Dans un texte fort intéressant et abondamment commenté, qu'il chapeaute d'une affirmation à laquelle je m'oppose diamétralement, [M. André Vincent soulève une question qui est->29872], à mon sens, au coeur de ce qui pose problème dans le néo-souverainisme péquiste.
Quand il dit que le PQ est à notre image, M. Vincent reprend essentiellement l'idée qu'expriment de nombreux péquistes, à l'effet que si ce parti s'exempte de tout engagement indépendantiste concret, c'est parce que les Québécois " ne sont pas prêts ", ne " veulent pas en entendre parler ", et autres formules de ce genre. Bref, ils ne comprennent pas, ils ne sont pas conscients, ils sont dans le confort, l'indifférence, et papati patata, tous les clichés y passent. Ce ne sont pas quelques élites péquistes qui manquent de vision ou de conviction, mais bien l'ensemble de la population qui n'a pas l'intelligence d'avoir vu la Lumière.
Je n'adhère pas du tout à cette analyse teintée d'un certain mépris.
Les Québécois ne sont pas des crétins. Ils sont en moyenne ni plus ni moins comme les autres citoyens de ce monde, occupés à autre chose qu'à s'inquiéter au quotidien du destin de la nation. Comment peut-on demander à un peuple au grand complet d'être en constant éveil militant, de jongler en permanence avec des concepts politiques, de se tenir au sommet de la courbe du nationalisme à perpétuité ? La politique, c'est le travail des politiciens, et l'apanage de ceux de leurs concitoyens qui désirent plus ardemment que d'autres contribuer au débat public, qui sont tout de même nombreux, ici plus qu'en maints endroits dans le monde parce que nous sommes riches -- n'en déplaise aux hallucinés de la business et autres mordus du profit -- et instruits.
Nous pensons que les Québécois dorment ? Diantre, réveillons-les ! Rien ne sert de les prendre pour des imbéciles.
Qu'est-ce qu'on leur propose, aux Québécois ? Le " souverainisme " ? Sans blague ! Combien de Québécois peuvent aujourd'hui décrire succinctement en quoi consiste le projet péquiste ? En connaissez-vous beaucoup ? Moi non plus. Peut-on les en blâmer ? On leur dit que le Canada n'est pas réformable mais qu'on va le réformer, que l'indépendance est urgente mais qu'on la fera plus tard, qu'on veut " rompre avec l'attentisme " en faisant toutes sortes de choses " en attendant ", et qui ont déjà plus ou moins été faites. Et vous voulez accuser les Québécois d'être mêlés et désintéressés ? Faites-le sans moi, je tiens plutôt à les défendre.
***
Mon analyse est exactement à l'inverse de celle de nombreux péquistes : c'est ce parti qui est encroûté, tout comme, sans doute, une partie de l'intelligentsia indépendantiste, n'ayons pas peur de le dire. C'est le PQ qui est vingt-cinq ans en retard sur la population, au bas mot, et non pas pas le contraire.
Mais quand donc allons-nous arriver en 2010 ? Pas en 1990 comme le Bloc, ou quelque part entre 1970 et 1976 comme le PQ.
Depuis quelques décennies, un changement s'est opéré au point, semble-t-il, d'en laisser certains dans la brume : le Québec est né. Les Québécois sont aujourd'hui, intrinsèquement, viscéralement, Québécois. Cela n'est pas un geste militant, c'est un état, un fait. Cette identité collective s'exprime au quotidien comme toutes les autres dans le monde, de façon innée à travers chaque individu, sans qu'il n'ait à en être conscient vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le seul attachement au Canada qui reste aujourd'hui au Québec se fonde sur une forme de résignation, sur un sentiment de ne pouvoir faire autrement, auquel participe certainement l'absence actuelle de proposition indépendantiste assumée.
Jamais auparavant les indépendantistes n'ont-ils pu compter sur une telle cristallisation du sentiment national. Nous avons connu des élans de fièvre, de gestation accélérée, oui, mais rien qui ne ressemblait au degré d'aboutissement actuel, quoiqu'en disent les nostalgiques du Lac Meech. Si nous sortions une seconde de notre dépression, peut-être pourrions-nous en prendre acte.
