Un échiquier de 200 cases

Le jeu politique national

Recomposition politique au Québec - 2011

La logique est élémentaire. Sur un territoire donné, deux strates de circonscriptions électorales se chevauchent: provinciale et fédérale.
Il existe donc quatre scénarios de chevauchement possible:
A) Élus souverainistes au fédéral et provincial
_ B) Élu souverainiste au provincial, élu fédéraliste au fédéral
_ C) Élu souverainiste au fédéral, élu fédéraliste au provincial
_ D) Élus fédéralistes au fédéral et provincial
Lors d'un référendum, si un des paliers est aux mains d'un élu fédéraliste, ses ressources, son réseau et son podium sont déjà prêts et en place pour combattre le camp du «Oui».
Le «jeu d'échecs» ne se joue pas sur un échiquier de 125 cases mais bel et bien 200 cases: le nombre total de circonscriptions électorales provinciale et fédérale au Québec.
Une zone représentée par un souverainiste à la fois au provincial et au fédéral dispose de réseaux et de ressources décuplés favorables à la cause. Plus de présence, plus de podiums, une circulation plus unie, claire et confiante de l'option. Cette double présence intimide aussi l'adversaire et affaibli ses tentatives d'enraciner son «Non» à cet endroit.
Qu'en est-il d'une zone mixte où existe un élu fédéraliste à un pallier et un élu souverainiste à l'autre? Si l'élu fédéraliste est provincial, il opposera le «Oui» mais pas aussi farouchement que s'il est fédéraliste au fédéral. La raison est que ce dernier risque de perdre son emploi de façon permanente, alors que le fédéraliste provincial conserve sa possibilité d'emploi peu importe le résultat.
Tout député d'un parti fédéraliste au fédéral se débattra donc toujours plus farouchement et vicieusement contre la cause. Tout simplement parce que le succès de cette cause signifie qu'il perd son poste pour de bon.
Contrairement au Bloquiste qui accepte consciemment de perdre son travail une fois la cause réalisée, le député NPD, Libéral ou Conservateur ne l'accepte aucunement. Il y voit plutôt la pire des menaces à sa sécurité d'emploi. Il est donc porté à être un opposant très agressif et nuisible, beaucoup plus d'ailleurs qu'un élu fédéraliste provincial.
Les circonscriptions fédérales tenues par des souverainistes jouent donc un rôle clef. Elles affaiblissent le camp du «Non» à la source. Elles minimisent ou empêchent l'existence de «Québécois de service» obligés à défendre leur emploi, donc le fédéralisme.
Et puisque ces «Québécois de service» constituent le bataillon le plus affamé, obsessif, divisif et nuisible au camp du «Oui», minimiser leur nombre est de la plus haute importance tactique.
Stratégiquement, les circonscriptions fédérales du Québec doivent donc être occupés par des non fédéralistes pour neutraliser cet effet nocif. Voter NPD, PLC ou PC c'est financer directement des ressources, outils, réseaux et podiums qui serviront un jour le camp du «Non».
Lors du référendum presque gagnant de 95, il y avait 54 députés du Bloc ajoutant leur effort à la cause. Vu autrement, il y avait 54 députés adverses nuisibles de moins à contrer (libéraux, conservateurs ou NDP). 54 têtes et organisations de députés de moins à œuvrer pour le «Non». 54 politiciens désespérés de moins cherchant fanatiquement à sauver leur poste.
Il n'y avait que 21 députés obligés d'allégeance à défendre le fédéralisme.
En votant NPD, le souverainiste vient de s'ajouter 58 politiciens fédéralistes dans les jambes lors de sa prochaine lutte pour le «Oui». 71 des 75 sièges du Québec n'ont maintenant plus une allégeance première au Québec mais au Canada. 71 joueurs adverses financièrement motivés à s'opposer de façon obligatoire et publique au projet.
Il y a maintenant 35 cerveaux, réseaux locaux et organisations de comtés de moins prêts à défendre la pleine liberté politique du Québec.
Chaque circonscription représente un emploi à dénicher et défendre pour un politicien. À l'instant même où un candidat signe qu'il représentera un parti dans un lieu donné, il signe en fait un plaidoyer d'allégeance. Il cède une partie de sa liberté de choix et promet sa fidélité.
Par ricochet, si son parti est pan-canadien, il est obligatoirement tenu de s'opposer à l'autodétermination du Québec, peu importe quelconques points communs en politique sociale. Ils ne peuvent mordre la main qui les nourrit.
Plusieurs députés NDP élus, pourtant personnellement souverainistes sont déjà amené à devoir défendre publiquement le fédéralisme et de considérer le «pays» non comme le Québec, mais comme le Canada.
