Quelque chose s’est brisé à Montréal le jour de la Saint-Jean-Baptiste de 1968. Il y a de la révolution dans l’air près du parc La Fontaine, où doivent passer les chars allégoriques. Nul autre que le tout nouveau premier ministre du Canada, Pierre-Elliott Trudeau, s’est invité au rang d’honneur pour cette fête d’une nation qu’il ne reconnaît pourtant pas... et dont il va s’évertuer à nier l’existence.
Contre cette provocation fédéraliste, des manifestants, dont plusieurs sont liés au Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) de Pierre Bourgault et aux Chevaliers de l’indépendance de Reggie Chartrand, viennent troubler l’événement et goûter aux matraques des policiers. Ils lancent des projectiles sur la scène où se trouve Trudeau. Sans l’atteindre. Celui-ci les regarde en souriant... Il sait que ce coup de publicité va jouer en sa faveur : l’antipathie du Canada anglais à l’endroit des « séparatistes » lui vaudra une éclatante victoire aux prochaines élections. Autre conséquence de cette visite de Trudeau : les jeunes militants séparatistes se défoulent sur les chars allégoriques traditionnels de la Saint-Jean. Ce qui va les isoler au sein de la population... qui préfère somme toute Trudeau.
Fête des Canadiens français
Pendant plus d’un siècle et demi, même à l’époque de la minorisation humiliante à Montréal, la Saint-Jean, c’était la fête des Canadiens français. Comme la Saint-Patrick est la fête des Irlandais. Pour le solstice d’été et la fin des classes, ce qui réjouissait les enfants, on leur faisait organiser des fanfares et chaque école avait la sienne. Comme l’école de Saint-Henri, celle du Plateau (alors non embourgeoisé !), l’école supérieure Richard à Verdun, le collège Mont-Saint-Louis, l’académie Roussin de Pointe-aux-Trembles, etc. J’en garde moi-même des souvenirs émus ! Toute l’île, chez les francophones, célébrait. Le maire se faisait un devoir d’être là, même si, immanquablement, ses adversaires le huaient ! Camillien Houde a déjà reçu des œufs à cette occasion...
Dans toute la province, des mères ambitionnaient le rôle du petit saint Jean tenant un mouton pour leur garçon bouclé. Aujourd’hui, on s’émerveille du symbolisme de ces parades chargées de sens historique et de mémoire, avec ses personnages tels que Jeanne Mance ou Dollard des Ormeaux, et son aspect religieux pourtant teinté de paganisme remontant à la nuit des temps. Mais les jeunes nationalistes québécois de 1968 ne veulent pas de cette nation-là... Le Québec auquel ils aspirent est débarrassé du Canada français et du passé catholique. C’est alors que l’idée de « fête nationale » s’impose pour effacer la Saint-Jean. Le Parti québécois va l’officialiser plus tard. C’est un peu comme si des nationalistes irlandais se battaient pour faire disparaître l’expression Saint-Patrick sous le prétexte que c’est vieillot...
Donc, Trudeau venait à la Saint-Jean pour nier la nation. Mais ceux qui manifestaient contre lui, en un sens, la niaient également. Ils – les Trudeau et Bourgeault – ont donc gagné. La Saint-Jean-Baptiste, qui était la joie estivale de Montréal, est devenue... une fête comme les autres. Certains militent même pour bilinguiser l’événement ! Et pourquoi pas le « plurilinguiser », tant qu’à y être ? On a arraché l’histoire des programmes scolaires. Quand on crache sur ses origines, autant les oublier pour de bon...
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