Cette nationalité de fait est une donnée fondamentale, un accomplissement majeur qui est probablement la résultante ultime, à ce jour, de la Révolution Tranquille, et qui nous place dans une situation inédite à partir de laquelle nous pouvons nous projeter en avant, plutôt que de revenir sans cesse en arrière pour tenter de reproduire je ne sais quelles " conditions favorables ".
Toutes les formules creuses répétées ça et là sur le " projet de pays " sont désincarnées et n'intéressent pas grand monde tout simplement parce que ce pays existe déjà. C'est du réchauffé, et ça sent le réchauffé, et pour une fois ce n'est pas directement la faute de Paul Desmarais et de ses fidèles propagandistes, qui sont eux-mêmes en état de faillite intellectuelle depuis fort longtemps.
D'instinct, pourquoi le Québécois aurait-il follement envie de construire et reconstruire à tout bout de champ la même chose, dans le même cadre et avec les mêmes contraintes ? Il y a des limites à se regarder le nombril. La réponse à la conjoncture actuelle est précisément l'indépendance comme moyen d'aller respirer de l'air frais, bien davantage qu'un ennième chantier des années soixante, ou un rêve irrémédiablement campé à droite ou à gauche qui ne peut faire autrement qu'être son propre fossoyeur.
***
Évidemment, quand je parle de ce pays instinctif qui n'est plus à imaginer puisque nous avons déjà les deux pieds dedans, je ne parle pas de l'état d'esprit de la minorité canadian en sol québécois, inconditionnellement et systématiquement désaffiliée de tout sentiment national québécois -- minorité qu'on n'ose nommer qu'à ses propres risques et périls, parlez-en à Jacques Parizeau, mais qui n'hésite pas à se nommer elle-même...
Je rencontre souvent des Montréalais anglophones qui, sans la moindre hésitation, m'identifient comme Québécois alors qu'eux se disent Canadians, ou se désignent autrement selon leurs origines. Pourtant, nous-mêmes, indépendantistes et souverainistes, tenons souvent à cacher la constituante essentielle de notre peuple, dans son propre pays, sous le vocable " francophones ". Nous nous privons de notre propre nationalité, pour mieux la donner à d'autres qui n'en veulent même pas. Il faut quand même le faire. Faut être un peu mêlés, non ?
Eh bien justement, sont-ils si perdus dans le champ de patates de l'indifférence et du confort, ces " francophones " qui, déjà il y a quinze ans, votaient à soixante pour cent pour le Oui, une majorité considérable dans n'importe quelle démocratie ? Et à près de cinquante pour cent il y a trente ans ?
Les dénonciateurs péquistes de l'incurie politique du peuple oublient bien commodément ces données fort éloquentes. Si quelqu'un a reculé, régressé par rapport à ces époques, c'est bien davantage le PQ que n'importe qui d'autre.
Nic Payne
Montréal
Un parti qui nous ressemble?
C'est le PQ qui est vingt-cinq ans en retard sur la population, au bas mot, et non pas pas le contraire.
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7 commentaires
Archives de Vigile Répondre
11 septembre 2010Je trouve qu'il y a dans certains discours des effluves de brigade légère...
Je suis d'avis qu'il y a une différence entre la précipitation dans l'action, et une attitude réfléchie conduisant à l'action. C'est un combat qu'il faut mener. Le nommer est essentiel, s'y lancer tête baissée est suicidaire.
Au moment ou le gouvernement inique de Charest burjute dans son jus est-ce qu'on a besoin de ces maudites luttes fratricides qui ne font en bout de ligne que donner de l'oxygène à nos ennemis ?!
Archives de Vigile Répondre
28 août 2010RCDB,
Ce à partir de quoi, dans mon propos, vous tirez des conclusions qui ne sont pas les miennes, n'est pas, comme vous le suggérez, au coeur de mon désaccord avec le PQ.
Le message de ce parti est à l'effet qu'il soit préférable de faire du nationalisme provincial avant d'en arriver à entreprendre directement l'indépendance, et c'est à cela que je n'adhère pas.
Quand à la question de la concurrence de la nationalité canadian au Québec, je la soulève effectivement mais ne désire pas la confondre avec le débat sur les nationalismes civique vs ethnique, deux concepts qui selon moi, ne sont pas nécessairement mutuellement exclusifs.
