La chaîne CNN rapporte que le commandement militaire et les services de renseignement des USA ont déjà dressé la liste des cibles qui seront bombardées en Syrie quand l'armée syrienne sera de nouveau accusée d'avoir eu recours à l'arme chimique contre des civils et ladite «opposition syrienne modérée».
Les bombardements de la Syrie auront visiblement lieu quoi qu'il arrive. De plus, aucune mesure médiatique ni même la dénonciation publique préalable de l'ensemble du mécanisme de mise en place d'une nouvelle «provocation chimique» n'arrêteront les militaires américains et les faucons de Washington. Dans un certain sens, il ne s'agit pas du tout de Bachar el-Assad ni même du conflit syrien dans l'ensemble. Malheureusement, la Syrie sera bombardée uniquement sur la base de l'utilité politique nationale que cela représentera pour les USA. Les bombardements ne sont pas indispensables, mais à l'heure actuelle ils ne pourraient être évités que si un autre thème faisait de l'ombre pendant quelque mois au dossier syrien.
Malheureusement, la «fuite» des plans de bombardement déjà prêts sur CNN est une sorte de chantage à la réputation de Donald Trump, qui se retrouve dans une situation extrêmement inconfortable: quand les Casques blancs soutenus et dirigés par les services secrets britanniques organiseront une nouvelle provocation en Syrie, il ne pourra plus s'abstenir d'une frappe et de l'escalade du conflit, en disant quelque chose comme «le QG a réfléchi et a pensé qu'il ne fallait pas le faire». Après la «fuite» de CNN, l'abandon des bombardements de Damas suite à un incident (manifestement fallacieux) impliquant l'usage des armes chimiques sera dénoncé par les sénateurs et les congressistes, qui accuseront Donald Trump de jouer en faveur du Kremlin. Ce n'est pas un très grand problème, mais l'aggravation actuelle de la crise syrienne se produit à une période de vulnérabilité maximale du dirigeant américain: les USA sont en pleine campagne électorale à l'approche des élections de mi-mandat dans un mois.
Les élections de mi-mandat sont une invention spécifique qui détermine en grande partie le caractère de parade du système politique américain. Les élections présidentielles se déroulent tous les quatre ans, mais dans l'intervalle sont réélus les 435 membres de la Chambre des représentants, un tiers du Sénat, ainsi que la majeure partie des gouverneurs. Cette année, les élections de mi-mandat se tiendront le 6 novembre, et la carrière politique, la liberté, voire la vie de Trump et de sa famille sont en jeu. Le fait est qu'en cas d'issue défavorable le Parti démocrate pourrait recevoir la majorité aussi bien à la Chambre des représentants qu'au Sénat. Dans ce cas, Donald Trump ne risque pas seulement être victime d'une procédure de destitution, mais sa famille (de son gendre Jared Kushner à ses proches travaillant au sein de la Trump Organization) sera accusée de haute trahison et de complot avec la Russie, ce qui pourrait déboucher sur une peine de prison — voire la peine de mort.
Le thème de l'ingérence russe dans les élections (la dernière présidentielle, de mi-mandat et la prochaine présidentielle), ainsi que celui de la haute trahison du Président est déjà central dans la campagne électorale. Si le locataire de la Maison-Blanche refusait de bombarder la Syrie, on peut prédire avec certitude que les images d'«enfants syriens mourants empoisonnés par le sarin» seraient diffusées sur toutes les chaînes américaines pendant toute la campagne électorale en l'accompagnant de commentaires disant que Poutine a forcément des informations compromettantes sur Trump, puisque ce dernier refuse de punir le «sanguinaire el-Assad» et de «montrer la puissance américaine» à Poutine. Du point de vue de l'administration américaine actuelle, un tel risque est inadmissible, c'est pourquoi la Syrie sera très probablement bombardée, et ce démonstrativement et avec un accompagnement médiatique très actif, en exagérant significativement le préjudice infligé et les pertes du côté syrien. De plus, il serait dans l'intérêt de Damas de jouer dans le sens de Trump dans ce spectacle — dans ce cas, ce dernier n'aurait besoin que d'un spectacle médiatique pour la consommation nationale américaine.
Heureusement, la logique politique impitoyable de la campagne électorale américaine réduit radicalement les chances que Washington veuille davantage qu'une nouvelle démonstration de force ponctuelle, suffisante pour annoncer que l'ennemi est vaincu et que la justice est rétablie. Par contre, annoncer la tentative de changer de régime à Damas ou le début d'une nouvelle guerre au Moyen-Orient avec une participation américaine directe, ou encore exprimer la disposition à l'affrontement militaire avec la Russie pour renverser el-Assad, serait une stratégie perdante pour les élections. Car le noyau des électeurs de Donald Trump percevra à raison n'importe laquelle de ces déclarations comme une preuve de trahison du Président. Tout en sachant que c'est le soutien du noyau électoral prêt à suivre Trump où qu'il aille qui est sa véritable assurance contre la destitution. Il est donc à prédire que les Américains bombarderont Damas, mais ne combattront pas en Syrie pour tenter de renverser le cours de la guerre civile et arracher la victoire des mains de la coalition russo-syrienne. Et c'est un grand mérite de l'armée russe, ainsi que du gouvernement russe qui n'a pas lésiné sur les forces et les moyens depuis des années pour le développement de son armement, et notamment de la triade nucléaire.
La seule chose que les Américains peuvent encore obtenir en Syrie est une profonde satisfaction morale, ainsi qu'un prétexte pour dire que s'ils le voulaient vraiment, ils pourraient gagner. Il est certain que dans quelques années, Hollywood tournera plusieurs blockbusters sur les victoires héroïques des forces spéciales américaines en Syrie contre les «barbares russes, iraniens et syriens armés de Kalachnikov», et que dans les années 2020 déjà l'Américain moyen sera persuadé que la guerre syrienne a été remportée par les USA, tout comme de nombreux Américains pensent que les États-Unis ont gagné la guerre au Vietnam. Rien à faire: l'époque de post-vérité est déjà là, mais malheureusement la Russie n'a pas encore d'analogue d'Hollywood pour procéder à un «piratage» massif des cerveaux des habitants d'autres pays.
En fin de compte, la victoire principale est la victoire concrète, sur le terrain, et pas dans la réalité médiatico-virtuelle.
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