Un oubli du code de vie d’Hérouxville

Un texte parle parfois par ce qu'il ne dit pas

Actualité québécoise 2011


La polémique autour de l’affaire Hérouxville m’a toujours laissé perplexe. Je compte limiter mes commentaires, on en a déjà assez parlé sur Vigile et ailleurs, mais on est loin d’avoir fini d’en discuter. Reprenons du début. Rappelons que le Code serait dirigé contre les accommodements (raisonnables) causés par les religions, juive, musulmane ou sikh, ou tout autre religion. Je dois préciser d’emblée que ce ne sont pas les religions qui imposent les accommodements, mais les tribunaux. Et ceux-ci ne sont pas intervenus qu’à la demande de groupes religieux. La précision est importante, nous vivons dans une société de droit. Que le Code soit inspiré par l’Islam est une évidence, relisez Roger Kemp et ce qu’on écrivait à l’époque, et qui se confirme depuis. Le texte réfère principalement aux lois ou coutumes musulmanes, et s’il avait pour objectif de s’en prendre à la faction extrémiste de cette religion, je ne protesterais pas trop. Mais je crains bien que ce ne soit pas là son but.

Car c’est bien par le but de ce texte que je vais commencer. Roger Kemp, entre autres, nous apprend que son principal auteur voulait nous préserver des abus qu’il avait observés ailleurs. Les grandes compagnies se plaindraient de leurs difficultés à intégrer des groupes religieux, et André Drouin aurait volé à leur secours et à celui de la société en général. Le Code viserait donc à informer les nouveaux immigrants qu’ils doivent abandonner leur mode de vie et adopter nos valeurs en arrivant ici. Je veux bien, mais est-ce plausible que ce soit là le but visé ?
Commençons par le commencement, par les valeurs elle-même que nous récite le texte. Nous aurions ici ce que devrait savoir et faire tout nouvel arrivant, les valeurs auxquelles il devrait adhérer et comment il devrait se comporter. Vaste programme, mais nos rédacteurs hérouxvillois auraient-ils oublié des valeurs importantes? Le texte du Code prévoit bien que ce serait fastidieux de les publier toutes, il contiendrait seulement un échantillon. Je veux bien, mais il ne faudrait pas qu’il en passe à la trappe de trop importantes. J’ai donc lu avec attention le texte que M. Barberis-Gervais a aimablement fourni aux Vigiliens que nous sommes, ce dont je le remercie. Comme ce texte répète de façon obsessionnelle l’égalité homme-femme, j’ai cherché si les autres valeurs québécoises y étaient aussi. J’ai remarqué que nulle part, on ne mentionne aux nouveaux immigrants qu’au Québec, ça se passe en français. Il me semble que c’est important de dire ça à de nouveaux venus, compte tenu de nos histoires à ce sujet avec plusieurs groupes d’immigrants depuis des siècles. Et je ne crois pas que ça fasse partie du côté fastidieux des autres normes non mentionnées dans le Code. C’aurait été pourtant simple à inscrire, même Jack Layton sait passer ce message. Mais ça ne veut pas dire que les immigrants le savent et sont disposés à s’y conformer. Ce genre d’oubli en dit long sur le sérieux de la démarche et sur ce que comprennent des valeurs québécoises ceux qui ont écrit ce texte.
Je ne prétends pas avoir trouvé tout ce qui manque au Code, mais il me semble en avoir trouvé assez pour poser les questions : Pour qui ? Pourquoi?
Selon M. Barberis-Gervais, « Le Code affirme les façons de vivre et les valeurs québécoises ». Cette démarche viserait donc à éviter que les immigrants recourent aux tribunaux pour remettre en question ces valeurs en les informant préalablement. Le Code procéderait par vertu de transparence et permettrait enfin de caser ces immigrants revendicateurs. Comme ils ignorent nos valeurs, nous les leur expliquons pour leur permettre de faire le choix de vivre ici comme il faut. J’ai là-dessus deux commentaires. Les immigrants contestataires de nos lois avec nos chartes et nos tribunaux me semblent connaître nos lois mieux que nous, ils n’ont pas besoin d’en savoir davantage. Pour eux, ce Code est inutile et les fera bien rire dans leur barbe. Ensuite, on devrait enlever du Code la référence au kirpan, les tribunaux ont réglé cette histoire depuis longtemps et nos gouvernements n’ont pas utilisés la clause dérogatoire pour préserver nos valeurs. Ça aussi, les religieux qui contestent nos lois le savent. Comme bien d’autres, je crois que les tribunaux ont erré en décrétant qu’un poignard est un instrument acceptable dans une école, nonobstant son caractère soi-disant religieux. Je dois rappeler toutefois que dans une société de droit, ce sont les tribunaux qui interprètent les lois; les religieux ont droit d’y recourir comme l’ont fait les homosexuels, les handicapés, les femmes, enfin tous ceux qui s’estiment discriminés dans nos sociétés. Il n’y a rien de mal à ça, à moins de remettre en question la société de droit. Ce sont les lois qu’il faut changer, et pas les moins importantes. Mais c’est un autre débat.
Pour conclure, je ne vois pas ce que ce Code va apprendre aux immigrants contestataires qu’ils ne savent déjà. Si c’est eux qu’on vise, on passe à côté de la cible. Pour l’immigrant moyen, ce document oublie une de nos valeurs importantes, en tout cas la plus caractéristique de notre société en Amérique du nord, ce qui le rend sans utilité aucune, voire nuisible. Pour faire une hypothèse plausible sur les vrais destinataires du document, il faudra finir par trouver pourquoi il fallait ce code.
Le Code affirme : « La tranquillité d’esprit et la paix sociale que nous vivons présentement saura (sic) demeurer ». Ce serait donc les immigrants et leur religion qui menaceraient la paix sociale et la tranquillité de l’esprit de ce bons Hérouxvillois. Le Code vise avant tout à rassurer les Québécois inquiets devant l’invasion appréhendée de leur pays par des immigrants religieux et revendicateurs. On vise à réconforter ces paisibles villageois en leur confirmant tout d’abord que leurs valeurs sont les meilleures au monde et qu’on va prendre tous les moyens pour les préserver contre ces étrangers habillés curieusement, qui mangent curieusement, qui lapident les femmes (en passant, les sodomites peuvent être lapidés dans certains de ces pays. Avec sa rédaction grotesque, le Code semble indiquer que ce qui est mal, ce n’est pas de lapider, mais de lapider des femmes), les font bruler, j’en passe et de meilleures. Dans ce sens, ce Code est bel et bien xénophobe et le présenter comme un modèle de vertu est d’une dangereuse naïveté. L’angoisse des Québécois est palpable, et avec raison. Nous nous battons depuis plus de deux siècles pour protéger notre langue et notre culture dans un milieu pour le moins hostile, combat tellement évident pour nous que le Code oublie complètement d’en informer ses pseudo-destinataires. Et ce combat encore et toujours est à recommencer. Un démagogue comme Mario Dumont a réussi à survivre politiquement en surfant sur cette angoisse. Ça n’a servi qu’à justifier la Commission Taylor-Bouchard, dont le rapport est oublié depuis sa sortie. Au net, le résultat de toutes ces esbroufes est un gros zéro. Malheureusement, je ne crois pas que cet épisode nous ait appris grand-chose. Et surtout, il est grand temps de passer à autre chose.
Nous aurons besoin de tous les Québécois pour continuer le combat de la langue française et éventuellement celui de notre indépendance. Est-ce qu’on pourrait consacrer nos énergies à ces deux luttes plutôt que de faire par Hérouxville ces inutiles détours !
Louis Champagne, ing.
ps Je n’ai pas les ressources pour demander une révision du Code de vie par voie référendaire, comme le prévoit le Code. Je compte donc sur les braves gens d’Hérouxville pour régler entre eux cette triste histoire.lc


