Il me paraît important de faire une distinction entre le Bilan sur le suivi de la situation du français au Québec - un texte complet et important, basé sur des études sérieuses et nombreuses - et l'imbroglio qui a entouré la diffusion des fascicules et des études par l'Office québécois de la langue française.
L'examen par le Comité de suivi et par les membres de l'Office de tous ces travaux sur la langue s'est bien déroulé pendant quatre ans et demi. La majorité des études a été examinée par le Comité de suivi dont le rôle est celui de conseiller scientifique. Les critiques et remarques ont permis d'améliorer plusieurs analyses et de corriger certaines faiblesses, comme c'est le cas pour les évaluations de travaux scientifiques par les pairs dans le milieu de la recherche.
La diffusion des versions finales des études a été cependant chaotique et elle a souffert de délais et d'improvisation, ce qui a pu jeter un doute (à tort) sur leur qualité. J'estime que la direction de l'Office n'a pas fait les bons choix dans la politique de diffusion et qu'elle aurait intérêt à l'avenir à s'inspirer des pratiques de diffusion plus transparentes de Statistique Canada ou de l'Institut de la statistique du Québec.
La décision d'encadrer trop lourdement, à partir du mois de décembre dernier, par assermentation, l'accès aux premières versions du Bilan a été fort difficile à vivre et source de tensions. Les membres de l'Office et du Comité de suivi avaient pourtant adopté un rigoureux Règlement interne, il y a cinq ans, qui fixait les conditions du respect de la confidentialité des travaux jusqu'à leur diffusion. Cette assermentation était donc inutile et contre-productive.
Les membres du Comité de suivi n'ont pas signé le document en question et leur travail s'est arrêté en décembre. Les membres de l'Office par contre ont eu à le faire pour examiner de manière très encadrée le Bilan. Ce geste outrepasse à mon avis les pouvoirs donnés par la loi à la direction de l'organisme. Mon mandat (comme celui de trois autres membres) étant venu à échéance depuis le mois d'octobre, la loi nous demandait de continuer jusqu'à la nomination d'un remplaçant. J'ai souhaité y mettre fin plus tôt à cause du climat créé par cette culture marquée par la méfiance, estimant aussi mon travail terminé avec l'adoption du Bilan.
La crise de gestion du Bilan a-t-elle nui à la qualité de ce dernier? Non, car les études préparatoires sont de bonne qualité. Or, le Bilan repose essentiellement sur ces travaux. Les rédacteurs et les membres - qui ont travaillé dans des conditions difficiles - ont-ils oublié quelque chose d'important? On le verra dans les prochaines semaines, après lecture des documents enfin rendus publics.
Un Bilan qui mérite examen
Les débats récents sur les questions linguistiques dans les journaux ont beaucoup porté sur la démographie, les transferts linguistiques au foyer et la langue de travail. Ce sont là des aspects importants sur lesquels le Bilan apporte des précisions, mais il y en a d'autres. Le Bilan donne en effet une vision d'ensemble qu'on ne retrouve pas ailleurs. Il mérite donc un examen sérieux sur la place publique, abstraction faite des polémiques récentes. Je veux souligner ici quelques éléments.
Tout d'abord, la francisation des grandes entreprises est un succès après 30 ans, qu'on souligne trop peu souvent au Québec. Elle a atteint sa vitesse de croisière et le paysage linguistique du monde du travail en a été bouleversé, au point où bien d'autres pays examinent comment le Québec y est arrivé. La langue de travail dans de nouvelles entreprises qui ont gagné des prix de l'Office (Coop-Mountain, Wal-Mart, Bell Helicopter) illustre tout un contraste avec le passé encore récent. L'environnement du travail dans les entreprises de 50 employés ou plus s'est francisé, mais on y parle aussi largement anglais, mondialisation oblige.
Les études montrent que les allophones travaillant à Montréal sont tiraillés entre le français et l'anglais. Cette donnée bien analysée dans les rapports de l'Office marque la nécessité de maintenir l'effort de francisation des entreprises, afin de donner aussi aux immigrants le droit de travailler dans la langue de la majorité francophone qui l'a acquis de son côté avec un succès certain.
Région montréalaise
Les données disponibles sur la langue parlée dans les emplois moins qualifiés dans la région montréalaise (plus susceptibles d'être occupés dans de petites entreprises) donnent une image moins favorable. Plusieurs immigrants d'arrivée récente y sont concentrés. L'effort de francisation devra les toucher par des moyens à discuter, mais un portrait plus précis de la situation s'imposera rapidement, ce qui n'a pas été fait dans le Bilan actuel.
Les nouveaux arrivants consomment de plus en plus de produits culturels en langue française au Québec. Ce changement est documenté par l'Office et il indique que les efforts de francisation de l'espace public et de l'espace du travail auraient un effet sur l'intégration des nouveaux arrivants, dont par ailleurs la langue maternelle est plus fréquemment le français, il faut l'ajouter. L'examen des indicateurs culturels complète bien dans le Bilan la lecture des transferts de langue au sein du foyer.
Il est maintenant connu que les immigrants qui effectuent un transfert linguistique choisissent plus souvent le français qu'avant. Le Bilan indique que des éléments clés de la culture québécoise francophone (langue française, produits culturels) sont davantage adoptés par les nouveaux arrivants et leurs enfants au foyer. Cela représente un changement de tendance important.
Que conclure? Le Bilan propose une manière nouvelle de voir l'état du français langue commune dans l'espace public et dans l'espace du travail au Québec, et il documente aussi certains comportements. Le portrait d'ensemble ne verse pas dans le jovialisme ni ne pèche par pessimisme. Il donne un portrait d'ensemble plutôt favorable, mais il identifie des zones d'ombre pour qui saura lire.
Tocqueville écrivait que lorsque les choses s'améliorent, on devient plus sensible à ce qui continue à poser problème. Cela s'applique plus que jamais à la situation linguistique québécoise.
(Archives La Presse)
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Simon Langlois
Enseignant à l'Université Laval, l'auteur était, depuis 2002 et jusqu'à récemment, membre de l'Office québécois de la langue française.
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