WASHINGTON | L'administration américaine a finalement fait ce que plusieurs redoutaient en réimposant des tarifs de douane de 10 % sur l'aluminium canadien, un peu plus d’un mois après l’entrée en vigueur du nouvel accord ACEUM.
C’est le président américain, Donald Trump, qui en a fait l’annonce jeudi, à l’occasion d’une visite en Ohio. Reprenant sa rhétorique sur l’injustice, il a affirmé que le secteur américain de l'aluminium était décimé par le Canada.
«Le Canada profitait de nous, comme d'habitude», a-t-il soutenu, précisant que les nouveaux tarifs étaient «absolument nécessaires».
Celui qui sollicitera un deuxième mandat en novembre prochain a également fait savoir qu'il «mettrait toujours les travailleurs américains au premier plan».
Riposte rapide réclamée
Dans un communiqué envoyé en début de soirée, la vice-première ministre canadienne, Chrystia Freeland, a déploré la décision de l'administration Trump et a promis que son gouvernement va «imposer rapidement des contre-mesures de valeur égale».
«L’annonce faite par les États-Unis le 6 août, selon laquelle ils vont imposer des tarifs douaniers sur certains produits d’aluminium canadiens pour des raisons de sécurité nationale, est injustifiée et inacceptable», a affirmé Mme Freeland.
La numéro deux du gouvernement Trudeau croit qu’à peine un mois après l’entrée en vigueur du nouveau traité de libre-échange nord-américain, l’ACEUM, l’heure est à la collaboration et non à la confrontation.
«Le commerce de l’aluminium entre le Canada et les États-Unis est avantageux pour les deux pays d’un point de vue économique depuis longtemps, ce qui a rendu l’industrie nord-américaine de l’aluminium plus compétitive sur la scène internationale», a soutenu celle qui fera le point en conférence de presse vendredi matin.
Selon elle, tant l’industrie canadienne, qui compte 10 000 emplois directs, que l’industrie américaine ressortiront perdantes.
Avant même la réaction de Mme Freeland plusieurs groupes ont dénoncé cette surtaxe et certains, comme le Syndicat des Métallos, le Bloc québécois ou le Parti conservateur, ont plaidé pour une «riposte rapide».
C’est aussi la position partagée par le premier ministre François Legault qui a dit avoir demandé à son homologue fédéral «d'imposer des tarifs sur des produits américains en représailles».
«Je compte me battre pour défendre les travailleurs québécois de l'aluminium», a-t-il insisté.
Jeudi, l'Association de l'aluminium du Canada (AAC) s’est dite «très déçue» de la décision américaine, et ce, malgré l'entrée en vigueur récente du nouvel accord commercial entre le Canada, les États-Unis et le Mexique (ACEUM), le 1er juillet dernier.
Selon certaines compagnies américaines, une hausse de l’offre d’aluminium venant du Canada a entraîné une chute des prix. Elles auraient demandé à Washington de réimposer des tarifs sur l’aluminium canadien si Ottawa refusait de réduire ses exportations au sud de la frontière.
L’AAC n’a pas la même vision des choses.
«Il n'y a pas de hausse marquée pour 2020 par rapport à 2019, les anomalies mensuelles ne provoquent pas une hausse marquée annuelle, elles sont simplement le résultat de l'évolution de la dynamique du marché en temps de crise», a soutenu Jean Simard, président et chef de la direction de l'Association de l'aluminium du Canada.
Même la U.S. Chamber a déploré cette «mauvaise décision», indiquant que les tarifs vont entraîner une augmentation des coûts pour les entreprises américaines.
«Nous implorons le gouvernement de reconsidérer leur mesure», a-t-on fait savoir.
De son côté, la Chambre de commerce du Canada a soutenu que «les exportations canadiennes d'aluminium ne représentent absolument aucune menace pour la sécurité nationale des États-Unis», expliquant qu’au contraire, «l'aluminium canadien constitue un élément essentiel de la base industrielle de défense américaine et joue par conséquent un rôle essentiel dans nos objectifs communs de défense et de sécurité».
Le Nouveau Parti démocratique a dénoncé «l'électoralisme de Trump aux États-Unis» et réclamé du fédéral un plan pour protéger les revenus des travailleurs de l'aluminium «en attendant que le Canada ait à nouveau un partenaire fiable à la Maison-Blanche».
Au Bloc québécois, on a invité Ottawa à imposer immédiatement des contre-tarifs douaniers et la mise en place d’une aide immédiate au secteur.
«Nous devons faire preuve de force, de rigueur et de détermination pour protéger notre monde et notre secteur de l’aluminium, sans équivoque et sans compromis, a dit le chef bloquiste Yves-François Blanchet, par communiqué. Il faut aussi développer le marché intérieur en favorisant la transformation.»
Pour leur part, les conservateurs disent ne pas avoir «confiance à la capacité de ce gouvernement libéral de défendre notre industrie de l’aluminium».
«Non seulement les libéraux de Trudeau n’ont pas réussi à négocier les mêmes règles d’origine favorables pour l’aluminium, comme ils l’ont fait pour l’acier dans l’Accord Canada-États-Unis-Mexique, mais ils n’ont pas tenu leur promesse de remettre tout l’argent découlant des tarifs américains précédents à l’industrie canadienne», a-t-on précisé.
Pas une première
Durant les négociations en vue de renouveler l’accord de libre-échange nord-américain, l’administration de Donald Trump avait imposé des tarifs supplémentaires sur l’aluminium canadien ainsi que sur l’acier.
Imposés à la fin de mai 2018 à la hauteur de 25 % pour l’acier et de 10 % pour l’aluminium, ces tarifs avaient eu pour effet de faire plonger les exportations vers les États-Unis. Ils avaient été levés en mai 2019.
Lorsque des rumeurs sur de nouvelles surtaxes avaient commencé à circuler, au mois de juin, le syndicat Unifor avait parlé de «tactiques d'intimidation» et avait demandé au gouvernement Trudeau de rester ferme face à ce qu’elle qualifie de «campagne de désinformation».
De leur côté, le Syndicat des Métallos ne s’explique pas cette «surtaxe bidon».
«Trump enfreint l’entente bilatérale survenue en mai 2019 entre nos deux pays qui supprimait la section 232 portant sur les droits de douane ayant pour motifs non fondés la “sécurité nationale”, a dit le directeur canadien des Métallos, Ken Neumann. La réapparition de cette surtaxe bidon sur l’aluminium canadien menace maintenant des milliers d’emplois au Canada.»