Je dis simplement, à cet égard, qu'on ne peut accuser les Québécois de manquer de volonté indépendantiste en faisant semblant qu'il n'y a pas au Québec un groupe canadian qui adhère peu à la nationalité québécoise et qui s'exprime habituellement en bloc contre l'indépendance.
Merci de votre commentaire.
Archives de Vigile Répondre
26 août 2010Monsieur Payne, si je vous comprends bien, possède véritablement la nationalité québécoise, celui qui a l’usage du français, celui qui, au Québec, est considéré «francophone». Cette opinion n’est pas, vous vous en rendez bien compte, partagée par nos autorités; elle est de fait plutôt mal jugée. Bien plus, elle va à l’encontre de la conception première de l’identité québécoise qui visait précisément à inclure les anglophones, les autochtones et les autres communautés ethniques dans notre définition nationale. Là se trouve sans doute votre différence de vue avec le PQ. Le PQ n’est pas en retard, il a tout simplement une vision de la nation autre que la vôtre. Oui, le Québec est bel et bien né Monsieur Payne, mais il est né pluraliste. Je ne pense donc pas qu’en québécitude, on puisse changer grand-chose à notre atonie politique.
RCdB
Archives de Vigile Répondre
25 août 2010Bonjour M.Vincent, merci de prendre le temps.
Effectivement, Bastarache fait de l'ombre...
Cela dit, si vous voulez dire que mon analyse s'inscrit dans une logique de frustration et de frénésie anti-péquiste, j'ai bien l'impression que nous sommes à côté du sujet.
Il semble que pour certains, dont je ne dis pas que vous êtes nécessairement, la perspective, en soi, de dégommer les libéraux soit aussi excitante, sinon plus, que celle de l'indépendance. Eh bien pas pour moi.
La valse des scandales qui finissent par user le pouvoir politique est un air connu, même si la situation actuelle n'est pas dénuée d'intérêt.
Mais je ne vois pas pourquoi cela devrait m'empêcher de faire le constat que l'indépendance n'est d'aucune espèce de façon à l'ordre du jour chez les péquistes. Et pour cela, je ne blâme certainement pas les Québécois.
Je n'ai ni l'envie de faire du péquisme, ni de l'anti-péquisme. Si un parti politique me présente son intention de donner au Québec son indépendance de façon absolument pacifique, il a mon attention.
Quant au bal des partis provinciaux qui se succèdent, je ne m'oblige pas à l'appréhender sous un angle absolument partisan.
Cordialement,
Nic P.
Archives de Vigile Répondre
25 août 2010Bonjour monsieur Payne,
Je vous répondrai peut-être plus tard dans le détail ; j'ai présentement toute la tête dans le commission Bastarache et c'est un délice à entendre.
Et c'est une raison de plus pour ne pas dynamiter le vaisseau amiral en ce moment, on va peut-être en avoir besoin plus tôt qu'on pense. Personne ne sait ce que fera Pauline Marois et le PQ sous sa chefferie. Alors avant de tout bousiller, je vous en prie, contrôlons nos frustrations et attendons quelques temps.
Cette frénésie anti-péquiste me fait un peu penser à ces cultivateurs des années '60 qui abondonnaient la maison ancestrale pour se faire bâtir des beaux bungalow flambants su'l bord de l'autoroute...
«... et si vous n'avez pas, dès ce jour, le sentiment relatif de votre durée, alors, il est inutile de vous transmettre, il est inutile de regarder devant car devant, c'est derrière, la nuit. c'est le jour... — Léo Ferré
André Vincent
Archives de Vigile Répondre
24 août 2010En effet, GV, le porte-à-faux dans lequel se trouvent certains intervenants aux sensibilités manifestement péquistes, viv-à-vis des positions objectives de ce parti, est souvent considérable.
Quand on se demande pourquoi il en est ainsi, on peut en venir à diverses conclusions. Deux sont prépondérantes, selon moi.
Dans l'ordre ou le désordre, il y a la question de l'attachement émotionnel et de la partisannerie. La posture de certains péquistes ici me rappelle, sur un autre tableau, celle de gens comme Benoît Pelletier, Benoît Bouchard, et d'autres, qui font allègrement tout le raisonnement menant à l'indépendantisme, mais qui ne franchissent jamais le tout petit pas qu'il leur manque pour conclure, à cause de je ne sais quel attachement au Canada qui ne s'explique tout simplement pas, même si ce pays bafoue systématiquement toutes leurs aspirations, même les plus timides. Il en va de même, j'ai l'impression, pour plusieurs qui peinent à admettre la défaillance de ce parti qu'ils ont tant appuyé et défendu.