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    1 juin 2011

    M. Champagne,
    nous sommes d'accord sur l'essentiel.
    En conclusion de mon article: "En total désaccord, avec vous madame Chouinard", j'ai écrit:
    "Mais ce Code de vie n’est pas parfait. Il ne dit pas par exemple aux immigrants que la langue commune est le français et qu’au Québec, c’est en français que ça se passe…ou que ça devrait se passer… Et qu’on a besoin de leur contribution pour créer un Québec français."
    D'accord aussi (sauf sur Hérouxville et ces inutiles détours) quand vous écrivez:
    "Nous aurons besoin de tous les Québécois pour continuer le combat de la langue française et éventuellement celui de notre indépendance. Est-ce qu’on pourrait consacrer nos énergies à ces deux luttes plutôt que de faire par Hérouxville ces inutiles détours !"
    Il a fallu une intervention divine pour que vous soyez de retour sur Vigile. Je m'en réjouis. Après avoir longuement disserté sur le Code de vie, vous affirmez que d'en parler est un détour inutile. Si c'est le jugement que vous portez sur votre texte, je ne vous contredirai pas. Mais je suis sûr que ce n'est pas le cas.
    Selon vous, ce serait "une dangereuse naïveté" que de croire que le Code de vie n'est pas xénophobe. Je pourrais vous répondre mais en le faisant j'aurais l'impression d'enfreindre une de vos directives. Je passe donc à autre chose mais après avoir envoyé à Vigile, un Hérouxville 4.
    Sur la xénophobie, vous ne m'avez pas convaincu. Mais ça ne veut pas dire que votre point de vue n'est pas valable. Vous me donnez l'impression (sans doute fausse) que seuls les multiculturalistes ne sont pas xénophobes.
    Quand vous reprochez au Code de vie de ne pas parler de notre lutte historique pour le maintien de la langue française, je vous donne cent pour cent raison. Et je contresigne le passage suivant que vous avez écrit:
    "L’angoisse des Québécois est palpable, et avec raison. Nous nous battons depuis plus de deux siècles pour protéger notre langue et notre culture dans un milieu pour le moins hostile, combat tellement évident pour nous que le Code oublie complètement d’en informer ses (…) destinataires. Et ce combat encore et toujours est à recommencer."
    Meilleures salutations,
    Robert Barberis-Gervais, Vieux-Longueuil, 1er juin 2011
    p.s. Je constate que Lucien Bouchard n'est pas le seul à se choquer...