Dans le contexte démo-linguistique du Québec, il n'y a certainement rien de «criminel» à s'inquiéter des effets potentiellement néfastes du bilinguisme. Le contraire serait totalement irresponsable, même s'il paraît tout aussi exagéré de crier à la régression identitaire simplement parce que l'anglais pourrait être enseigné de façon intensive pendant la moitié de la sixième année du primaire.
Il y a des risques qu'on n'a pas le choix de prendre ou non. La volonté grandissante des parents francophones d'assurer une maîtrise de l'anglais à leurs enfants, qu'ils vivent au Saguenay, en Mauricie ou dans l'ouest de Montréal, est une réalité incontournable avec laquelle il faut apprendre à composer.
Il serait absurde de nier l'immense avantage d'être capable de parler la langue dominante sur la planète. Soit, favoriser l'apprentissage de l'anglais dans les écoles n'est pas de nature à faciliter l'intégration des immigrants à la majorité francophone, mais il faudra utiliser d'autres moyens. Au nom d'une certaine conception de la culture, certaines personnes sourdes, heureusement peu nombreuses, souhaitent que leurs enfants le soient aussi.
Il y a dix ans, la commission Larose avait déjà constaté la nécessité de répondre à ce désir d'apprendre l'anglais et avait proposé un enseignement concentré au dernier cycle du primaire, mais son rapport n'avait eu aucune suite. Pour Lucien Bouchard, la création de cette commission n'était qu'un moyen de calmer l'aile radicale du PQ. Dans cette perspective, la dernière chose à faire aurait été d'augmenter le nombre d'heures consacrées à l'anglais.
Le premier ministre Charest savait sûrement que sa proposition était techniquement inapplicable, mais il a frappé dans le mille. L'obsession de l'anglais est telle que tous les partis devront maintenant en faire une priorité, sous peine de payer un lourd prix politique. D'ailleurs, si le gouvernement veut démontrer qu'il est le moindrement sérieux, le budget du 17 mars devra contenir des mesures spécifiques à cet effet.
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On peut toujours chipoter sur les modalités, comme le fait le PQ, qui préférerait concentrer l'enseignement durant les trois premières années du secondaire, mais la preuve a été largement faite que les programmes actuels ne répondent pas aux attentes de la population, qui ne le tolérera plus très longtemps.
La question n'est plus de savoir si les Québécois doivent être plus bilingues qu'ils le sont présentement. Puisqu'ils le souhaitent, ils finiront par l'être. Il s'agit plutôt d'éviter que cela se traduise par un recul du français dans l'espace public.
Sur le coup, l'annonce faite par M. Charest a bien embarrassé le PQ, dont la proposition d'étendre les dispositions de la Charte de la langue française au niveau collégial a paru encore plus radicale. Même au sein du parti, elle ne faisait déjà pas l'unanimité. Maintenant que les francophones pourront satisfaire leur appétit d'anglais au primaire ou au secondaire, ne serait-il pas inutilement vexatoire de leur interdire l'accès au cégep anglais, puisqu'ils ne verront plus la nécessité de s'y inscrire?
En réalité, cela pourrait bien avoir l'effet inverse. Fréquenter un cégep anglais sans avoir déjà une connaissance appréciable de la langue exige des efforts que tous ne sont pas nécessairement prêts à faire. S'ils disposent d'une base linguistique suffisante, certains pourraient être davantage attirés.
Une étude publiée en janvier dernier par la Centrale des syndicats du Québec tendait à démontrer que le passage de non-francophones au cégep anglais constituait moins une expérience temporaire visant à perfectionner leur anglais qu'un tremplin vers des études universitaires en anglais et, à terme, une intégration au marché du travail anglophone.
Paradoxalement, faire une plus grande place à l'anglais dans les écoles pourrait donc justifier de restreindre l'accès au cégep anglais. C'est une chose pour l'État de contribuer à l'apprentissage d'une langue seconde; c'en est une autre de favoriser l'anglicisation.
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Il y a une grande différence entre le Québec et certains pays européens dont les habitants ont atteint un remarquable niveau de bilinguisme. On peut difficilement passer toute sa vie aux Pays-Bas ou au Danemark sans connaître la langue de la majorité. Au Québec, c'est malheureusement possible.
Certes, la mosaïque linguistique européenne assure un certain équilibre dont bénéficient les langues nationales, mais les Pays-Bas, la Suède ou le Danemark disposent surtout d'un État qui est garant de l'identité culturelle et linguistique du pays.
La politique linguistique du Québec doit respecter la constitution d'un État officiellement bilingue et multiculturel. De la «clause Canada» aux écoles passerelles, c'est la Charte canadienne des droits qui a dicté au Québec les dispositions qui régissent l'accès à l'école anglaise. Au PQ, on s'attend à ce qu'une éventuelle extension des dispositions de la Charte française au niveau collégial soit également contestée devant les tribunaux.
La souveraineté ne permettrait évidemment pas au Québec de se soustraire à tous les effets de la mondialisation, mais elle permettrait déjà de distinguer plus facilement entre les peurs irraisonnées et les inquiétudes légitimes que suscite encore et toujours l'anglais.
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mdavid@ledevoir.com
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