Le soi-disant «retour» sur la scène fédérale signifie plutôt le retour à une allégeance obligatoire au fédéralisme. Il signifie la perte d'une liberté, puisqu'elle implique l'obligation de faire allégeance.
Sur les 200 cases du jeu, plus il y en aura occupées par des souverainistes, même passivement, plus les forces auront de l'impact le moment venu.
Le souverainiste croyant qu'il n'y a aucun combat à mener à Ottawa se trouve à céder 75 plateformes d'attaque à l'adversaire, prêtes à être utilisé l'instant même où un référendum est déclenché.
Il est malheureusement myope de nier que la souveraineté ne se joue pas aussi à Ottawa. Elle se joue partout où l'adversaire peut se ravitailler ou prendre du terrain. Par défaut, si ces sièges et leurs ressources ne sont pas occupés par des alliés, ils sont occupés par des adversaires.
Prétendre que tout se joue exclusivement par des joueurs provinciaux, c'est nier naïvement l'intrusion des députés fédéraux fédéralistes lors de référendum. Les adversaires les plus radicaux et virulents lors de consultations précédentes n'étaient pas des joueurs provinciaux mais fédéraux. Peu de gens ont mémoire de Ryan ou Charest comme chefs du camp du «Non», tous par contre se souviennent de Trudeau et Chrétien.
Il est mal avisé de laisser l'adversaire utiliser ses joueurs des deux paliers tout en se limitant soi-même à un seul, sous prétexte qu'il s'agit d'une question qui se joue à Québec uniquement. Si la souveraineté se joue à Québec et non à Ottawa, alors il n'y aurait pas eu une extraordinaire intrusion, complicité et coup de main de députés fédéraux pour le camp du «Non» en 80 et 95.
Si l'adversaire joue par défaut sur 200 cases, il est niais d'argumenter devoir limiter ses propres forces à jouer sur 125.
En plus de cet atout tactique majeur, la présence de Bloquistes empêche également l'adversaire de prétendre le débat clôt et le maintient sur ses gardes.
À l'international, sa présence force diplomates, politiciens et hommes d'affaires étrangers à découvrir, connaître et prendre au sérieux l'existence du mouvement souverainiste. Elle révèle aux yeux du monde une cause bien vivante qui serait autrement perçue comme morte, marginale ou tout simplement inconnue.
Le parlement fédéral est une vitrine plus suivie dans les cercles de décideurs que quelconque obscure assemblée provinciale.
Ce même effet bénéfique s'applique également aux nouveaux venus. La présence d'élus Bloquistes biens vrais rend concrète et réelle la question nationale aux yeux de l'immigrant. Il l'amène à connaître son existence, à s'y sensibiliser, s'y préparer.
Les réalisations, débats, votes et comités parlementaires accomplis par les Bloquistes ne sont que du bonus, une ristourne de plus, de l'extra. Leur simple présence est déjà un gain stratégique en soi. Ils jouent un rôle défensif clef, ils bloquent des sièges, des plateformes, des organisations de comté qui serait autrement emparés par l'adversaire.
Ils sont des gardes qui bloquent l'accès à un dépôt d'armes convoité par l'opposant. Que le signal annonçant le combat soit donné ou non, ce n'est point une raison pour quitter ses gardes.
Dans son combat pour l'autonomie politique, l'Irlande aussi a élu des députés non Unionistes dans le parlement d'un pays dont elle voulait ne plus faire part. Ils ont opté de laisser leur sièges vacants une fois élus, mais avant de le faire, ils se sont quand même assurés de les élire.
Le Bloc a un frère spirituel. Fondé en 1882, le Irish Parliamentary Party, a continué d'élire des indépendantistes irlandais aux Communes Britanniques jusqu'en 1918, année où le Home Rule fût remporté. 36 ans de persévérance, 36 ans à garder son œil sur la balle, à empêcher le plus possible les circonscriptions irlandaises de servir de plateforme contre la pleine liberté politique de la nation à naître. Pour une cause si grande et historique, à 20 ans, le Bloc est encore jeune.
Le goût du neuf pour du neuf, sans raison très profonde, cette «valeur» québécoise gagne à être remplacé par une valeur plus payante et conséquente, le sens du devoir, de la persévérance, du travail durement accompli, de la patience. Un camp qui ne peut garder l'oeil sur la cible devient vite une proie facile pour son adversaire.
Louis Charlebois
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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    7 mai 2011