Et puis, il y a aussi le fait que le discours péquiste soit flou. Cela permet à tout un chacun d'évoquer toutes sortes de scénarios qui seraient non-dits pour des raisons de stratégie. Ce qui ressort, chez ceux qui adoptent cette perspective, c'est qu'ils ne semblent pas penser qu'ils sont peut-être eux-mêmes les premiers à faire les frais de cet équivoque, qu'ils croient destiné à amadouer d'autres qu'eux.
Je le redis : Je ne crois pas à la théorie de l'électorat imbécile. Je milite plutôt pour un grand désencombrement de notre pensée, jalonnée de tics et de concepts qui furent peut-être de mise un moment donné, mais qui aujourd'hui ressemblent à une espèce de quincaillerie, un ramassis rébarbatif de patentes dilatoires disparates et confuses qui ne semblent qu'exprimer notre peur de nommer les choses et de les faire. J'inclus dans ce capharnaum idéologique les référendums lointains, les pays de projets et projets de pays, les entreprises constitutionnelles préalables, les grands chantiers et fantasmes citoyens en tout genre, les grands brassages, les ateliers pour initiés, les sommets de tout et de rien, et toute cette lavasse langagière creuse autour du mot souveraineté.
Je ne me souviens pas d'avoir croisé quelqu'un qui ne soit pas un érudit de la politique, qui m'aurait parlé de " souveraineté " et de " souverainisme ". Combien de temps encore faut-il rester enfermés dans cette bibliothèque mal aérée où on n'a de cesse de nous dire de se taire ?
Archives de Vigile Répondre
24 août 2010Bon article.
Les indépendantistes-péquistes habitués de ce site tiennent un discours différent, plus combatif que leur parti et plus conciliant envers les militants de l'indépendance que ne l'a été Pauline Marois, à titre d'exemple, avec Patrick Bourgeois du RRQ. Ils révisent le discours officiel de leur parti et l'adaptent à l'intention de cette clientèle d'indépendantistes sceptiques. Il prennent dans leur vocabulaire des libertés que leur parti ne prend pas publiquement parce qu'ils veulent nous séduire en parlant notre langage, question de faire le plein de votes aux prochaines élections. Car, pour eux, c'est l'horizon que leur vision du politique admet.
Comme indépendantiste, je n'ai nullement l'intention de jouer l'idiot utile de ce parti en lui donnant mon vote parce que quelques indépendantistes-péquistes marginaux nous jurent la main sur le coeur que leur parti fera l'indépendance. Autant le dire, je n'y crois pas. J'ai fait mes devoirs. Eux non. J'attends toujours de voir le début d'une analyse actuelle, fondée historiquement, des indépendantistes-péquistes qui viendrait démontrer que ce parti est indépendantiste et qu'on peut lui faire confiance. Elle ne viendra pas parce que ce qui est à l'ordre du jour c'est une alliance de circonstances, une coalition molle ficelée sans être nouée, un marché de dupes qui ne servira que les arrivistes. Le vote indépendantiste dans ce parti aussi confus qu'il est irrésolu est un vote perdu, un marché de dupes qui ne produira que du réchauffé : des changements superficiels et discursifs qui laisseront sur le carreau le destin du Québec. Triste tableau. Les indépendantistes-péquistes pourraient être de ceux qui jouent le rôle le moins positif dans notre histoire contemporaine en freinant l'éclosion d'une force indépendantiste véritable au moment où commence à se refermer notre dernière plage d'opportunité. Non, je ne jouerai pas l'idiot utile d'une force aussi mollassonne et si peu engagée envers l'indépendance du Québec qu'est le PQ. La liberté politique du Québec n'a plus de temps à perdre, elle devra parler clairement ou se taire à jamais. L'indépendantiste sincère qui se noie dans le PQ est bien naïf et, s'il connaît son histoire... c'est qu'il a appris ses leçons, mais a-t-il fait ses devoirs ?
GV