Le 16 novembre dernier, je publiais sur cette même tribune, un billet intitulé La Déséducation tranquille. Dans ce dernier, je témoigne de ce que je considère être un génocide culturel par la voie de l’éducation.
Dimanche dernier, Elena Stoodley disait à Tout le monde en parle :
«Au Québec, la culture dominante, c’est les Québécois blancs d’origine européenne».
Quand on a voulu lui faire délicatement remarquer qu’au Québec, nous étions des «citoyens de moindre importance», sous-entendu par «porteurs d’eau», elle a déclaré :
«J’ai fait mon cégep ici, j’ai tout entendu et réentendu, et je crois en cette douleur, qu’elle est valide et légitime.»
Dans son contexte, elle justifiait ainsi sa compréhension de l’histoire, de l’identité, des valeurs et des luttes québécoises, par ses études collégiales.
Je me suis demandé quelle classe elle avait eu la chance de fréquenter. Parce que j’ai fait mes études collégiales en histoire et, malgré la très grande qualité des enseignements que j’y ai reçus, nous n’avons que très superficiellement abordé l’histoire nationale et ce, qu’à la toute dernière session.
À mon sens, Elena Stoodley part d’un postulat erroné lorsqu’elle nous déclare tenants de la culture dominante, au Québec. C’est le parfait exemple de ce que j’avançais dans mon texte précédemment nommé : le fantastique travail de sape sur les esprits par l’éducation. Autrement, comment – en étant né ici, en ayant grandi et été instruit ici – on peut sincèrement déclarer que les Québécois francophones représentent la culture dominante?
Comment peut-on nier le fait que la culture toute-puissante ici soit anglaise? Est-ce que nous ne voyons pas le décor et nos services anglicisés? Est-ce qu’on ne nous répond pas en anglais une fois et demi sur deux dans les magasins et les restaurants? Est-ce que les plus riches quartiers de Montréal ne sont pas anglais? Est-ce que les plus grandes fortunes ne sont pas anglaises? Est-ce que les meilleures écoles, les meilleurs hôpitaux et les plus grandes entreprises ne sont pas anglaises?
Je crois que devrait être considéré dans nos calculs le fait que tout ce qui est revendiqué à travers ce débat, est causé par le fait que nous sommes le fruit d’une ancienne colonie anglaise et que les injustices, disparités et iniquités sont induites par un système anglais.
Les méthodes utilisées pour nous asservir n’ont pas été les mêmes, c'est un fait indéniable; celles qui ont été perpétrées sur vos gens rivalisaient en sauvagerie et en inhumanités atroces.
Par ici, en plus de nous réduire à l’état de main-d’œuvre servile pendant très longtemps, on a cherché à nous faire carrément disparaître. Devant l’impossible de la tâche, puisque nous faisions trop de bébés, on s’est attaqué à notre mémoire. C’est ainsi que s'est amorcé le Grand Déracinement.
Je crois que ce qu’il faut comprendre, c’est que la dynamique raciale expérimentée au Québec n’a jamais été basée uniquement sur la couleur de la peau, mais également sur la langue.
Parce que même si, en principe, une langue n’est pas censée déterminer «une race», elle semble avoir été historiquement suffisante pour que les Canadiens-français, les Québécois, ainsi que les Premières Nations soient considérés et traités comme d’une souche inférieure.
Je me permets de vous citer à nouveau, madame Stoodley :
«L’histoire de l’esclavage, c’est peut-être une phrase ou un paragraphe. Ton histoire douloureuse, d’où tu viens, elle n’a pas de passé [...], c’est comme si tu nais dans l’esclavage.»
C’est vrai, je n’en ai pas vraiment entendu parler à l’école ou un peu comme j’ai entendu parler des Égyptiens. De notre côté, le mode de transmission de notre histoire nous donne l’impression de ne nous résumer qu’à quelques chapitres et une poignée d'anecdotes approximatives qui mettent savamment en exergue notre infériorité, dite "naturelle", devant l'Anglais supérieur.
«C’est un sujet dont on ne veut pas discuter, il est problématique, donc tu es un problème.»
Mais toi, tu brûles de légitimité, tu veux t’appartenir et que plus personne ne se donne jamais le droit de te blesser, de te voler ou de t’empêcher de faire ou d’être qui ou quoi que ce soit.
«Il faut se taire.»
Si on veut être accepté, s’intégrer, travailler. Survivre.
«De voir quelqu’un, qui n’est pas touché par cette réalité-là, de façon identitaire et culturelle aussi, en parler, peut transformer des informations. C’est ça le risque de l’appropriation culturelle.»
C’est vrai. Et de notre côté, ils ont fait ça notamment en voulant ouvertement exterminer les Premières Nations, en exploitant nos pères et en pillant nos ressources et nos symboles culturels et identitaires, et en saccageant notre système scolaire.
«Si le public n’est pas préparé et n’a pas fait ses recherches, il va prendre ce qu’on lui donne pour argent comptant.»
Comme le jour où vous avez cru que les Québécois francophones représentaient la culture dominante.
Voyez? Ce n’est pas une comparaison, car ce n’est pas un concours. C’est un parallèle.
Et plus vite on va comprendre ça, plus vite on va se comprendre.
Car l'esclavage, au Québec, il est dans notre tête.