Duo Charest / Harper

Un petit jeu dangereux

une ouverture pour le "Grand Jeu"

Chronique de Louis Lapointe

J’ai toujours pensé que Jean Charest et Stephen Harper étaient de mèche dans leur stratégie mutuelle de se faire du "capital politique" dans des situations impossibles. Une stratégie qui pourrait bien se retourner contre Jean Charest cette fois-ci. La recette
Le financement du projet de développement du Bas-Churchill par le gouvernement fédéral était écrit dans le ciel. Le signal qu’attendait Jean Charest pour se jeter dans la mêlée électorale et marquer facilement quelques points sans s’engager dans aucun projet concret, une aubaine.
Comme Stephen Harper ne peut pas donner suite aux demandes du Québec sans se mettre le reste du Canada à dos, il a décidé de casser du sucre sur le dos du Québec pour tirer avantage de la situation dans le reste du Canada qui aime bien manger du Québécois.
Cela donnera l’occasion à Jean Charest de se transformer en défenseur des intérêts du Québec contre le méchant Stephen Harper que Gilles Duceppe se plaît déjà à démoniser.
Simpliste comme stratégie, mais efficace. Tout le monde y gagne. Un gouvernement majoritaire pour Harper et une occasion pour Jean Charest de remonter dans les sondages.
Une stratégie qui permet également au Bloc Québécois de tirer le maximum de marrons du feu, des braises que tout le monde se dépêchera de refroidir une fois la campagne électorale terminée pour que rien ne change au pays du Québec.
Qu’on le veuille ou non, le Bloc Québécois est devenu au fil des années un instrument favorisant le statu quo. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les Québécois votent indépendantistes à Ottawa pendant qu’ils votent fédéraliste à Québec. Même s’ils disent le contraire, inconsciemment, ils aiment bien le statu quo et leurs partis politiques le leur rendent bien. Le grand écart.
Sinon, comment expliquer qu’ils aient élu un premier ministre qui ne leur a pas dit toute la vérité au sujet de la situation économique du Québec et de la CDPQ et que plusieurs d’entre eux seraient prêts à voter pour le parti québécois si ce dernier s’engageait à ne pas parler d’indépendance alors que c'est officiellement le premier objectif de ce parti.
Toutefois, je ne crois pas pour autant qu’un parti dirigé par François Legault aurait beaucoup plus de succès que le PQ auprès des Québécois, puisqu’il leur ferait perdre cette sécurité que leur procure la menace indépendantiste au sein du Canada.
Voilà pourquoi les Québécois élisent à Ottawa des indépendantistes qui n’auront pas le pouvoir de la réaliser. Une façon de faire sentir cette menace de près au reste du Canada sans que cela les engage pour l'avenir.
Voilà aussi pourquoi les Québécois hésitent tant à élire à Québec des gouvernements qui se montreront trop pressés de la réaliser.
En fait, pour ces partis politiques qui forment les gouvernements, tout est dans l’art de promettre de faire l’indépendance sans jamais se donner tous les moyens de la réaliser ou de la rejeter sans jamais totalement la dénigrer.
L’indépendance si nécessaire avec le PQ, mais pas nécessairement l’indépendance avec le PLQ. L’alternance entre la menace et la collaboration, entre le bâton et la carotte.
Ce n’est donc pas tant le choix entre le Bloc et le Parti conservateur qui est le véritable enjeu de la présente campagne électorale, mais l’élection d’un gouvernement conservateur majoritaire sans le Québec à laquelle les Québécois répondront probablement par l’élection d’un gouvernement péquiste majoritaire. Pauvre Canada.
Une telle éventualité serait alors perçue comme un affront suffisant pour que les Québécois ressortent à nouveau la menace de l’indépendance, ce que le PLQ, l’ADQ ou un éventuel parti dirigé par François Legault ne peuvent vraisemblablement pas offrir. L'allié objectif.
Les plus optimistes y verront la chance d’enfin s’affirmer et les plus pessimistes une autre occasion de s’écraser. La prochaine fois sera peut-être la bonne! La fin d'une époque.

***
Billet précédent:
Pourquoi le pont Champlain ne peut pas être un enjeu électoral

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    3 avril 2011

    Vous avez pas idée d'à quel point j'en ai marre d'être «pogné» dans un dilemne Cornélien, à chaque fois que je vote...
    Heureusement le printemps arrive.

  • Marcel Haché Répondre

    1 avril 2011

    M. Lapointe, je partage en partie votre analyse.
    Pour se gagner le R.O.C., Harper est prêt à sacrifier sa députation québécoise. Ce qui est maintenant en cause, c’est la possibilité d’un gouvernement majoritaire, mais sans le Québec.
    Nous aurions grand tort de penser qu’un gouvernement majoritaire conservateur serait de la même farine que l’actuel gouvernement minoritaire. Il sera—je crois que les conservateurs vont gagner—autrement plus agressif qu’il ne l’a été à ce jour envers le Québec. Et il le sera d’autant plus (agressif) que cela donnera l’occasion à Charest de paraître ce qu’il n’est pas : nationaliste et grand défenseur des intérêts du Québec.
    Cette analyse laisse entrevoir la raison pour laquelle la cote de popularité de Mme Marois ne s’envole pas, en comparaison de celle de Charest, qui s’écrase pourtant au même moment. Une partie de l’électorat des Tremblay d’Amérique est encore fâché contre les souverainistes, mais une très grande partie de cet électorat en a plus que soupé des rouges. C’est libéré de son statut de gouvernement minoritaire qu’on pourrait voir le « gouvernement Harper »venir au secours politique du gouvernement Charest, actuellement en perdition.
    Les fédéraux ont renoncé à venir à bout du Bloc dans cette élection seulement…mais croient possible de venir à bout du P.Q., d’autant plus que la vielle recette fédéraliste, déstabiliser les chefferies péquistes, trouve actuellement écho dans la mouvance souverainiste elle-même.
    Tout au contraire de propulser la popularité du P.Q., un remplacement (hautement hypothétique) de Mme Marois aurait pour effet de conforter l’opinion publique dans son préjugé que le P.Q. est un repaire de chicaniers.
    Les conservateurs du R.O.C sont de bien plus redoutables adversaires que les rouges du Canada central. Sans jamais y faire mention, eux aussi participent au crédo de Charest à l’effet que « le fruit n’est pas mûr », c’est-à-dire que c’est uniquement lorsque le Canada et le Québec seront devenus des terres où le souverainisme aura été éradiqué, que le Canada prendra son envol pour devenir le meilleur pays au monde. Les conservateurs majoritaires vont s’y employer.
    Si les rouges du Québec, aidés par le gouvernement fédéral, bleu majoritaire, sortaient de la swamp dans laquelle ils végètent présentement, le Québec serait changé à jamais. Les rouges dehors mais bleus dedans auraient gagné et Nous aurions perdu. Triomphant demain, le Bloc lui-même serait alors en sursis.
    Pour gagner la prochaine élection, si déterminante, le P.Q. n’a qu’à imiter Harper. C’est pas très compliqué…