Lise Bisonnette, alors directrice du Devoir ; Jeanne-Mance Delisle, une dramaturge habitant toujours la région et Richard Desjardins.
Le recteur écarta toutes les propositions. Lise Bissonnette parce qu’elle était indépendantiste et que cela ne plairait pas au gouvernement libéral de l’époque et Richard Desjardins qu’il considérait comme un ennemi de l’UQAT parce qu’il était à couteaux tirés avec les forestières dont il contestait les droits de coupe dans la région du lac Vaudray où le chalet de son père était établi.
En honorant Desjardins, le recteur craignait que la Fondation de l'UQAT ne reçoive aucune donation du milieu forestier. On parlait alors de centaines de milliers de dollars. De façon générale, il rejetait toutes ces propositions, car, suivant son calcul, aucune de ces personnes ne permettrait à l’UQAT et à sa fondation de ramasser suffisamment d’argent auprès des gens d’affaires susceptibles d’aider l’UQAT.

Le recteur mit rapidement fin aux discussions en choisissant un autre homme d’affaires et ami personnel, Frank Dottori, alors président de Tembec, qui accepta par la même occasion de devenir président de la deuxième campagne de financement de la Fondation de l’UQAT dont l’objectif était de ramasser 5 millions$ en cinq ans.
Étonnamment, 10 années plus tard, le même recteur, à la veille de quitter ses fonctions à l’UQAT pour un siège de commissaire à la Commission d’étude sur la gestion de la forêt publique québécoise, décerna un doctorat honorifique à Richard Desjardins, celui-là même qu’il avait déjà considéré comme un ennemi de l’UQAT et qui, depuis, avait réalisé son célèbre documentaire l’Erreur boréale. Un doctorat qui ajoutait à la crédibilité du recteur et de la commission et devenait une valeur sûre auprès de l’opinion publique. La donne politique avait changé.
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Gilles Carle aurait certainement aimé être honoré par les siens en 1993 et aurait probablement prononcé un discours d’acceptation tout aussi vibrant que celui que nous livrait Richard Desjardins 10 ans plus tard.
Ce ne sera pas la dernière fois qu’un rendez-vous historique n’aura pas lieu à cause de l’argent et des exigences de la politique. Le milieu universitaire québécois est en cela pas très différent du reste de la société où on peut tout s’acheter à condition d’y mettre le prix. Un monde où la richesse et les contacts passent souvent avant le talent et le génie.
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    3 décembre 2009

    C'est pourquoi, plus souvent qu'autrement, les doctorats honorifiques, les titres de tous genres, ca ne vaut pas grand'chose. Ce qui a de la valeur, c'est l'authenticité, ce que le peuple appelle le "vrai monde". René Lévesque était authentique mais Pierre Elliott Trudeau, Jean Chrétien ne l'étaient pas. Le premier à perdu son référendum honnêtement alors que les deux autres l'ont gagné en trichant. C'est ainsi que les "honneurs" servent souvent à masquer une conduite déshonorante. Finalement, il est préférable d'éviter les honneurs officiels dont l'objectif consiste souvent à camouffler une conduite douteuse, qu'elle soit de celui qui rend hommage ou de celui qui le recoit. L'importance des honneurs se trouve dans l'authenticité de ceux qui les accordent ou les recoivent. Et l'authenticité est plus près du peuple que des élites. Pour les proches de Gilles Carle, il sera plus agréable de voir que celui-ci recoit un hommage du peuple et de son entourage plutôt qu'une reconnaissance officielle cosmétique.