    Très pragmatique analyse, M. Charlebois. Les NDP sont des fédéralistes qui défendront effectivement le fédéralisme si d'aventure un référendum est tenu au Québec. Et avec les moyens gargantuesques du pouvoir canadian, peu importe la limitation des dépenses imposée par la loi québécoise. Pourquoi Ottawa respecterait-elle les lois d'une province qui lui est surbordonnée? Les lois votées par Québec, même unanimement, le ROC n'en a jamais eu rien à foutre; on l'a bien vu en 1995. Les fédéralistes, c'est aussi la Loi des mesures de guerre en octobre 1970, la nuit des longs couteaux auquel le NDP a été étroitement associé, le rapatriement de la constitution, le torpillage de l'Accord du lac Meech, etc.
    Pour ceux qui ne l'auraient pas vu ou entendu: la vague de petits canadian flags victorieux aux locaux du NDP lundi soir; le propos de Layton, hier, comme quoi la victoire du NDP est une victoire fédéraliste. Les élus NDP aussi sont des fédéralistes. Pour les Québécois, c'est de se laisser enfirouaper que de croire le contraire.

  • Archives de Vigile Répondre

    6 mai 2011

    C'est bien, M Charlebois. Le hic, c'est que vous basez votre argumentaire sur la présomption que les députés et organisateurs du NPD au Québec sont nécessairement fédéralistes ou inaptes à défendre les intérêts du Québec. C'est faux ! Ce que vous ignorez, c'est qu'il y a un grand nombres de nationalistes et même d'anciens bloquistes indépendantistes qui ont investi le NPD.
    Par ailleurs, vous auriez tout à fait raison de le penser si la députation québécoise du NPD était minoritaire au sein du parti. Or, ce qui est remarquable et assez hallucinant dans cette histoire c'est que les députés du Québec contrôlent maintenant le Parti et donc représentent la véritable opposition officielle. C'est tellement vrai que si tous les députés néo-démocrates du Québec quittaient le parti pour en fonder un autre, ce dernier formerait l'opposition officielle !
    Donc, M Charlebois, j'apprécierais de votre part un minimum de rationalité et d'honnêteté à la base de votre argumentaire. Au minimum, il serait bon pour nous tous, vos lecteurs, que préalablement vous preniez la peine d'obtenir de l'information juste et complète.
    Merci

  • Patrice-Hans Perrier Répondre

    6 mai 2011

    Cet article vient de me fournir des munitions pour une analyse qui sera présentée sur ce site demain dans le courant de la journée.
    Les médias ont constamment fait état de l'inutilité des députés du BLOC, de façon malhonnête et machiavélique.
    Les député-poteaux du NPD n'auront pas plus de poids face à un gouvernement conservateur majoritaire, seront en contradiction permanente avec leur propre caucus national, ne posséderont pas d'expérience et - dans la majorité des cas - aucuns contacts avec leurs électeurs et, fort justement, ils défendront leur salaire et leur allégeance à une entité fédéraliste.
    En fait, les médias de la nébuleuse GESCA, avec l'organisation militante d'un parti municipal bien connu et celle de Québec Solidaire, ont préparé de façon parfaite le terrain pour le NPD.
    Maintenant qu'ils ont gagné à peu de frais la quasi totalité du terrain, ils devront faire du renvoi d'ascenseur à leurs aliés au provincial et au municipale. Une histoire à suivre ...